La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Cœur-Poumon" Un spectacle cœur à corps, sensible et fort comme la vie

Mona a besoin de revenir à l'hôpital dans lequel son enfant a été sauvé des années auparavant. Elle décide de retourner dans le service de réanimation de chirurgie cardiaque. Sa mémoire l'entraîne alors dans une chute et nous plonge dans le vertige de son passé. "Cœur-Poumon "est l'histoire d'une réparation : celle du cœur d'un tout petit enfant et, à travers elle, le portrait de ceux qui soignent. Mais dans ce lieu dirigé par un chirurgien mélomane, où la pulsation des cœurs rythme les jours et les nuits, les frontières entre présent et passé, entre réel et imaginaire s'estompent bientôt. Et comme dans un songe, les enfants opérés ici reviennent nous raconter leurs réminiscences. Le public entre dans chacun de ces cœurs et convoque dans un même mouvement la musique comme possible consolation.



© Franck Frappa.
© Franck Frappa.
Faire de sa propre histoire intime un spectacle et "s'imprégner des longues heures de veille à l'hôpital pour donner vie à celles et ceux qui n'ont pas la parole – ou très peu – et qui œuvrent en silence", Daniela Labbé Cabrera.

C'est ainsi qu'est né ce spectacle-documentaire pluridisciplinaire qui rend hommage, en grande partie, au personnel soignant luttant en silence, corps et âme, entre les murs des blocs opératoires aux lumières bleues et aux mobiliers réverbérants.

C'est pourtant La Vie, avec un grand V, qui (re)naît de cette froideur aseptisée, atmosphère par laquelle est passé le jeune enfant de la metteuse en scène d'origine chilienne, Daniela Labbé Cabrera résidant à présent à Paris.

L'une des malformations cardiaques les plus courantes fut longtemps connue sous le nom de "maladie des bébés bleus", malformation mortelle qui, sans intervention chirurgicale, empêche le fonctionnement normal entre le cœur et le poumon. On appelle également "cœur poumon" la machine qui permet de remplacer le cœur lors de cette opération.

© Franck Frappa.
© Franck Frappa.
Prenons la liberté, à ce stade de mon article, de rendre hommage au Professeur Christian Cabrol, cardiologue et grand humaniste, qui réalise en 1968 la première greffe cardiaque en Europe et que j'ai eu l'énorme privilège de croiser quelques fois, de façon improbable, dans notre petit village perdu de nos vacances de bord de mer finistérien et dont la simplicité m'a toujours surprise.

Prenons aussi la liberté de lui dédier ce spectacle dont, à coup sûr, il aurait apprécié la qualité, le message et la fidélité à cet univers quotidien qui fut le sien de si longues années !

Porté par la jolie scénographie contemporaine de Salladhyn Khatir, ainsi que par les lumières harmonieuses de Jérémie Papin, le spectacle nous plonge dans un service de réanimation pédiatrique des plus réalistes, "sorte de huis clos des temps modernes", en immergeant le spectateur de manière élégante dans la réalité médicale d'une famille imaginaire (qui pourrait aussi être la nôtre).

Écrit à partir d'une enquête menée auprès de soignantes et soignants, de soignés(es), de parents, le résultat est très convaincant, quand bien même, ne le cachons pas, j'étais dubitative devant cet ambitieux projet, et que nous nous interrogions sur la nécessité de porter encore sur les planches un tel propos. L'univers médical ayant déjà souvent fait florès au théâtre. "Mais le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas…".

© Franck Frappa.
© Franck Frappa.
Les planches auraient-elles le privilège de "porter" la souffrance et le soin de façon subtile et toute particulière, en délivrant à elles seules un message différent des autres arts ? Peut-être.

Le théâtre, n'est-ce pas l'homme qui parle à l'homme des histoires d'hommes ? Ce sont des intentions très légitimes et très louables, à la portée universelle, qui ont poussé le collectif I am a bird now et sa metteuse en scène à créer ce spectacle.

Certes, le résultat est probant, porté par les cinq comédiennes et comédiens interprétant quatorze personnages distincts. Pourtant juste dans leurs interprétations respectives, je suis plus partagée quant au choix du synopsis, optant pour un retour en arrière, tout comme celui de voix multiples des personnages qui procurent, par moments, une sorte de fourvoiement dans l'histoire. Encore une fois, partir de l'intime pour en bâtir un message universel relève d'une énorme gageure.

Tantôt interpellé par la parole d'un chirurgien, d'un père, d'un jeune interne, d'une infirmière, de la grand-mère, de la mère bien sûr, d'un médecin ou encore d'un cardio-pédiatre, le public pourrait peut-être s'y perdre quelque peu.

© Franck Frappa.
© Franck Frappa.
Cela dit, le pari est largement gagné et "Cœur-Poumon" nous offre des moments de "vie théâtrale" très émouvants et très esthétiques qui ne basculent pas dans l'écueil du pathos. La scénographie de Sallahdyn Khatir est fluide et comme chorégraphiée ; et l'ensemble des interprètes valsent littéralement autour d'une grande porte tournante qu'il faut savamment guider. Une allégorie, peut-être, du cœur du bébé.

Rien d'ostentatoire dans la dramaturgie de Daniela Labbé Cabrera assistée de Younes Anzane. Juste l'essentiel de ce qui doit être porté sur scène pour nous immerger dans ce lieu clos où la vie doit jaillir coûte que coûte.

Le public voyage entre documentaire et fiction, entre pulsions de vie et de mort, rituels orchestrés des soignants(es) et attente insoutenable des parents. Le tout justement interprété et agrémenté d'un son et de lumières consolantes.

© Franck Frappa.
© Franck Frappa.
"Cœur-Poumon"
Texte : Daniela Labbé Cabrera.
Mise en scène : Daniela Labbé Cabrera.
Assistante mise en scène: Léa Casadamont.
Dramaturgie : Youness Anzane.
Avec : Hugues Dangréaux, Bastien Ehouzan, Julie Lesgages, Marie Rahola, Anne-Élodie Sorlin.
Collaboration artistique : Youness Anzane, Constance Arizzoli, Dr Fanny Bajolle, Kévin Le Berre, Dr Claudio Zamorano, Franck Frappa.
Scénographie et construction : Sallahdyn Khatir.
Création vidéo : Franck Frappa.
Musiques : Bach, Mendelssohn, Gluck, Schumann, Hendel, Schubert.
Son, musique : Julien Fezans.
Costumes : Élise Le Du.
Chorégraphie : Cécile Robin Prévalée et Daniela Labbé Cabrera.
À partir de 14 ans.
Durée : 1 h 45.

Du 4 au 25 novembre 2023.
Du mardi au samedi à 20 h 30, dimanche à 16 h 30.
Théâtre de la Tempête, Salle Copi, Cartoucherie de Vincennes, Paris 12e, 01 43 28 36 36.
>> la-tempete.fr

Tournée
23 janvier 2024 : Espace Culturel Boris Vian, Les Ulis (91).
8 février 2024 : Théâtre Jean Lurçat – Scène Nationale, Aubusson (23).

Brigitte Corrigou
Jeudi 23 Novembre 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024