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Avignon 2023

•Off 2023• Avec "Le Mardi à Monoprix", le rire éclot de la banalité

Rien n'est plus délicatement corrosif que l'humour niché dans le quotidien. C'est l'alchimie à laquelle parvient Thierry de Pina avec le texte d'Emmanuel Darley. Un texte qui raconte un état, l'état d'un instant suspendu entre vide et culpabilité, entre manque et perdition, entre amour et haine. L'histoire du "Mardi à Monoprix" est celle d'un rituel familial, d'une recherche de contact, de reconnaissance. Cette soif inextinguible de reconnaissance que notre part d'enfance réclame à ses parents. Un coup à se fiche l'air lorsque le regard du père sur le fils n'est pas.



© Marine Cessat-Begler.
© Marine Cessat-Begler.
Il est dit que les enfants sont rarement tels que les parents les rêvaient. À l'inverse, les parents sont aussi rarement ceux dont rêvent les enfants. Marché de dupes, mais marché vital, essentiel, quête impossible, mais toujours renouvelée du regard de l'un sur l'autre, car à la fin, il faut bien casser le rêve de l'autre pour exister.

Le mardi, tous les mardis, Marie-Pierre se rend chez son vieux père et passe la journée avec lui. Elle fait ce que faisait sa mère pour cet homme fatigué. Elle fait son ménage, sa lessive, son repassage, sa lessive, ses courses, au Monoprix. Elle s'habille bien, une jolie robe, des talons hauts, un peu de maquillage pour sortir avec lui faire les courses à Monoprix. Elle cherche à alléger sa vie à ce vieux père devenu solitaire, elle cherche aussi un peu de reconnaissance, un peu d'affection, au moins un regard. Mais celui-ci ne la regarde pas, ne la voit pas, ne l'appelle même pas par son prénom. Il l'appelle Jean-Pierre. Il est vrai, c'est le nom qu'ils lui avaient donné à sa naissance.

© Marine Cessat-Begler.
© Marine Cessat-Begler.
Mais Jean-Pierre est devenu Marie-Pierre. En vérité, à l'intérieur, il s'était toujours senti femme. Maintenant, il a décidé de vivre cette réalité. Et l'on assiste au refus têtu, humiliant, de ce père pour la nouvelle identité de Marie-Pierre. Même constat pour les regards, les mots, les sous-entendus des passants, des voisinages, des clients et des employés du supermarché, mais, de cela, elle fait mine de s'amuser. Toute cette bordée de fiel qu'elle déclenche tous les mardis, chaque fois qu'elle vient s'occuper de son père…

Le texte d'Emmanuel Darley passe par la fiction douce pour évoquer cette question très à la mode du genre et c'est un bonheur de passer par l'émotion, la pudeur et la délicatesse pour évoquer ce déni. L'écriture est simple, mais concise, expressive, imagée. Elle privilégie les silences, les non-dits, les petites blessures qu'on voit à peine saigner. Elle met en scène un monologue qui est en fait un dialogue avec un personnage enfoncé dans son silence, son refus. C'est un drame doux et touchant que vivent ces deux personnages presque ordinaires, des antihéros dans lesquels on s'identifie facilement.

Thierry de Pina qui interprète et met en scène le personnage de Marie-Pierre nous offre une multitude de jeux, d'expressions et de dérisions violentes. Il crée un personnage de grand caractère sans jamais tomber dans l'excès facile que le transgenre ou la transsexualité peut engendrer. Aucune caricature, aucune vulgarité ne traverse son interprétation, mais un sens comique certain et un sens tragique égal. L'incarnation qu'il propose est si vivante et possède tant de facettes qu'on ne voit pas le spectacle passer. Et l'on se sent proche de ce personnage, car il ne tente jamais d'aller dans l'outrance artificielle des travestis, au contraire, tout est banal, tout est ordinaire dans cette journée de mardi et c'est cette banalité, cet ordinaire qui en fait toute la beauté, étrangement.

"Le Mardi à Monoprix"

© Marine Cessat-Begler.
© Marine Cessat-Begler.
Texte : Emmanuel Darley, (édité chez Actes Sud-papier, septembre 2009).
Adaptation, mise en scène : Jeu : Thierry de Pina.
Jeu : Thierry de Pina.
Création lumière : Julien Musquin
Univers sonore : David Mus et Emma Catlin.
Costume : Jean-Paul Gaultier by Glenn Martens.
Regards extérieurs : Isabelle Bondiau-Moinet, Sylvie Dutheil, Carole Scotto Di Fasano, Isabelle Tosi.
Production : Ah le Zèbre !
Durée 1 h.

Phénix Festival
30 mai, 10 et 17 juin 2023.
Mardi à 19 h.
La Nouvelle Seine, quai de Montebello, Paris 5e, 01 43 54 08 08.
>> lanouvelleseine.com

•Avignon Off 2023•
Du 7 au 29 juillet 2023.
Tous les jours à 10 h. Relâche le lundi.
BA Théâtre (ex Sham's Théâtre), 25, rue Saint-Jean-le-Vieux, Place Pie, Avignon.
Réservations : 04 65 87 54 40.

Bruno Fougniès
Mardi 6 Juin 2023

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À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
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•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
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•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024