La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Petite Histoire de la médecine" Être confronté aux douleurs de l'Humain pour en puiser sa substantifique moelle et réjouir le public

Le docteur Hervé Laplante, véritable médecin de campagne, reçoit pour la énième fois madame Bernadette Ruffiaud, 98 ans, acariâtre et hypocondriaque professionnelle. Au cours de la consultation, il va remonter le fil de l'histoire de la médecine, de "la Grande Opération" de la fistule du Roi-Soleil par le chirurgien Charles-François de Tassy, en passant par l'enlèvement de la lance de l'œil d'Henry II par le célèbre Ambroise Paré, ou encore la découverte du vaccin de la variole par Edouard Jenner.



© Damien Pollet.
© Damien Pollet.
Dans la vie, subir un burn-out a parfois du bon ! Certainement pas pour tout le monde, bien entendu, mais c'est en tout cas ce qui s'est produit pour le docteur Hervé Laplante, médecin généraliste en milieu semi-rural qui, pour échapper à un quotidien "difficile", décide de monter un spectacle.

Gageons que, peut-être, les nombreuses consultations au fil de sa carrière l'ont indéniablement inspiré ! Une certaine Madame Ruffiaud, notamment, ou plusieurs, "Madame Ruffiaud". Mais de quoi se plaint-elle exactement, cette patiente hors pair qui empile les rendez-vous au cabinet ?

D'être encore en vie, apparemment, indépendamment d'avoir une pathologie précise, et bien lui en a pris de rester en vie, car, de toute évidence, elle est une muse à sa manière, inspiratrice d'un moment de spectacle fort bien ficelé et, à de nombreuses reprises, captivant.

"Je pensais vous distraire, Madame Ruffiaud, mais vous dormez !" Vous m'en voyez navré ! Je pensais vous instruire, vous cultiver, vous faire oublier toutes vos petites misères ! Mais vous m'avez épuisé. J'ai utilisé tout mon stock de paroles et je suis fatigué."

© Damien Pollet.
© Damien Pollet.
Laissons cette patiente hypocondriaque dormir paisiblement, ainsi que tous les autres patients et patientes du médecin, car le public, lui, ne s'assoupit pas une seconde. Les anecdotes évoquées, intelligemment mises en scène par Guy Verguet, sont justement dosées pour que cela ne se produise pas.

La complicité de Guy Bolet à l'écriture du texte en est certainement pour quelque chose ! Tour à tour maçon, ouvrier d'usine, chanteur de rues, cracheur de feu, acrobate, saltimbanque, directeur de cirque, funambule, machiniste, chauffeur de bus, garde du corps, Père Noël, cascadeur, animateur d'ateliers d'écriture en milieu carcéral, prof de guitare et de cinéma, avant de devenir dramaturge, cet homme étonnant, aussi écrivain autodidacte, a, semble-t-il, eu un coup de foudre pour le docteur Laplante lors d'une consultation un certain jour d'été. La réciproque s'est produite aussi !

Une étincelle, un rayon de soleil entre les quatre murs du cabinet jurassien, qui ont finalement donné naissance à ce seul en scène remarquable. À l'image de la poupée de chiffon qui sort comme par magie de la boîte multifonction, Guy Bolet est apparu, un spectacle est né, répété dans le grenier de la maison, au galop des pas d'un cheval, et bouleversé l'ordre des choses de la vie d'un médecin de campagne pour lequel l'exercice du métier, pourtant passion d'enfance, était devenue insupportable.

Le professeur Philippe Mercet, quant à lui, reste en coulisses du plateau, mais, de toute évidence, pas dans celles du cœur d'Hervé Laplante, car c'est grâce à lui que le spectacle a aussi germé, lors d'une conférence sur la médecine.

Malgré un début qui pourrait se montrer peut-être moins hâtif dans l'intention comique, ce seul en scène est un moment de théâtre finement mené. La mise en scène de Denis Verguet, composée essentiellement d'une caisse multifonction, qui se transforme au gré des anecdotes, oscille entre le théâtre de Guignol et une certaine magie enfantine qui dépassent pourtant cette simple sphère apparente.

"Petite Histoire de la médecine" ne se veut pas un spectacle didactique, loin de là, a contrario des intentions toutes méritoires et professionnelles du médecin vers Madame Ruffiaut, mais constitue un moment de théâtre attachant, instructif et très divertissant.

© Damien Pollet.
© Damien Pollet.
Le passage relatant l'opération de la fistule du Roi-Soleil, ou encore celui du combat d'Henri II, sont de réelles prouesses théâtrales pour qui n'a jamais pris de cours de théâtre ni fréquenté les cours Florent. Qui plus est, Hervé Laplante a des talents certains d'imitation d'équidés et autres animaux de l'étable… L'espace clos d'un cabinet médical fréquenté durant de nombreuses années a, de toute évidence, été subtilement productif.

Et d'ailleurs, qu'y trouve-t-on au juste entre les murs d'un cabinet médical ? Seulement de l'Humain. De l'Humain ! Encore de l'Humain !

Comme disait Jean Vilar, "Le Théâtre, c'est l'homme qui parle à l'homme des histoires d'hommes".

Pour ce qui est des femmes, Hervé Laplante ne les oublie pas. Merci beaucoup pour cela… Et nous ne parlons pas de Madame Ruffiaut ! Laissons-la dormir éternellement.
◙ Brigitte Corrigou

"Petite Histoire de la médecine"

Seul en scène contemporain.
Texte : Guy Bolet
Mise en scène : Denis Verguet.
Avec : Hervé Laplante
Durée : 65 minutes.

Du 25 août 2024 au 27 octobre 2024.
Dimanches à 20 h.
Manufacture des Abbesses, Paris 18ᵉ, 01 42 33 42 03.
>> manufacturedesabbesses.com

Brigitte Corrigou
Mercredi 11 Septembre 2024

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024