La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Marivaux et Lazarini font-ils bon ménage ?

La metteuse en scène, comédienne, traductrice et co-directrice du Théâtre Artistic Athévains, Anne-Marie Lazarini, se lance dans le marivaudage. Avec « les Serments indiscrets », elle signe une mise en scène aux allures très puristes. On se croirait dans une miniature de Fragonard… enfin presque !



Les Serments indiscrets © Marion Duhamel.
Les Serments indiscrets © Marion Duhamel.
Marivaux ou l’art de la contradiction : Lucile refuse d’épouser Damis. Fierté de bonne femme d’un désir inavouable ou peur d’être délaissée trop vite, cette jeune fille au fort caractère pousse jusqu’au bout le jeu de l’amour. Mais cette raisonneuse n’a peut-être pas tout à fait tort lorsqu’elle affirme que « les hommes ne sont bons qu’en qualité d’amants ». (Beaumarchais nous l’a assez montré avec le personnage du comte Almaviva dans son Mariage de Figaro). À tort ou à raison, Lucile résiste donc tant qu’elle peut à la tentation du mariage. Mais les cinq actes finiront par avoir raison de sa raison et l’amour emportera ce cœur rebelle. Au-delà de l’intrigue (au schéma parfaitement marivaudien), cette pièce à quiproquos est aussi un joli prétexte pour dénoncer les travers d’une époque : statut de la femme-objet, mariage forcé, relation maîtres et valets, etc.

Et dans cette mise en scène, Anne-Marie Lazarini ne dénote pas. L’ensemble montre qu’un réel travail de recherche a été effectué : les costumes de Dominique Bourde, par exemple, annoncent une certaine libération de la femme (crêpe de soie et broderie fine pour les jeunes filles habillées à la mode romaine). De même en est-il de la simplicité et de l’élégance des hommes. Tout, dans la légèreté des toilettes, évoque la Révolution à venir. C’est bien vu et le tableau est d’une précision et d’une justesse indéniables.

Rien à redire non plus sur le jeu et la diction impeccables des comédiens. Une Lisette (Frédérique Lazarini) dont le rôle de la suivante (fausse naïve mi-nunuche mi-intrigante) est parfaitement endossé. Des pères (Jacques Bondoux et Dimitri Radochévitch) dont on salue (bien bas) les qualités d’interprétation (le travail sur la gestuelle particulièrement). Isabelle Mentré aussi nous étonne. D’abord dans la façon qu’elle a d’articuler le texte. Ensuite, on se pique au jeu de ce petit être au visage de poupée de cire qui désarticule les mots en même temps qu’elle défait les nœuds et révèle les amants l’un à l’autre.

On est moins convaincu par Julie Pouillon dans le rôle principal. On a du mal à s’attacher au jeu de son personnage qui manque un peu de grâce et de fluidité. Dans sa direction d’acteurs, Anne-Marie Lazarini l’a-t-elle voulu comme cela ? C’est très possible. Quoi qu’il en soit, Arnaud Simon (l’amoureux éploré) rééquilibre largement les duos, et les interventions saugrenues de Frontin (Cédric Colas) et de Lisette donnent un tour un peu plus piquant aux dialogues.

Marivaux et Lazarini font-ils bon ménage ?
Un peu plus seulement. Car là où l’on s’attendait à du marivaudage un tantinet coquin et folâtre, il demeure sage et trop ascétique. Comme le jeu des comédiens, le choix d’un décor épuré de François Cabanat (du sol aux murs, la scène est habillée de blanc) laisse voir un plateau un peu trop lisse et aseptisé. Si l’ensemble ne marque aucune réelle fausse note, disons tout de même que l’on s’ennuie… un peu. Peut-être aurait-on aimé y voir un Marivaux aux tonalités et aux couleurs plus contemporaines... Certes, on a bien compris que c’est là un choix assumé et qu’il permet de redonner au texte le premier rôle en même temps qu’une certaine intemporalité. Mais montrer Marivaux aussi épuré a-t-il encore aujourd’hui un grand intérêt ?

En effet, la question que l’on se pose en sortant de là est bien celle-ci : quel intérêt ? Ce travail a, par certains côtés, des allures très scolaires et très sages. On n’a pas tellement l’impression de sortir des sentiers battus, même en suivant les cailloux lumineux (œuvre du sculpteur David Dreiding) qui jonchent la scène. S'ils peuvent rappeler les miniatures de Fragonard, ils sont aussi à l'image de la pièce : un peu trop lisses et bien brillants. Ils ne donnent guère envie d’être ramassés.

"Les Serments indiscrets"

(Vu le 15 avril 2011)

Texte : Marivaux.
Mise en scène : Anne-Marie Lazarini, assistée de Bruno Andrieux.
Décor et lumières : François Cabanat.
Costumes : Dominique Bourde.
Collaboration aux costumes : Anne-Marie Underdown et Sophie Heurlin.
Sculptures : David Dreiding.
Avec Jacques Bondoux, Cédric Colas, Frédérique Lazarini, Isabelle Mentré, Julie Pouillon, Dimitri Radochévitch, Arnaud Simon.

Du 1er mars au 24 avril 2011.
Mardi 20 h ; mercredi et jeudi 19 h ; vendredi et samedi 20 h 30 ; samedi et dimanche 16 h ; relâche lundi.
Réservations : 01 43 56 38 32.
Pour plus de renseignements : www.artistic-athevains.com

Sheila Louinet
Samedi 16 Avril 2011

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024