La Halle des Chartrons, à l'architecture métallique emblématique de la fin du XIXe, est un ancien marché splendidement restauré et voué depuis 1998 aux manifestations culturelles. Au titre de ses deux fonctions successives, elle était toute destinée à accueillir – et ce depuis vingt-cinq ans – "Le Marché… de la Poésie de Bordeaux". Ainsi, du 22 au 26 mars cette année, se succèdent les interprétations des poètes invités et des spectacles vivants, créant un véritable bouillonnement culturel propice à rendre sensible la poésie descendue de ses cintres pour se frotter au public.
Tel qu'en lui-même, Nicolas Bouchaud s'avance vers le micro, précieux feuillets en mains de la "Contre-parole" (titre qu'il a choisi) qu'il se propose à faire résonner en nous en se glissant dans l'univers du poète juif allemand naturalisé français. Pour Paul Celan, la poésie n'est nullement du domaine de l'énonçable, genre qui a affaire à une prose structurée rendant compte en toute logique de son énoncé. Sur un versant opposé, réside la poésie… le domaine de ce qui ne peut se dire, de ce qui émane d'un langage échappant à toute logique, un langage ici à jamais mutilé par les bourreaux nazis rendant chaotique toute pensée qui aurait la prétention de s'en faire le porte-parole. D'où la "contre-langue", comme Celan la nommait, seule apte – au travers de ses ellipses, fractures, images écrans – à dire… l'indicible. "Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face".
Tel qu'en lui-même, Nicolas Bouchaud s'avance vers le micro, précieux feuillets en mains de la "Contre-parole" (titre qu'il a choisi) qu'il se propose à faire résonner en nous en se glissant dans l'univers du poète juif allemand naturalisé français. Pour Paul Celan, la poésie n'est nullement du domaine de l'énonçable, genre qui a affaire à une prose structurée rendant compte en toute logique de son énoncé. Sur un versant opposé, réside la poésie… le domaine de ce qui ne peut se dire, de ce qui émane d'un langage échappant à toute logique, un langage ici à jamais mutilé par les bourreaux nazis rendant chaotique toute pensée qui aurait la prétention de s'en faire le porte-parole. D'où la "contre-langue", comme Celan la nommait, seule apte – au travers de ses ellipses, fractures, images écrans – à dire… l'indicible. "Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face".
En guise de prélude, le comédien s'empare de l'allocution prononcée le 26 janvier 1958 par Paul Celan, discours adressé à la ville de Brême dont il a reçu le prix de littérature. L'occasion pour lui d'évoquer la "langue-mémoire" dont le poète fait œuvre. Une mémoire, la sienne, celle de son enfance, du pays "où vivaient des hommes et des livres", et d'où n'a survécu, au milieu d'un champ de désastres, que la langue allemande… Mais une langue chargée de l'expérience mortifère dont elle porte les stigmates. Aussi le poète est-il semblable au funambule devant cheminer sur une ligne improbable. Savoir et ne pas savoir. Ne pas occulter le versant du passé, mais ne pas se laisser enfermer par lui. Ouvrir sur un autre versant, celui de tous les possibles "à-venir". La langue de la poésie est ainsi à prendre "comme une bouteille à la mer mettant le cap sur un tu à qui parler", elle est traversée par le désir d'une rencontre hypothétique avec un autre qui, de tout temps, aurait vocation à être touché par elle.
Suit un florilège de poèmes, tramés par la même obsession, si divers en soient les thèmes…
"L'éloge du lointain"
"Dans la source de tes yeux/vivent les nasses des pêcheurs de la mer délirante/Plus noir au fond du noir, je suis plus nu." ;
"Corona"
"Mon œil descend vers le sexe de l'aimée/nous nous regardons/nous nous disons de l'obscur/Il est temps que le temps advienne" ;
"Toi aussi parle"
"Parle/Mais ne sépare pas le oui du non/Donne aussi le sens à ton message : donne lui l'ombre" ;
"Brûlure"
"Nous ne dormions plus/et tu racontais une pénombre qui grandissait/et douze fois j'ai dit tu à la nuit de tes mots/et la nuit s'est ouverte/et elle est restée déclose" ;
et bien d'autres encore où l'ombre le dispute à la lumière, où l'existence ne se fait approcher qu'au travers des paradoxes qui la composent.
S'attardant sur un poème-phare, Nicolas Bouchaud en fait résonner jusqu'à nous la teneur à vif, rencontrant notre propre douleur de laisser encore aujourd'hui l'impensable se commettre…
"Fugue de mort"
" Lait noir de l'aube nous le buvons le soir/la mort est un maître d'Allemagne son œil est bleu/il t'atteint d'une balle de plomb il ne te manque pas/tes cheveux d'or Margarete/tes cheveux cendre Sulamith"…
… où Margarete l'Allemande et Sulamith la Juive sont ici réunies et opposées… là où ses propres parents trouvèrent la mort dans les camps nazis… là où lui, souffrant des troubles post-traumatiques de la Shoah se dirigeait sans le savoir vers son autodestruction… et là où nous courons sans sourciller vers de sombres demains.
Suit un florilège de poèmes, tramés par la même obsession, si divers en soient les thèmes…
"L'éloge du lointain"
"Dans la source de tes yeux/vivent les nasses des pêcheurs de la mer délirante/Plus noir au fond du noir, je suis plus nu." ;
"Corona"
"Mon œil descend vers le sexe de l'aimée/nous nous regardons/nous nous disons de l'obscur/Il est temps que le temps advienne" ;
"Toi aussi parle"
"Parle/Mais ne sépare pas le oui du non/Donne aussi le sens à ton message : donne lui l'ombre" ;
"Brûlure"
"Nous ne dormions plus/et tu racontais une pénombre qui grandissait/et douze fois j'ai dit tu à la nuit de tes mots/et la nuit s'est ouverte/et elle est restée déclose" ;
et bien d'autres encore où l'ombre le dispute à la lumière, où l'existence ne se fait approcher qu'au travers des paradoxes qui la composent.
S'attardant sur un poème-phare, Nicolas Bouchaud en fait résonner jusqu'à nous la teneur à vif, rencontrant notre propre douleur de laisser encore aujourd'hui l'impensable se commettre…
"Fugue de mort"
" Lait noir de l'aube nous le buvons le soir/la mort est un maître d'Allemagne son œil est bleu/il t'atteint d'une balle de plomb il ne te manque pas/tes cheveux d'or Margarete/tes cheveux cendre Sulamith"…
… où Margarete l'Allemande et Sulamith la Juive sont ici réunies et opposées… là où ses propres parents trouvèrent la mort dans les camps nazis… là où lui, souffrant des troubles post-traumatiques de la Shoah se dirigeait sans le savoir vers son autodestruction… et là où nous courons sans sourciller vers de sombres demains.
Il faudrait aussi évoquer l'interprétation d'un extrait du "Méridien", ce discours prononcé à l'occasion de la remise du prix Georg Büchner le 22 octobre 1960 et qui très vite se transforme en manifeste poétique. Paul Celan y oppose (et c'est repris avec gourmandise par l'acteur) l'art, somme d'artifices, domaine des faiseurs "pétrifiant le vivant", et la poésie qui à l'opposé "garde le cap sur l'Autre en se tenant dans le secret de la rencontre".
Enfin, comme chute éloquente s'il en est, Nicolas Bouchaud choisit d'interpréter le "Dialogue dans la montagne" d'août 1959 où le poète imagine une autre rencontre, celle de soi… au travers d'une adresse à un autre, les deux Juifs de l'histoire éprouvant l'un et l'autre le désir de parler mais ne se rencontrant finalement pas.
La poésie de Paul Celan est tout sauf monolithique, tout sauf une évidence… Seule, elle ne dit rien, mais est une "contre-dite", une "contre-parole" et a besoin d'un tiers qui l'accueille en lui pour prendre sens. À cet égard qui d'autre que Nicolas Bouchaud, s'effaçant derrière le texte tout en le faisant vivre dans ses moindres replis, pouvait mieux jouer le rôle de passeur ? Un passeur investi rendant possible cette rencontre poétique et improbable entre le poète suicidé, épris d'humanité, et nous frères humains qui après lui vivons.
Vu et entendu le lundi 25 mars à la Halle des Chartrons de Bordeaux, lors de la 25ᵉ édition du "Marché de la Poésie".
Enfin, comme chute éloquente s'il en est, Nicolas Bouchaud choisit d'interpréter le "Dialogue dans la montagne" d'août 1959 où le poète imagine une autre rencontre, celle de soi… au travers d'une adresse à un autre, les deux Juifs de l'histoire éprouvant l'un et l'autre le désir de parler mais ne se rencontrant finalement pas.
La poésie de Paul Celan est tout sauf monolithique, tout sauf une évidence… Seule, elle ne dit rien, mais est une "contre-dite", une "contre-parole" et a besoin d'un tiers qui l'accueille en lui pour prendre sens. À cet égard qui d'autre que Nicolas Bouchaud, s'effaçant derrière le texte tout en le faisant vivre dans ses moindres replis, pouvait mieux jouer le rôle de passeur ? Un passeur investi rendant possible cette rencontre poétique et improbable entre le poète suicidé, épris d'humanité, et nous frères humains qui après lui vivons.
Vu et entendu le lundi 25 mars à la Halle des Chartrons de Bordeaux, lors de la 25ᵉ édition du "Marché de la Poésie".
"La contre-parole"
Poèmes et écrits de Paul Celan.
Interprétés par Nicolas Bouchaud.
Durée : 1 h.
"Le Marché de la Poésie" de Bordeaux s'est déroulé du 22 au 26 mars 2024.
Interprétés par Nicolas Bouchaud.
Durée : 1 h.
"Le Marché de la Poésie" de Bordeaux s'est déroulé du 22 au 26 mars 2024.