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Avignon 2024

•Off 2024• "Jacques et Chirac" Un "Magouille blues"* décapant et burlesque qui n'occulte pas le mythe du président sympa et séducteur

Une comédie satirique enjouée sur le pouvoir, le mensonge et la Cinquième République portée par une distribution tonitruante et enthousiaste, dégustant avec gourmandise le texte de Régis Vlachos pour en offrir la clownesque et didactique substantifique moelle aux spectateurs. Cela est rendu aussi possible grâce à l'art sensible et maîtrisé de l'écriture de l'auteur qui mêle recherche documentaire affinée, humour décapant et bouffonnerie chamarrée pour dévoiler les tours et contours d'un Jacques sans qui Chirac ne serait rien.



© Fabienne Rappeneau.
© Fabienne Rappeneau.
Portraitiste décalé et impertinent d'une Histoire de France ou de l'Humanité aux galbes pas toujours gracieux dont surgissent parfois les affres de notre condition humaine, Régis Vlachos, "Cabaret Louise" (Louise Michel), "Dieu est mort" (Dieu, mieux vaut en rire)"Little Boy" (nom de la bombe larguée sur Hiroshima), revient avec un nouveau spectacle (création 2023) inspiré d'un des plus grands scandales de notre histoire contemporaine : la Françafrique. Et qui d'autre que Jacques Chirac – l'homme qui faisait la bise aux dictateurs – pouvait être convoqué au "tribunal" du rire et de la fantaisie par l'auteur facétieux, mais doté d'une conscience politique aiguë, qu'est Régis Vlachos.

Le président disparu en 2019 fut un homme complexe composé du Chirac "bulldozer" en politique, menteur, magouilleur, et du Jacques, individu affable, charmeur, mettant autant la main au cul des vaches que des femmes. Celui-ci fut d'abord attiré le communisme pour ses idéaux pacifistes. Il vendra même L'Humanité-dimanche devant l'église Saint-Sulpice.

La diversité des personnalités importantes qui marquèrent le début de son chemin politique joue tout autant la complexité : Michel Rocard, André Malraux et, bien sûr, Georges Pompidou comme modèle, Marie-France Garaud, Pierre Juillet… et Dassault comme portefeuille ! Le tout agrémenté de nombre de symboles forts et de cafouillages désastreux : le bruit et l'odeur, la pomme, le cul des vaches, les vacances à l'île Maurice, les amitiés avec les despotes infréquentables, l'affaire ELF, etc.

© Fabienne Rappeneau.
© Fabienne Rappeneau.
Pour narrer le parcours de Jacques Chirac et de son passage/impact sur la 5ᵉ République, émerge sur la plume de l'auteur, soutenue, accentuée par la mise en scène de Marc Pistolesi, une farce irrévérencieuse où se met en place, côté scénographie, l'ingénieux et impressionnant dispositif vidéo créé par Cédric Cartaut, composé d'une douzaine d'écrans de différentes tailles pouvant diffuser en même temps le même extrait d'émissions télé ou être une mosaïque de différentes séquences audiovisuelles, images d'archives ou images fabriquées.

De ces dernières et d'une sérieuse recherche documentaire émanent les quelques phrases bien senties que Chirac a laissées à l'Histoire de France quelques phrases : "Je ne trompe pas ma femme, je me trompe de femme" ; (à propos de Margaret Thatcher) "Mais qu'est-ce qu'elle me veut de plus cette mégère ? Mes couilles sur un plateau ?" ; "Si vous ajoutez à cela le bruit et l'odeur, eh bien le travailleur français sur le palier, il devient fou" ("Discours d'Orléans", 19 juin 1991) ; (en version anglaise approximative lors de sa visite en Israël en 1996, sermonnant le service de sécurité israélien) "What do you want ? Me to go back to my plane and go back to France ? (…) This is not a method. This is provocation !".

© Fabienne Rappeneau.
© Fabienne Rappeneau.
L'humour, le comique de situation, voire les notes burlesques, sont savamment dosés, subtilement distillés, ponctuant, tout au long du spectacle, les assertions, les thèses et autres révélations de l'auteur… qui, pour certaines, furent risibles à leur époque, mais n'en demeuraient pas moins dramatiques, voire côtoyant l'horreur, concernant notamment l'amitié avec nombre de dictateurs.

Parfois, et c'est là tout le talent de Régis Vlachos, Charlotte Zotto et Marc Pistolesi, certains événements sont traités en associant une forme d'élégance surannée et une dérision bon enfant, particulièrement la séquence de l'année que Jacques a passée aux États-Unis, sa rencontre et ses fiançailles avec une jeune fille de Caroline du Sud. Le traitement de cette période, à la fois dans le jeu de la comédienne et des deux comédiens, dans les costumes et le choix d'une gestuelle intelligemment chorégraphiée par Mathilde Ramade, n'est pas sans rappeler l'ambiance graphique des romans-photos des années soixante.

Charlotte Zotto, dans ses différents rôles, fait montre d'une énergie incroyable, embrassant les personnages – Florence l'américaine, Claude Chirac, Marie-France Garaud, une animatrice de jeux télévisés, etc – avec un égal enthousiasme artistique. D'une manière générale, les trois interprètes – Charlotte susnommée, Régis Vlachos et Marc Pistolesi (interprétant aussi plusieurs personnages, tant masculins que féminins, dont Bernadette) – expriment avec talent la force à la fois cocasse et tragique de chaque personnalité, avec parfois ce dessin corporel et caricatural propre à la BD.

© Fabienne Rappeneau.
© Fabienne Rappeneau.
Quant à Régis Vlachos, il endosse à la perfection un Jacques doublé d'un Chirac à la fois charismatique, séducteur, ardent travailleur, parfois émouvant, laissant apparaître les fêlures générées par la non-réalisation de ses rêves de liberté. Donnant de temps en temps une densité dramatique au Jacques frustré, il réussit à incarner avec brio le Chirac de comédie, guignol politique qui marque néanmoins la cinquième république.

Auteur et comédien, créateur de la compagnie Le Grand Soir, après avoir joué plusieurs pièces emblématiques de Bertolt Brecht, Régis Vlachos nous nourrit d'un théâtre populaire – comme l'imaginait le dramaturge allemand – où l'on rit et l'on se divertit, dans une manière de pamphlet, sur des sujets cruciaux sur lesquels il est ou serait nécessaire de prendre parti.
◙ Gil Chauveau

* Référence à "Magouille blue" de François Béranger, chanson sortie en 1974.

"Jacques et Chirac"

© Fabienne Rappeneau.
© Fabienne Rappeneau.
Auteur : Régis Vlachos.
Adaptation : Charlotte Zotto.
Mise en scène : Marc Pistolesi.
Avec : Régis Vlachos, Charlotte Zotto, Marc Pistolesi.
Décor : Jean-Marie Azeau.
Lumières : Thomas Rizzotti.
Costumes : Coline Faucon.
Chorégraphie : Mathilde Ramade.
Création son et vidéo : Cédric Cartaut.
Régie : Leïla Hamidaoui, Cédric Cartaut.
Part la Compagnie du Grand Soir.
Durée : 1 h 25.

•Avignon Off 2024•
Du 29 juin au 21 juillet 2024.
Tous les jours à 13 h 05. Relâche le lundi.
Théâtre La Luna, Salle 1, 1, rue Séverine, Avignon.
Réservations : 04 90 86 96 28.
>> theatre-laluna.fr

Gil Chauveau
Vendredi 12 Juillet 2024

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•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

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© Philippe Hanula.
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N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024