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Avignon 2023

•Off 2023• "La Vie interdite" Un seul en scène époustouflant nous persuadant que rien ne finit avec la mort

"Je suis mort à sept heures du matin. Il est huit heures et personne ne s'en est encore rendu compte." Ainsi débute l'incroyable histoire de Jacques Lormeau, 34 ans, quincailler à Aix-les-Bains, qui découvre son cadavre, allongé dans sa caravane, sous les fenêtres de sa femme, dans les bras de sa maîtresse. Son esprit flottant au-dessus du frigo, Jacques va vivre les réactions de ses proches lors de son décès, de la veillée, de son testament, de son enterrement… Jusqu'au bout, son refus de "mourir pour de bon" va le maintenir au contact des vivants avec lesquels, dans des situations surprenantes, il tente de communiquer malgré tout.



© Léo Rodella.
© Léo Rodella.
La mort ? Encore elle ! Encore une pièce qui traite de ce thème ! Combien de pièces de théâtre en ce nouveau festival d'Avignon l'évoquent-elles au juste ? N'ayant pas d'affinités particulières à titre personnel avec elle et, ayant sur la notion de finitude quelques interrogations métaphysiques souvent envahissantes, il a pourtant bien fallu nous y rendre, portée par l'enthousiasme inégalable et infaillible d'une de nos attachées de presse, Dominique Lhotte…

N'ayant pas lu non plus le roman de Van Cauwelaert à l'origine de la pièce – chose que nous ne privilégions pas à l'ordinaire –, nous n'avions pas à la base, dans notre sacoche, les meilleurs atouts pour que les choses glissent gentiment.

Pour couronner le tout, comme si le sort autour de la pièce s'acharnait sur nous, nous avons confondu l'horaire de la représentation… On nous laisse pourtant gentiment entrer… Un énorme merci à ce sujet au Théâtre de l'Oriflamme.

© Léo Rodella.
© Léo Rodella.
Et là, enfin confortablement installée, nous avons immédiatement été happés par l'instant T du moment, dû avant tout à une scénographie bleutée et glaçante qui, de toute évidence, n'était pourtant pas faite pour nous séduire…

Une parole prononcée par le comédien, perchée sur un frigo sobrement symbolisé, finira par nous assagir : "Pourquoi fait-on l'effort de comprendre les autres quand ils ne nous aiment plus ?" (sic). Allions-nous alors pouvoir nous réconcilier avec la grande faucheuse et dépasser nos angoisses personnelles en lui admettant une dimension plus philosophique ? "Et si le seul moyen de découvrir ce que les gens pensent de nous, c'est de le découvrir quand on est mort (encore un peu vivant finalement) ?"

Tout ceci nous interpelle comme par un effet magique et ne nous quittera pas d'une miette jusqu'au bout de la représentation.

"La Vie interdite" est une longue aventure vécue par le comédien Christian Mulot : un roman offert par un ami bellilois sur fond de naufrage de l'Erika et qui restera plusieurs mois sur une étagère, comme cela est souvent le cas. Et puis un jour, on entr'ouve ses pages et on est happé. On vibre. Mais c'est bien sûr. Le voilà le livre qui va briser les résistances du comédien sur le sujet. À chacun(ne) ses découvertes individuelles qui nous font grandir, plus le temps nous rapproche du grand saut !

"Je dois partager ce cadeau sur scène, interpréter cette histoire tellement originale, jubilatoire et libératoire. C'est une évidence. Parce que inattendue, imprévisible, elle nous conduit au-delà du tangible et du cartésien, aux portes de l'inconnu et de l'impossible. Parce qu'avec acceptation et confiance, sautent un à un les verrous de la peur de la mort, mère de toutes les peurs. Parce qu'elle touche à notre sensibilité profonde, à nos croyances intimes, et qu'elle est susceptible de les transformer. Parce qu'enfin, on arrive à en rire, et rire de la mort, c'est profiter de la vie."

Christian Mulot contactera vite Didier Van Cauwelaert par le biais de son agent, mais l'auteur n'aime pas qu'on touche à son texte…

Alors, il y aura adaptation. Ce n'est pas si compliqué. Enfin, si, un peu. Le comédien coupe, colle, réduit, replace, mosaïque avec le texte original à la virgule près et finit par envoyer "une version artisanalement collée" dans laquelle il n'a envie de changer qu'une chose : le titre, en espérant que son culot irrespectueux paiera. Mais, au bout du compte, il ne sera pas changé : "Woush" ne prendra pas le pas sur le titre original et grâce à lui, sans doute, en patrie, il nous offre là un spectacle hallucinant de vérité, bouleversant et tellement juste. Un spectacle qui nous fait "prendre conscience que lorsque les gens qu'on aime meurent, ils ne disparaissent pas, ils entrent en nous. La fin est un début !"

© Léo Rodella.
© Léo Rodella.
À compter de ce moment-là, le couple Mulot-Van Cauwelaert sera plus soudé que jamais, malgré des morts envahissantes dans l'entourage du comédien qui est contraint de retarder le projet, lequel avorte à Bruxelles. Plusieurs années passent, mais le comédien est tenace. Il ne défaille pas, bien au contraire. Ses morts le feront vivre encore davantage.

Et le résultat est là, exceptionnel d'incarnation théâtralement charnelle et investie, portée par un comédien que la metteure en scène Séverine Vincent qualifiera de "brut de décoffrage à l'âme pourtant d'enfant surprenante de délicatesse".

Tout dans cette pièce est subtile, virevoltant, imprégné de justesse, fulgurant et interprété de main de maître pas un comédien dont la forte personnalité a certainement joué en sa faveur ! Parce qu'il ne faut jamais baisser les bras devant quoi que ce soit. Surtout pas "Elle".
"Une odyssée dans laquelle Christian Mulot est aspiré et ballotté d'un coin à l'autre de l'espace-temps, comme un courant d'air", Séverine Vincent.

À noter, tout particulièrement, cette bulle de poésie évoquée par le comédien avec brio, du haut de son âme d'enfant : celle où le chien de Mme Toussaint, Popeye, rend son dernier souffle. Le tout est porté par une scénographie et des jeux de lumière majestueusement sobres.

Christian Mulot, grâce à Didier Van Cauwelaert, a désormais la mort comme amie indéfectible et quant à nous, nous sortons de cette pièce si particulière possiblement réconciliée avec elle. Un très très grand moment de théâtre sous la canicule avignonnaise qui ne vous refroidira aucunement. Bien au contraire…

"La Vie interdite"

© Thomas Quenneville.
© Thomas Quenneville.
Création 2023.
D'après le roman de Didier Van Cauwelaert paru éditions Albin Michel en 1997 - Grand prix des Lecteurs du Livre de Poche en 1999.
Adaptation : Christian Mulot.
Mise en scène : Séverine Vincent.
Avec : Christian Mulot.
Scénographie : Jean-Michel Adam.
Création son : Félicien Adam.
Décors : Thomas Lagriff.
Durée 1 h 10.

En simultané de la création, événement littéraire du printemps 2023 : la suite des aventures post-mortem de Jacques Lormeau (25 ans après) paraît chez Albin Michel, toujours sous le titre "La Vie absolue".

•Avignon Off 2023•
Du 7 au 29 juillet 2023.
Tous les jours à 20 h 15. Relâche le dimanche.
Théâtre de l'Oriflamme, 3-5, rue du Portail Matheron, Avignon.
Réservations : 04 88 61 17 75.
>> loriflamme-avignon.fr

Brigitte Corrigou
Mardi 18 Juillet 2023

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•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

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14/06/2024
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© Betül Balkan.
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On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

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