La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Noire"… Héroïne avant l'heure d'une lutte pas encore complètement éteinte

Le festival "Les beaux jours" se déroule du 7 juin au 24 juillet au Nouveau Théâtre de Montreuil. "Noire" en fait partie et raconte l'acte de Claudette Colvin, très jeune militante qui a refusé de laisser sa place à une personne blanche dans un bus avant même Rosa Parks. Autour de cette pièce déclinée graphiquement, est revécue une lutte avec une héroïne oubliée par l'histoire.



© Hélène Harder.
© Hélène Harder.
Claudette Colvin… ce nom ne vous dit vraisemblablement rien. C'est une adolescente noire de quinze ans qui a bousculé et fait changer les lois raciales des États-Unis d'Amérique en refusant de céder sa place à une personne blanche dans le bus le 2 mars 1955. C'était avant Rosa Parks (1913-2005) qui avait pris et fait et cause pour Claudette Colvin en la faisant aider par un avocat. Elle s'en souviendra neuf mois plus tard, le 1er décembre 1955, en faisant la même chose et qui aura des répercussions historiques beaucoup plus notoires.

Elle fut jugée au tribunal pour enfants le 18 mars 1955 et envoyée en prison. Un autre procès appelé "Browder versus Gayle" eut lieu le 11 mai 1956 avec Claudette Colvin et quatre autres femmes de couleur pour lutter contre la ségrégation dans les bus de Montgomery. Le procès fut gagné, deux juges fédéraux sur trois considérant la ségrégation dans les bus en Alabama comme inconstitutionnelle.

L'Histoire oublie les précurseurs parfois. Sans doute trop black avec des cheveux qu'elle ne veut pas lisser comme nombre d'Afro-américains, pas assez religieuse aux yeux de certains ou trop pauvre selon certains historiens. Puis, le fait d'avoir eu un enfant à seize ans, avec une relation non consentie selon elle, la fait renvoyer de son école. Elle ne pouvait pas être emblématique pour certains leaders politiques afin de symboliser cette lutte.

"Désormais vous êtes noirs"… C'est par ces mots, dès le début de la pièce, qu'est convié le public pour qu'il essaie de ressentir l'oppression, le mépris dont sont victimes les Afro-américains, avec quelques rappels à la réalité "Vous suivez toujours ?", l'époque semblant d'un autre âge, sans naïveté toutefois, avec un apartheid qui ne disait pas son nom. L'auteure Tania de Montaigne invite ainsi le public à être spect-acteur.

Lumière sur un tableau blanc en fond de scène sur laquelle, visibles par le biais d'une petite caméra située en plongée d'une longue table côté cour, sont exécutés des dessins pendant la représentation ou exposés des images, des photos, des livres, témoins de l'époque.

© Hélène Harder.
© Hélène Harder.
Il y a un va-et-vient entre ce graphisme et le jeu théâtral. Sophie Richelieu est plusieurs personnages, mimant leurs voix et leurs dégaines comme celle d'un juge, d'un policier, d'un leader politique, de Claudette Colvin, d'un chauffeur de bus ou d'un passager blanc. Les faits sont imagés via des dessins de Charlotte Melly figurant, par exemple, le bus avec ses sièges et sa politique ségrégationniste. Pour éviter qu'un blanc ne se retrouve debout, toute une rangée de personnes noires, au nombre de quatre, doit se lever pour lui laisser sa place. Pas de mélange.

Le mariage entre dessins, photos, musique, chant et narration donne une densité artistique à plusieurs entrées très intéressantes à cette création car différents chemins artistiques l'y amènent. C'est intelligemment bien mené. Par ces biais qui donnent un timbre émotionnel de très bel acabit, la mise en scène de Lucie Nicolas facilite la lecture de cette pièce.

Aujourd'hui, Claudette Colvin a quatre-vingt-un ans. Une rue à Montgomery porte son nom et, depuis 2017, le maire de Montgomery de l'époque, Todd Strange, a déclaré que le 2 mars de chaque année sera le "Claudette Colvin day", une journée consacrée à sa mémoire. Soixante ans après, les historiens redécouvrent l'action héroïque d'une adolescente de quinze ans face aux lois raciales et ségrégationnistes de la plus grande puissance militaire et économique au monde. Le courage n'a pas d'âge et sait rester humble.

"Noire"

© Hélène Harder.
© Hélène Harder.
D'après "Noire : La vie méconnue de Claudette Colvin" de Tania de Montaigne.
Adaptation : Lucie Nicolas, Charlotte Melly.
Mise en scène : Lucie Nicolas.
Avec : Charlotte Melly (dessin en direct et manipulation) et Sophie Richelieu (jeu et chant).
Collaboration artistique : collectif F71.
Scénographie : Charlotte Melly.
Création lumière : Laurence Magnée.
Musique, son : Fred Costa.
Construction : Max Potiron.
Collaboration vidéo : Sébastien Sidaner.
Par le Collectif F71.
Durée : 1 h 35.

Du 20 au 23 juillet 2021.
Mardi, mercredi et jeudi à 20 h, vendredi à 15 h.
Nouveau Théâtre de Montreuil, Salle Jean-Pierre Vernant, Montreuil (93), 01 48 70 48 90.

Festival "Les beaux jours"
Du 7 juin au 24 juillet 2021.
>> nouveau-theatre-montreuil.com

© Hélène Harder.
© Hélène Harder.

Safidin Alouache
Jeudi 22 Juillet 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024