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Théâtre

"Peter Pan" et Julie Teuf : antidotes à un monde qui se rétrécit grandement…

Pour notre pauvre monde se rétrécissant à vue de nez comme peau de chagrin, y aurait-il sérieusement à apprendre de l'histoire fabuleuse de cet enfant qui refusait de grandir ? Lorsque la jeune metteure en scène, issue de la deuxième promotion de l'éstba* s'essaie à réécrire le "Peter Pan" de James Matthiew Barrie, ce sont les couleurs de l'enfance merveilleusement impertinente qui éclatent comme autant de pépites vivifiantes. Dans un dispositif nomade destiné à aller à la rencontre de son public, le monde de tous les possibles renaît sans concessions battant en brèche les sentiments timorés liés aux attendus raisonnables.



© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Un esprit libre de toutes amarres avancerait que l'un des plus pernicieux travers actuels serait de vouloir à tout prix trouver un problème insoluble… derrière chaque solution originale. Ainsi, pour se protéger d'un risque, réel quoique invisible, devrait-on - au nom de projections scientifiques sidérantes - "être adulte", c'est-à-dire se cloitrer, renoncer sur le champ aux activités autres que celles imposées par le travail, respecter la bien nommée "distanciation sociale"… en clair être en raccord de "bon sens" avec l'injonction adressée à chacun de renoncer sine die à l'essence même de ce que vivre veut dire.

Heureusement qu'existe quelque part, dans la bulle terrestre, le Pays de Jamais-Jamais habité par un garçon insolemment libre. Ce lieu de tous les possibles, dont le théâtre se fait ici l'impertinent écho, apparaît comme un viatique rendant caduques les résignations "adultes". En effet, au travers d'un savant jeu de miroirs et de mise en abyme de la réalité, la fiction se fait porte-parole des désirs secrets recouverts par des couches de messages de bon ton, prônant le renoncement au nom de la raison.

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Joué par un jeune homme inspiré par le rôle, Peter Pan dégage un dynamisme à renverser les montagnes de certitudes. Régnant hardiment sur ce Pays enchâssé dans un castelet aux pouvoirs magiques, il entend bien convaincre la craquante Wendy de devenir maman (et en ce qui le concerne, plus si affinités…) de ces enfants perdus qu'il recueille comme pour "réparer" en lui le manque originel d'amour maternel. D'ailleurs, malgré les réticences d'usage affichées (c'est une jeune fille bien élevée sous tous rapports… enfin presque), ce projet ne semble pas viscéralement déplaire à la belle - en mal de câlins - si l'on en croit l'ombre de Peter qu'elle a "innocemment" subtilisée afin de la garder tout contre elle la nuit.

Ainsi, franchissant allègrement la ligne de démarcation entre le possible rêvé et l'imaginaire vécu, les deux jeunes gens seront réunis dans l'espace d'un castelet où Peter s'amusera à donner vie à des marottes tout autant facétieuses que leur manipulateur. Pressenties pour jouer le rôle de mamans, les marionnettes expressives en forme de sirène aquatique ou d'indienne flanquée d'un père au plumage coloré, s'agiteront joyeusement au bout du bâton du faiseur de rêves avant de disparaître. Le tout sous l'œil charbonneux d'une fée Clochette, sensuelle et séductrice hôtesse, "harponnant" à l'envi tout public sous l'effet de la petite musique distillée par ses cordes pincées.

Quant au pitoyable Capitaine Crochet, il est le seul représentant du monde adulte, l'archétype parfait d'un monde qui, au lieu de résilier les blessures de l'enfance, les reproduit jusqu'à plus soif… Et à ce titre, on ne peut dire qu'il le rende désirable ce monde désenchanté où tout lien à l'autre est marqué du sceau de l'absence d'amour lorsqu'il n'est pas carrément entaché de vilenies envieuses. Personne ne pleurera d'ailleurs sur le sort programmé de ce fantoche rongé par ses aigreurs et sa solitude pérennes, même si un sursaut ultime le sauve de l'abomination.

Mine de rien, en convoquant l'adhésion par le rire et le sensible, ce conte reprend force pour faire infuser dans les replis des consciences colonisées le désir impérieux de ne jamais, non au grand jamais - dans le "Pays de Peter Pan" ou dans le nôtre tant les frontières entre rêves et réalités sont mouvantes - renoncer au sel de tout passage sur terre. Aimer, être aimé, c'est là la pierre philosophale, l'essence de l'existence, et ce n'est pas ce garnement ô combien sympathique de Peter Pan qui nous désavouera, lui qui, pour les beaux yeux de Wendy, semble désormais prêt à s'évader du monde de l'enfance… en en gardant, précieusement, la substantifique moelle.

"Peter Pan"

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
D'après "Peter Pan, ou le garçon qui ne voulait pas grandir" de James Matthew Barrie.
Texte et mise en scène : Julie Teuf.
Avec : Clémence Boucon, Zoé Briau, Félix Lefebvre, Léo Namur.
Construction décor : Loïc Ferié, Éric Ferrer et Marc Valladon.
Costumes et accessoires : Estelle Couturier Chatellain, avec la complicité de Kam Derbali.
Chorégraphe des combats : Younes Boutinane.
Durée : 1 h.

Création, représentations destinées aux professionnels (+ classes invitées) le jeudi 28 janvier à 11 h et 15 h au TnBA, Bordeaux (33).

* éstba : École supérieure de théâtre de Bordeaux Aquitaine.

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Tournée (avec les réserves imposées par la situation sanitaire)
28 janvier 2021 : Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, Bordeaux (33).
5 mars 2021 : Ville d'Uzerche (19).
11 mars 2021 : Festival Abracadabrantesque, Bègles (33).
21 mars 2021 : organisée par l'Agence culturelle de la Dordogne, Saint-Aulaye-Puymangou (24).
7 avril 2021 : Internat éducatif et scolaire, Apprentis d'Auteuils, Blanquefort (33).
8 et 9 avril 2021 : École, Saint-Sulpice-et-Cameyrac (33).
3 au 7 mai 2021 : École Montgolfier, Bordeaux (33).
20 au 22 mai 2021: Festival BRIKABRAK, Le Bugue (24).
25 mai 2021 : dans le cadre d'un projet "Culture et Santé", Centre de la Tour de Gassies, Bruges (33).
3 et 4 juin 2021 : Festival Échappée Belle, Blanquefort (33).

Yves Kafka
Mardi 9 Février 2021

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•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
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© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
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© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024