La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2023

•Off 2023• "T. I. N. A." Un cocktail d'humour explosif qu'on boit jusqu'à l'ivresse

Un titre énigmatique pour un spectacle hors normes construit comme un fantastique mécano où s'assemblent les éléments épars de l'humour, de la volonté de réveiller les consciences et d'un discours politique et social d'autant plus intense qu'il n'impose rien. Tout cela grâce à un subterfuge de mise en scène des plus efficaces : l'art du clown venu intercéder pour nous raconter notre histoire et nous ouvrir les yeux et le cœur, comme un émissaire lointain venu témoigner notre réalité avec une lucidité décapante.



© Marie Charbonnier.
© Marie Charbonnier.
Tout est dans l'instant suspendu où le sourire du clown se fige sous ses yeux qui vous fixent. Cet instant donne le frisson, un peu comme si le masque blanc s'effaçait d'un coup pour laisser voir un abîme périlleux. Un clown, ce n'est pas un clown fait uniquement pour le rire. Celui-ci porte tous les stigmates de la réalité sous sa face hilare et une profonde tristesse égale sa profonde lucidité lorsque son regard se porte sur les humains, et sur la vie en général.

C'est inquiétant, ce clown qui diffuse tour à tour du rire et de l'angoisse. C'est chaleureux puis tout à coup glacé. Et on voit bien que ça n'a peur de rien : ni des mots, ni des cris, ni des silences, ni des regards, il nous fixe parfois à faire peur.

Inquiétant aussi car son visage est très mal passé au blanc. Les lèvres à peine colorées. On voit très bien les traits de la comédienne Garance Legrou. Et on ne sait plus trop qui joue le personnage. Le clown blanc joue à Garance Legrou ou le contraire ?

© Marie Charbonnier.
© Marie Charbonnier.
Et puis sur le plateau, on cherche en vain son contrepoint, son acolyte, Auguste, le clown potache est naïf qui fait rire les enfants avec ses facéties de gamin. Non, il est tout seul ce clown blanc avec son habit impeccable, son pantalon bouffant, son plastron plat, sa collerette immaculée. Pas trace d'Auguste, ses habits trop grands, sa perruque multicolore, ses tatanes démesurées et son nez rouge, largement ridicule, outrancier et naïf. Naïf a un point ! Non, il n'y a que nous, public, face à ce clown blanc sympathique et inquiétant. Alors c'est nous, le public, qui sera l'Auguste du spectacle. Celui qui rit tout le temps puisqu'un rire agrandit sa bouche, celui à qui on fait croire n'importe quoi et dont on botte les fesses impunément.

Rien de méchant là-dedans. Garance Legrou nous invite juste à être du spectacle, à le faire avec elle, à participer en quelque sorte, activement, comme il serait bon de participer activement à la vie sociale et politique. Et cela commence comme cela, comme un tâtonnement, une errance vers "on ne sait quoi" et l'illusion est belle, et chaque instant se clôt et ouvre sur un autre instant, inattendu. Partie de rien, d'un plateau nu, elle nous entraîne dans une ballade au travers du monde sur un demi-siècle, le demi-siècle de sa vie, une ballade qui est plus un trekking qui traverse toute la vie sociale et politique de cette période, depuis les paysages tragi-comiques des souvenirs d'adolescence jusqu'aux vertigineuses pentes abyssales du néolinéralisme en passant par une escapade dans l'art moderne vu à travers une nappe en toile cirée et un medley hilarant de la chanson populaire.

© Marie Charbonnier.
© Marie Charbonnier.
Mais ces dizaines de zigzags entre les souvenirs, aussi drôles, décalés, déstabilisants qu'ils soient, ne sont pas uniquement rire et distraction. La puissance du propos de T.I.N.A. tient à une juste colère, une profonde quête, une véritable angoisse face à la course effrénée de nos sociétés vers cette sorte d'inhumanité. Et cette soif politique qui teinte tout le spectacle est un cri touchant, émouvant, tragique, à la hauteur que sont les modèles libres-penseurs de Garance Legrou : Pierre Desproges, Romain Gary, Gotlib, Franquin.

"T. I. N. A. (There Is No Alternative)"

© Marie Charbonnier.
© Marie Charbonnier.
Texte : Garance Legrou.
Mise en scène : Alexandre Pavlata.
Assistante à la mise en scène : Lucie Reinaudo.
Avec : Garance Legrou.
Création lumière : Fabrice Peineau.
Création costume : Agathe Laemmel.
Création sonore : Judicaël Denecé.
Production Compagnie (ETC)*.
Coproduction Théâtre des Bains-Douches (Le Havre).
Durée 1 h 15.
À partir de 12 ans.

•Avignon Off 2023•
Du 7 au 29 juillet 2023.
Tous les jours à 11 h 05. Relâche le lundi.
Théâtre des Béliers, 53, rue du Portail Magnanen, Avignon.
Réservations : 04 90 82 21 07.
>> theatredesbeliers.com

Bruno Fougniès
Mercredi 14 Juin 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024