La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"The Scarlet Letter", Angélica Liddell mouline à contre-courant en passionaria flagellée

"The Scarlet Letter", Théâtre de la Colline, Paris

La religion et son puritanisme fanatique sont le jus dans lequel baigne "La Lettre Écarlate", texte de Nathaniel Hawthorne datant de 1850. Cette nouvelle conte la punition d'une femme mormone qui, coupable d'adultère, voit son orgueil flétri par le port de la lettre A sur ses vêtements : A comme adultère.



© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Dès l'ouverture, Angélica Liddell nous plonge intégralement dans cet univers religieux, judéo-chrétien. Les chants d'église et autres dies irae inondent le plateau, Adam et Ève, dans la tenue d'Ève, viennent se recueillir sur la tombe de l'auteur : l'origine biblique, la musique liturgique, puis l'apparition masquée de silhouettes inquisitrices aux longues coiffes pointues, sont la panoplie complète de la religion catholique, qui sera cible mais aussi extase par la suite.

De l'histoire à laquelle elle emprunte le titre, c'est à peu près tout ce qu'elle conserve et une citation ou deux. Le texte et les scènes sortent de l'imaginaire de la performeuse. Elle s'engouffre avec sa délectation habituelle dans tout ce qui semble sulfureux, inconvenant, provoquant avec une harangue et une chorégraphie qui pendant plus d'une heure trente vont aller à l'encontre du féminisme, même le plus soft. Seule femme sur scène entourée d'une demi-douzaine et demie de comédiens nus, elle se lance dans un long sermon qui glorifie l'homme, et son sexe parade et humilie la nature féminine, ses faiblesses, ses turpides, ses miasmes physiques et mentaux.

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Avec une belle diarrhée verbale qui crache, vomit, éructe, elle accumule avec frénésie un catalogue des défauts féminins. C'est une liste sans fin, un pamphlet qui énumère les faiblesses de ces femmes de plus de quarante ans, celles qui espèrent encore provoquer le désir à coup de parfumades et de peinturlurades, qui cachent avec peine sillons du temps et fragrances acides. Pendant ce temps, les hommes autour d'elle font ballet de chair. Objets qu'on exhibe. Et pantins qui s'exhibent dans une écriture chorégraphique chaotique.

Sur une face, en gestes et en mots, le graveleux réel et sa pauvre chair en putréfaction, de l'autre, s'inscrivant sur le mur gigantesque du fond de scène, des citations et des hommages glanés dans les dictionnaires des philosophes et des artistes dont Angélica Liddell se sert comme d'une caution intellectuelle.

Le A de l'histoire d'origine se décline ainsi dans une typographie de courrier sur tout son alphabet universitaire et finit par être le A d'Artiste. Après avoir été le A, d'Ange, d'Angélica. Artiste est le passeport éternel qu'elle se donne à elle-même pour espérer donner à ses mots et ses gestes, un sens. L'idéal d'une vie comme une œuvre d'art.

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
C'est très romantique finalement. Mais sa recherche de provocation semble ici être un peu vide, sans imagination, un geste qui dérange à peine, du soufre qui n'a que la fumée d'un pétard de fête foraine. Peut-être est-ce à cause de l'absence totale de risque ? Quel risque pour un spectacle acheté sur plan par un théâtre national, comme on achète sur plan son studio au bord de la Costa Brava ? Le risque n'existe pas.

Pourtant, la même exhibition, dans une rue, au pied de la colonne Vendôme par exemple, ou ailleurs, avec l'intention libérée de provoquer des réactions, et le défi faite à la bienséance et l'ordre publique, la même exhibition aurait de l'éclat. Sur cette scène, l'éclat a pâli de complaisance.

"The Scarlet Letter"

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Librement inspiré de l'œuvre de Nathaniel Hawthorne.
Spectacle en espagnol, surtitré en français.
Texte et mise en scène : Angélica Liddell.
Scénographie et costumes : Angélica Liddell.
Avec : Joele Anastasi, Tiago Costa, Julian Isenia, Angélica Liddell, Borja López, Tiago Mansilha, Daniel Matos, Eduardo Molina, Nuno Nolasco, Antonio Pauletta, Antonio L. Pedraza, Sindo Puche.
Assistant à la mise en scène : Borja López.
Durée : 1 h 40.

Du 10 au 26 janvier 2019.
Du mercredi au samedi à 20 h 30, mardi à 19 h 30 et dimanche à 15 h 30.
Grand Théâtre, La Colline - théâtre national, Paris 20e, 01 44 62 52 52.
>> colline.fr

Bruno Fougniès
Jeudi 17 Janvier 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024