La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Fuir loin du présent avec la pièce suédoise de Rasmus Lindberg, "Dan Då Dan Dog"

Programmée lors des Rencontres d'Hiver qui ont eu lieu du 24 au 29 janvier 23, cette pièce est la première mise en scène que Pascale Daniel-Lacombe réalise en tant que directrice du CDN de Poitiers. Un CDN unique en son genre puisqu'il ne possède pas de lieu propre mais doit proposer ses actions et ses spectacles dans diverses structures de la ville et de la région. C'est pourquoi cette création a été proposée au Centre d'Animation de Beaulieu en périphérie de la ville.



© Xavier Cantat.
© Xavier Cantat.
Même si le titre original a été conservé dans la langue native de l'auteur, le suédois, rassurez-vous, toute la pièce est jouée en français (traduction de Marianne Ségol-Samoy et Karin Serres, Éditions Espaces 34). Mais l'ambiance des pays nordiques est pourtant bien présente. Une nostalgie, un fatalisme qui se veut optimiste et surtout une temporalité différente se dégage de ce texte qui se déroule dans une petite communauté et se base sur un tout petit fait divers pour nous parler du présent.

Une communauté où tout le monde se côtoie à défaut de se connaître. Il y a les vieux, les jeunes, les représentants de l'institution censés se préoccuper des citoyens : un pasteur, un médecin, un employé des pompes funèbres. À croire que l'auteur a décidé de nous montrer un panel représentatif d'une communauté classique. Et en effet, tous personnages sont absolument ordinaires. Les vieux s'ennuient, sont nostalgiques et sont atteints de maladies définitives, les jeunes s'ennuient, s'aiment, se trompent et rêvent d'un avenir ailleurs, les autres fonctionnent en fonction de leurs fonctions. Ce qui fait l'originalité de cette pièce, c'est la construction faite de brèves scénettes qui s'entrecroisent dans un espace indéterminé, mais surtout l'agitation vaine et impuissante qui habite tous les protagonistes.

Il y a bien un fil conducteur, une histoire, un fait divers qui relie ces personnages. Une balle perdue destinée à se débarrasser d'un rival finit par tuer un chien. L'auteur Rasmus Lindberg, encore méconnu en France, construit sa pièce sans révéler d'ordre chronologique mais, au contraire, en faisant des zooms successifs sur différents lieux et sur les personnages qui seront tous concernés à un titre ou à une autre par ce fait divers. Mais, encore une fois, la force du propos ne se situe pas vraiment dans cette histoire même si la sensation d'un puzzle en désordre qui en ressort donne une juste image du fond de cette pièce.

© Xavier Cantat.
© Xavier Cantat.
Dans cette communauté règne surtout un sens absolu de l'individualisme. Chacun n'est préoccupé que de lui-même, de ses propres soucis. Et dans cet univers ainsi segmenté, c'est alors le fait de vivre au présent qui semble totalement impossible. Toutes les rencontres, toutes les interactions aboutissent soit à une absence d'empathie et de compassion, soit à une méprise. Comme si tous ces gens n'étaient capables que d'être ailleurs que dans le présent, dans leurs pensées, dans leurs propres histoires. Il apparaît même tout au long de la pièce un personnage étrange, une femme, qui semble assister à tout, un personnage qui se révèle ne pas avoir de place dans la pièce, elle aussi, ailleurs qu'ici.

La mise en scène de Pascale Daniel-Lacombe a trouvé une manière ingénieuse de rebondir d'un lieu à un autre en inventant un système de grand plateau (un peu comme un plateau de jeu de société, de jeu de rôles) sur lequel les différents éléments scéniques avancent ou reculent guidés dans des rails. Un dispositif surmonté d'un pont coulissant qui lui aussi s'avance ou recule et permet de jouer d'autres scènes, nocturnes. Tout cela ajoute un côté ludique et décalé par rapport à la réalité. La pièce apparaît finalement uniquement comme un jeu, un escape game sans issue et les personnages qui la composent… désespérément tragique ou comique au vu de leurs difficultés à vivre face à la fatalité.

"Dan Då Dan Dog (Le jour où le jour est mort)"

© Xavier Cantat.
© Xavier Cantat.
Texte : Rasmus Lindberg, Éditions Espaces 34.
Adaptation d'après "Le mardi ou Morty est mort".
Traduction : Marianne Ségol-Samoy et Karin Serres.
Mise en scène : Pascale Daniel-Lacombe.
Assistante à la mise en scène : Juliet Darremont-Marsaud.
Dramaturgie : Marianne Ségol-Samoy.
Avec : Mathilde Viseux, Elsa Moulineau, Mathilde Panis, Étienne Kimes, Ludovic Shoendoerffer, Jean-Baptiste Szezot, Étienne Bories.
Scénographie : Philippe Casaban, Éric Charbeau, Pascale Daniel-Lacombe.
Création lumière : Thierry Fratissier, assisté de Manon Vergotte.
Création sonore : Clément-Marie Mathieu.
Composition musicale : Pascal Gaigne.
Soutien chorégraphique : Compagnie Ex Nihilo, Jean-Antoine Bigot, Anne Le Batard.
Création Costumes : Béatrice Ferron.
Fabrication décor : Les ateliers du Théâtre de l'Union - Limoges.
Équipe de création accessoires scénographiques : Jérémie Hazael-Massieux, Clément-Marie Mathieu, Annie Onchalo, Laurent Boulé, Laurent Patard, Karlito Bouet-Levandoski, Étienne Kime.
Tout public à partir de 12 ans.
Durée : 1 h 30.

A été représenté les 25 et 26 janvier 2023, au Centre d'Animation de Beaulieu, dans le cadre des Rencontres d'hiver proposées par Le Méta - CDN Poitiers Nouvelle-Aquitaine.

Tournée
Du 6 au 9 mars 2024 : Théâtre de L'Union - CDN, Limoges (87).
Du 13 au 16 mars 2024 : Le Préau - CDN, Vire (14).

Bruno Fougniès
Mardi 31 Janvier 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024