La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Bérénice" Renoncer à l'amour n'est-il pas parfois nécessaire à vivre et à vaincre ?

Titus, empereur de Rome, et Bérénice, Reine de Palestine, s'aiment. Ils décident incessamment de se marier pour concrétiser leur amour. Mais Rome ne voit pas cette initiative d'un très bon œil, cette dernière n'acceptant, sous couvert de la loi, aucun sang étranger… Titus se retrouve devant un choix déchirant : son empire ou l'amour.



© Sophie Boulet.
© Sophie Boulet.
En secret, un autre personnage et ami fidèle de Titus, est aussi amoureux de Bérénice : Antiochus, Roi de Comagènes. Mais la Reine n'éprouve que de l'amitié pour lui. Bérénice parviendra-t-elle à persuader Titus ? Titus abdiquera-t-il dans ce cas ? Et Antiochus, érigé en quasi double de Titus, pourrait- il devenir un rival et provoquer une situation conflictuelle à l'avenir ?

Dans sa pièce, Jean Racine fait dire à son héroïne Bérénice : "J'étouffais pour l'amour". On peut se demander si Muriel Mayette-Holtz, ancienne administratrice de La Comédie-Française et actuelle directrice du Théâtre national de Nice, s'est attaquée pour la deuxième fois à cette pièce en ayant cette fois-ci comme leitmotiv créateur cette réplique particulière ! À en juger par ses choix de décors et de scénographie, c'est peut-être le cas : une vaste chambre moderne semblable à une chambre d'hôtel, illuminée par deux immenses baies vitrées par lesquelles Bérénice laisse vagabonder sa pensée et donne libre cours à son désarroi.

© Sophie Boulet.
© Sophie Boulet.
Rien qui ne rappelle en tout cas l'étouffement. Bien au contraire. C'est un espace plutôt vide ou trône un grand lit, baigné de lumières diverses et plutôt chaudes pour lequel la metteuse en scène a opté. Comme pour privilégier la parole et les mots, car, chez Racine, à bien y regarder, est-il nécessaire de se barder d'artifices pour s'imprégner de l'âme des protagonistes, percevoir la force de leurs sentiments et leurs contradictions ?

Ce choix de scénographie est juste et éclairé. Carole Bouquet y déambule avec élégance et excelle dans son jeu sobre et très efficace, vêtue tout aussi simplement d'une robe-fourreau grise et chaussée d'escarpins raffinés. Pas d'extravagances ni d'effusions tragiques, mais plutôt des comédiens investis de raison face à leurs élans du cœur et à leur amour-propre.

La maîtrise des alexandrins par l'ensemble des cinq comédiennes et comédiens côtoie les étoiles. Il y a comme quelque chose de feutré à la David Hamilton dans cette heure et demie de spectacle dans lequel les spectateurs et spectatrices sont embarqués(es). Peut-être parce qu'il n'y a ni morts ni sang quand bien même il s'agit d'une tragédie. Sûrement aussi parce que l'action de la pièce a été resserrée et des coupes du texte choisies.

© Virginie Lançon.
© Virginie Lançon.
Mais peut-être aussi grâce au talent des trois comédiens principaux : Carole Bouquet déjà nommée dans le rôle de Bérénice et interprétant ce rôle pour la troisième fois au théâtre, Frédéric de Goldfiem dans le rôle de Titus, vertigineusement humain dans son rôle d'empereur empêché, souffrant, et à qui on aimerait venir en aide. Et Jacky Ido, bouleversant du haut de sa carrure d'athlète imposante.

Soulevons à son sujet le choix de Muriel Mayette-Holtz d'avoir engagé un comédien "non-blanc" pour interpréter le personnage d'Antiochus, choix qui rend certainement hommage aux comédiens noirs dont trop souvent l'invisibilité est encore bien trop notoire au théâtre ! Le comédien happe le public du haut de sa stature de boxeur poids lourd.

Assister à la mise en scène de "Bérénice" à la Scala, c'est passer un bien joli moment de spectacle comme dans un tableau hyperréaliste d'Edward Hopper où l'extraordinaire jaillit derrière l'ordinaire.

Rien de si extraordinaire que cela dans cette nouvelle mise en scène de Muriel Mayette-Holtz, juste, assurément, le talent d'une femme comédienne et metteuse en scène brillante dont notre théâtre français a bien besoin.

"Bérénice"

© Sophie Boulet.
© Sophie Boulet.
Texte : Jean Racine.
Mise en scène : Muriel Mayette-Holtz.
Avec : Carole Bouquet, Frédéric de Goldfiem, Jacky Ido, Augustin Bouchacourt et Ève Pereur.
Décor et costumes : Rudy Sabounghi.
Musique originale : Cyril Giroux.
Lumière : François Thouret.
Production : Théâtre national de Nice.
Durée : 1 h 25.

A été représenté du 15 septembre au 12 octobre 2022.
Théâtre La Scala, Grande Salle, Paris 10e, 01 40 03 44 30.
>> lascala-paris.fr

Brigitte Corrigou
Mercredi 19 Octobre 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024