La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Dementia Praecox" : une œuvre d'art aussi fascinante que dérangeante

"Dementia Praecox", Théâtre Elizabeth Czerczuk, Paris

Sur scène s'opère une représentation de la vie. Et qu'est-ce donc qu'une représentation de la vie sinon l'art ? "Dementia Praecox" questionne la relation qui existe entre une œuvre et son public. Le spectateur est nécessaire pour que l'art ait une existence. Sans personne pour l'appréhender, alors il ne signifie plus rien. Le spectateur fait partie intégrante de l’œuvre.



© DR.
© DR.
Le spectacle envahit tout l'espace. Il n'y a pas une scène prédéfinie. Alors que le public attend devant le coin bar, les comédiens défilent les uns derrière les autres. Ils poussent des cris spontanés, éclatent de rires hystériques, survenus de nulle part, qui s'arrêtent aussi promptement qu'ils se sont échappés. Ils nous regardent, nous dévisagent, nous découvrent. Nous sommes leur spectacle. Ils jouent avec nous, ils jouent de nous.

Les habits et les coiffures sont ceux des fous. On ne sait pas bien à quoi ce mot se réfère, mais on sait que c'est fou car ce n'est pas normal, ce n'est pas ce dont nous avons l'habitude. Les démarches sont singulières ; s'organise une sorte de chorégraphie, qui sera plus ou moins dansée en fonction des moments.

Il se dégage une émotion bien réelle de l'échange entre le jeu et le public. La performance en elle-même est remarquable : l'exercice est très physique et demande un grand investissement du corps. Mais les artistes mobilisent également leur sensibilité. Se manifestent chez les spectateurs des sentiments similaires à ceux qui nous touchent lorsque nous traversons une galerie où sont exposés les chefs-d'œuvre d'artistes performants : de la nostalgie, du dérangement, de la tendresse, de l'espoir… Cette œuvre bouleverse.

© DR.
© DR.
Nous serons parfois invités à participer à ce qui ressemble à une fête. Le public est installé de part et d'autre de l'aire principale de représentation. Les comédiens iront les chercher un par un, les invitant à se joindre à eux. Déjà l'on observe une façon différente de se mouvoir. Les fous dansent sans se référer aux regards des autres. Ils dansent comme ils en ont envie, pour eux. Alors, nos gestes à nous aussi, sans que nous y fassions attention, s'allongent, se désorganisent. Les comédiens nous libèrent pour quelques instants des conventions sociales.

Il n'y a que trois types de personnes qui ne se retrouvent pas enchaînées par les normes de la culture : les enfants, qui ne sont pas encore formatés comme la société le voudrait ; les artistes, qui s'affranchissent d'eux-mêmes ; les débiles mentaux (au sens psychologique du terme), qui appartiennent à une autre réalité. Trois types que nous apercevons simultanément devant nous.

La représentation n'est plus seulement de l'ordre du théâtre ; elle devient un art hybride, y mêlant peinture et musique. Le spectacle nous fait l'effet d'un immense tableau vivant et mouvant. C'est une expérience visuelle et auditive qui pourra sembler déroutante pour certains, mais qui sera primordiale pour tout ceux qui s'intéressent à l'art et la société, et au rapport intime qu'il existe entre ceux-ci et l'être humain.

"Dementia Praecox"

© DR.
© DR.
Mise en scène et chorégraphie : Elizabeth Czerczuk.
Avec : Laurence Crémoux-Colson, Deáky Szandra, Aurélie Gascuel, Roland Girault, Valentina Gonzales Salgado, Yvan Gradis, Chantal Pavese, Sarah Pierret, Coralie Prosper, Jean-Philippe Robertella, Zbigniew Rola, Elzbieta Rosa Desbois, Bugu Selen Somer, Elzbieta Swiatkowska, Roxy R.Théobald, Théo Tordjman, Miguel Angel Torres Chavez, Özge Pelin Tüfekçi, Julien Villacampa Boya Saura.
Musique originale : Sergio Gruz, Julian Julien.
Musiciens : Karine Huet (accordéon), Anne Darrieu (violon), Thomas Ostrowiecki (percussions).
Décors : Joseph Kruzel.
Costumes : Joanna Jasko Sroka.
Régie son, lumière : Tsiresy Begana, Emmanuelle Stauble, Lucas Crouxinoux.
Durée : 1 h 15.

Du jeudi 7 au au samedi 16 décembre 2017.
Jeudi, vendredi et samedi à 20 h 30.
Reprise au T.E.C. du 11 au 27 janvier 2018 puis du 1er au 10 février 2018.
Jeudi, vendredi et samedi à 20 h 30.
Théâtre Elizabeth Czerczuk (T.E.C.), Paris 12e, 01 84 83 08 80.
>> theatreelizabethczerczuk.fr

Ludivine Picot
Mercredi 13 Décembre 2017

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024