La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"People Under No King (P.U.N.K.)" Remake stupéfiant d'une déferlante libertaire…

Pour faire (re)vivre et - et ne surtout pas "représenter" - le mouvement PUNK échappant à toutes normes et mêlant dans le même trip inventions musicales et aspirations vitales, Renaud Cojo a invité deux performeurs électrons libres de Jan Fabre, Annabelle Chambon et Cédric Charron, un comédien double de Lester Bangs, ce rock-critic "scandaleux", et l'Ensemble musical UN de David Chiesa aux improvisations tout autant fulgurantes. Le résultat ? Un plateau dévasté… et un public conquis.



© Frédéric Desmesure.
© Frédéric Desmesure.
"Ouvre le Chien", nom choisi par Renaud Cojo pour qualifier sa compagnie, se revendiquant comme une "structure dont la vocation est à trouver du côté du recyclage in vivo d'utopies contrariées", s'est taillé une réputation liée à un appétit musical sans frontières et à des options hors carcans. Et, au vu de la déflagration causée par cette performance, on peut affirmer qu'il n'y a pas là tromperie sur la marchandise… marchandise échappant justement aux recettes susceptibles de "se faire acheter" par les programmateurs soucieux de ne point trop choquer leurs financeurs.

"Imagine" de John Lennon (1971), sorti en pleine guerre du Vietnam, apparaît comme une bluette aux yeux de cette génération du mitan des années soixante-dix confrontée au désœuvrement, à la drogue et à l'alcool, succédanés utilisés à l'envi pour "éponger" les désarrois d'un monde sans horizon d'attente. Dieu est (définitivement) mort et les idéologies porteuses d'espoir ont vécu, seule la dérision portée à son incandescence semble pouvoir accueillir le mal de vivre de ces jeunes gens.

© Frédéric Desmesure.
© Frédéric Desmesure.
Imaginez un plateau déjà destroy avant que tout ne commence… Canettes de bière défoncées, poches de chips et de pop-corn éventrées, jonchant le sol. Canapé fatigué recueillant le corps imbibé de Lester Bangs, ce rock-critic iconoclaste aux yeux dissimulés par d'épaisses lunettes noires et arborant une corpulente moustache. Ainsi apparaît, sortie des limbes où elle végétait, l'icône du garage rock qui, après avoir popularisé le nom de "punk", décéda prématurément à l'âge du Christ victime, elle, de sa foi en l'alcool et les drogues.

Si l'on ajoute une basse électrique, une batterie, un clavier et une trompette trônant sous des projecteurs éclairant un décor digne d'une friche industrielle, le cadre est planté. Action… Bruits cacophoniques stridents émanant du synthé, de la trompette et autres instruments "donnant de la voix" pour accompagner celle du critique égrenant entre deux magistraux rots son CV intranquille. Pour les distraits, l'adresse est sans équivoque : on est là pour "parler" de l'histoire du punk, vingt ans de l'histoire du rock. Le punk est une attitude et, d'emblée, on est mis au parfum par celui-là même qui va nous le conter, au travers de son objectif, ô combien haut en couleur.

Alors, au rythme du crépitement déréglé des touches de la machine à écrire sur laquelle le critique tapait ses longs articles à haute valeur littéraire, deux bras, dans une symétrie parfaite, soulèvent lentement les couvercles des deux malles juxtaposées qui les contiennent… pour tirer avec application une dernière taffe avant de jeter leur mégot… et de trinquer joyeusement, canettes de bière en mains. Deux jambes et deux corps en tout point symétriques, expurgés de leur contenant, se fracassant sur le sol. Les deux performeurs hors normes et hors-sol de Jan Fabre donneront alors divinement "à entendre" l'essence du punk, leurs corps électrisés par les musiques en live faisant écho à celles des Ramones, de MC5 (Motor City Five), Iggy Pop & The Stooges, ou encore des Sex Pistols ; New York, Détroit et Londres confondus dans le même chaos sonore et les mêmes lumières stroboscopiques sculptant l'espace.

Incarnant à s'y tromper le jeu sauvage et impressionnant d'Iggy Pop, torses nus et étoiles non genrées sur les tétons, les deux performeurs extatiques vont - dans de violentes chorégraphies acrobatiques orchestrées au millimètre - s'ingénier à le faire revivre. Ainsi des plans séquences où, tournant le dos au public, ils vont consciencieusement (faire semblant d') uriner sur des chaises avant de se délecter de leur jus vivant à grande lampée, ou encore essuyer méthodiquement leur fessier avec les portraits, l'un de Jimmy Carter, l'autre de Margaret Thatcher dite La Dame… de Fer.

© Frédéric Desmesure.
© Frédéric Desmesure.
La provocation permanente érigée comme art de vivre trouve son pendant dans les flux musicaux à décibels non contrôlés et dans l'exubérance verbale qui l'accompagne faisant la nique à toute poétisation jugée, elle, vulgaire. Au micro, les pratiques sexuelles et "asociales" des punks sont disséquées pour être élevées au rang de mantras libertaires. Si Patti Smith trouve alors grâce aux yeux du critique, le trop lisse David Bowie est moqué avec humour. Les comprimés RORER 714, à effet de drogues récréatives, se précipitent dans les vidéos projetées en fond de scène, libérant leur puissance psychotrope jusque dans la salle.

Ainsi, en totale complicité avec le narrateur qu'il s'est choisi au travers du prisme du rock-critic Lester Bangs, revendiquant haut et fort la subjectivité déliée de toute entrave comme instrument seul susceptible de pouvoir capter l'effervescence d'un phénomène musical et socio-politique rebelle à tout "encrage", Renaud Cojo convoque superbement l'esprit du mouvement punk. De Détroit, mis à mal par la ruine industrielle, au Londres de Margaret Thatcher, c'est le souffle libertaire déferlant comme une déflagration sur le monde fini qui envahit le plateau, éclaboussant le public captif.

© Frédéric Desmesure.
© Frédéric Desmesure.
La force de cette déflagration tient au fait qu'il ne s'agit aucunement là d'une "représentation" d'une histoire héroïsée figée dans la naphtaline - çà ce serait le job du libéralisme qui en recyclant dans la machine à laver du profit les expériences underground en présenterait une version muséifiée, déminée, à l'usage des bonnes âmes consommatrices de culture délicieusement sulfureuse - mais d'une immersion plain-pied dans une communauté ô combien "vivante".

Et, paradoxe ou aporie, ce sentiment de "dés-ordre" voulu obéit secrètement à une trame tissée de haute main par le metteur en jeu. En effet, la virtuosité musicale de l'Ensemble Un et le brio fabuleux des corps des trois performeurs invités au plateau ne doivent rien au hasard et sont partie intégrante de l'euphorisante énergie collective circulant en boucles dissonantes. "Recyclage in vivo d'utopies contrariées" ? On ne pourrait mieux dire.

Vu le jeudi 17 mars au TnBA, Salle Vauthier, à Bordeaux. Représenté du 15 au 19 mars 2022 (en partenariat avec l'Opéra National de Bordeaux).

"People Under No King (P.U.N.K.)"

© Frédéric Desmesure.
© Frédéric Desmesure.
Conception et mise en scène : Renaud Cojo.
Assistante stagiaire à la mise en scène : Alexane Thomma.
Direction musicale : David Chiesa.
Chorégraphie : Annabelle Chambon et Cédric Charron.
Avec : Annabelle Chambon, Cédric Charron, Antoine Esmérian-Lesimple.
Musiciens : David Chiesa (basse électrique), Blanche Lafuente (batterie), Barbara Dang (clavier), Timothée Quost (trompette), Matthieu Werchowski (violon).
Scénographie : Éric Blosse, Florent Blanchon.
Lumières : Fabrice Barbotin, Florent Blanchon.
Images vidéo : Laurent Rojol.
Diffusion sonore et régie générale : Pierre-Olivier Boulant.
Production : Cie Ouvre le Chien, compagnie conventionnée par la DRAC Nouvelle-Aquitaine en coréalisation avec l'Ensemble UN.
Durée : 1 h 30.

© Frédéric Desmesure.
© Frédéric Desmesure.
Les textes de Lester Bangs sont traduits par Jean-Paul Mourlon et édités en France par Tristram. La performance est dédiée à Florent Blanchon, artiste créateur des lumières, décédé brutalement en janvier 2022.

Yves Kafka
Jeudi 24 Mars 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024