La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2023

•Off 2023• "Le journal d'une femme de chambre" Quand une "seule en scène" redore et condense joliment l'ouvrage initial

Le 14 septembre 1898, Célestine R., jeune femme de chambre, prend sa nouvelle place de domestique, au Mesnyl-Roy en Normandie, dans une famille bourgeoise et décide de tenir son journal en se promettant de n'employer aucune réticence, pas plus vis-à-vis d'elle que des autres, notamment ses employeurs.



© Philippe Hanula.
© Philippe Hanula.
Observant ses maîtres par le petit trou de la serrure, fouillant dans le linge sale, elle nous dévoile, derrière le masque de respectabilité de tout ce petit monde, un profond cloaque empli de bassesses et de laideur morale, de misère affective et sexuelle, de vilenies, mesquineries, cruautés, fourberies, tant des maîtres que des serviteurs, de turpitudes sociales et politiques, de perversions et dépravations en tous genres et autres ignominies.

Entreprise de démolition et de démystification, ce roman nous révèle l'envers du décor et nous amène à faire nôtre le constat vengeur de Célestine : "Si infâmes que soient les canailles, ils ne le sont jamais autant que les honnêtes gens".

Certes, le résumé ci-dessus est une parfaite vitrine de ce célèbre roman écrit par Octave Mirbeau et publié en 1900. Pourtant, le choix de Patrick Valette, metteur en scène, auteur et directeur de la Compagnie l'Escabotée, s'est porté exclusivement sur le prisme particulier de l'identité féminine incarnée dans le roman par Célestine, cette employée de maison battante, lucide face aux choses de sa vie et profondément sensible.

© Philippe Hanula.
© Philippe Hanula.
Pas de circonstances atténuantes pour la gent masculine dans cette adaptation, mais un très bel hommage à la femme, à ses combats opiniâtres, ses abnégations, ses sacrifices.

Comment ne pas avoir cerné, à ce point, le combat de cette femme lors de nos études universitaires en littérature comparée et comment être passée à côté de ce qui constitue de toute évidence la substantifique moelle du roman : le cri d'une femme engluée dans un ordre social dévastateur dont les rêves et l'amour permettent de tenir debout et de se battre ! Une chambrière, le double de Mirbeau s'il en est, à travers laquelle le romancier va réaliser l'objectif qu'il s'était fixé dès 1877 : obliger la société "à regarder Méduse en face" et à "prendre horreur d'elle-même".

Quel magnifique travail d'adaptation réalisé là par Patrick Valette. On se dit qu'il a dû être considérable. Mais une adaptation pour le théâtre n'est rien bien entendu, aussi brillante soit-elle, tant qu'elle n'est pas incarnée par les comédiens et les comédiennes…

© Philippe Hanula.
© Philippe Hanula.
Ici, de comédienne, il n'y en a qu'une sur scène, Dorothée Hardy, formidablement convaincante dans son rôle de femme, proie de la laideur morale du bourgeois et plus globalement de l'humanité toute entière, esclave de la domesticité et du regard des mâles.
Il est fort probable qu'Octave Mirbeau serait fier de cette pièce à voir ainsi évoluer ainsi son personnage dans la misère affective et sexuelle.

Dorothée Hardy en Célestine rit beaucoup. D'aucuns(es) ont reproché à cette direction d'acteurs un trop-plein dérangeant et redondant. Mais il n'en est rien. Le rire de la comédienne, particulièrement sensible et superbement interprété, accorde à son personnage un geste libératoire et ô combien émancipateur.

"Célestine Mirbeau" aurait très bien pu être la lanceuse d'alerte du mouvement "Me Too" ou de "Balance ton porc" tant la mise en scène et l'interprétation de Dorothée Hardy, portée par l'adaptation de Patrick Valette, sonnent juste.

© Philippe Hanula.
© Philippe Hanula.
Derrière la simple figure féminine soumise, qui est une femme purement et simplement, la pièce qui se joue au Verbe Fou met aussi en exergue le thème du domestique, être déclassé, de son instabilité (les femmes de chambre sont ballottées de place en place, au gré des caprices des maîtres et des employeurs), humiliées comme du cheptel, aliénées idéologiquement. De nombreux exemples contemporains pourraient abonder largement dans ce sens. "Et dire qu'il existe une ligue de défense des droits des animaux".

"Le Journal intime d'une femme de chambre", à l'affiche du 95-Le Verbe Fou Théâtre littéraire, nous offre, en ce 57e festival Off, une remarquable adaptation du roman de Mirbeau.

Courez-y. Vite, vite avant qu'il ne soit trop tard…

"Le journal d'une femme de chambre"

© Philippe Hanula.
© Philippe Hanula.
Texte : Patrick Valette, d'après Octave Mirbeau.
Mise en scène : Patrick Valette.
Avec : Dorothée Hardy.
À partir de 12 ans.
Durée : 1h 05.
Par la Compagnie l'Escabotée.

•Avignon Off 2023•
Du 7 au 29 juillet 2023.
Tous les jours à 17 h 30. Relâche le mercredi.
Le Verbe Fou Théâtre littéraire, 95, rue des Infirmières, Avignon.
Réservations : 04 90 85 29 90.
>> leverbefou.fr

Brigitte Corrigou
Jeudi 20 Juillet 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024