La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Les féminines"… drôles, professionnelles et féministes !

D'une histoire vraie qui a eu lieu en 1968, Pauline Bureau a écrit et met en scène une pièce dans laquelle le football féminin est mis à l'honneur. Aujourd'hui, le fait est acquis, il a gagné ses lettres de noblesse, même si, par rapport aux hommes, les enjeux et l'attention médiatique sont sans aucune commune mesure. C'est en revenant à ses origines que "Féminines" décrypte une époque avec son sexisme et son machisme en nous le replaçant dans un cadre des plus humoristiques.



© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Lumière sur une scénographie découpée en deux parties avec, au premier étage d'un bâtiment, de grosses lettres lumineuses "Entreprise Gravix" ornées au fronton. Derrière celles-ci, se trouvent trois établis sur lesquels trois femmes travaillent à la chaîne. Au rez-de-chaussée se situe une salle qui va devenir un vestiaire avec un entraîneur (Nicolas Chupin) et son adjoint (Yann Burlot). Durant toute la représentation sont projetés les entraînements et les matchs sur un écran en lieu et place des établis et des grosses lettres lumineuses du bâtiment. Nous sommes ainsi dans trois lieux différents de la ville de Reims, l'usine, le stade et aussi, le temps d'une scène, la chambre à coucher d'une joueuse, ouvrière aussi de son état.

Nous sommes en 1968. La date n'est pas choisie au hasard, car elle est celle, réelle, d'une aventure qui a démarré à Reims avec une équipe de footballeuses qui s'est montée dans le cadre d'une première partie d'une représentation, qui devait divertir les foules comme celle de l'année précédente avec un combat de nains. Sauf que leur maîtrise a fait qu'elles sont devenues les ambassadrices du football féminin en allant dans tout l'Hexagone, en faisant des émules et engendrant un début d'adoption dans les esprits.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Ce qui est mis en avant, et qu'on ne peut oublier, est qu'en 1968, la femme était considérée comme inégale à l'homme d'un point de vue politique et social. Dans le foyer familial, elle était estimée comme mineure par rapport à son mari qui, de son côté, était considéré comme le chef de famille exclusif. Elle avait pour destinée, celle de devenir une épouse et une mère.

La fable rend compte de l'état d'esprit d'une époque, par le biais de l'humour, de l'inégalité de la femme par rapport à l'homme même si, encore aujourd'hui malheureusement, de fortes inégalités subsistent. Se dessinent donc ce machisme et ce sexisme, monnaies courantes à l'époque, le football étant considéré comme sport masculin et devenant ainsi un baromètre autant politique que social d'une société.

La musique joue un rôle important en apportant une touche fraîche, dansante et comique dans plusieurs scènes. Un aspect cinématographique, via des films, est utilisé pour montrer les entraînements et les matchs, créant ainsi d'autres ruptures de jeu permettant de donner une vue autant côté cour que dans les coulisses de la construction de cette équipe.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Différents segments dramaturgiques sont découpés en scènes, faisant basculer le spectacle de l'univers du sport, avec le vestiaire et le stade, à celui du travail à la chaîne dans une usine, et dans celui plus intime du domicile d'une footballeuse. Sont ainsi déclinées des vues intimes, extimes et extérieures de nos protagonistes face autant aux adversaires à rencontrer durant les matchs que celui de l'époux, du père, du patron et du public pendant les matchs, ainsi que celui tout aussi important du rapport à soi-même. Plusieurs thèmes se marient donc qui débordent sur les champs autant sociaux que psychologiques.

Il y a toujours un ou plusieurs personnages qui se retrouvent à cheval entre ces différents univers en incarnant chacun le visage d'une lutte, afin de trouver une place pleine et entière sur un terrain, au travail et chez soi.

Nous sommes symboliquement en face de deux rives qui se font face. D'un côté, les hommes, de l'autre côté les femmes avec, au milieu, un entraîneur qui mène cette équipe de footballeuses vers une prise de conscience de leur identité sportive dans un champ investi par les hommes, portée par un jeu théâtral où différents visages apparaissent. Soit celui de débutantes qui se jettent à l'eau pour se découvrir finalement, soit celui de continuer une passion (Camille Garcia), soit celui de s'évader d'un univers contraint et violent, soit celui de poursuivre une pratique afin d'en faire son métier (Marie Nicolle).

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Dans ces différentes trames, l'équilibre se joue entre le texte, la musique et la danse. Le texte et la mise en scène de Pauline Bureau arrivent à marier différentes perceptions d'un sport et de celles qui le jouent. Dans le jeu, nous sommes sur plusieurs registres. Celui avant tout du comique dans les attitudes, les propos, la gestuelle. Puis, avec la danse, dans le cadre de déhanchements effectués comme sur une piste d'un club, le combat sportif devient politique, celui "d'entrer dans la danse" afin de trouver sa place dans un monde qui les exclut. C'est avec cet art que les corps se libèrent, trouvent leur équilibre, leur épanouissement et leur amplitude.

La pièce bascule d'un plan à un autre, d'une scène à une autre en passant de l'essai à la maîtrise, de la défaite à la victoire, des rires aux pleurs, de la colère à l'enthousiasme et de la violence à l'entraide. Ce sont sur ces différentes ruptures et évolutions de jeu que ce beau spectacle est construit, offrant ainsi un plaisir autant des situations que du tempo.

Les représentations ont eu lieu du 14 au 17 mai 2024 à la Grande Halle de la Villette.

"Les féminines"

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Texte et mise en scène : Pauline Bureau.
Assistante à la mise en scène : Léa Fouillet.
Avec : Yann Burlot, Nicolas Chupin (de la Comédie-Française), Rébecca Finet, Sonia Floire, Léa Fouillet, Camille Garcia, Marie Nicolle, Anthony Roullier, Claire Toubin, Catherine Vinatier.
Scénographie : Emmanuelle Roy.
Costumes et accessoires : Alice Touvet.
Composition musicale et sonore : Vincent Hulot.
Vidéo : Nathalie Cabrol.
Lumière : Sébastien Böhm.
Dramaturgie : Benoîte Bureau.
Maquillage et coiffure : Catherine Saint-Sever.
Collaboration artistique : Cécile Zanibelli, Gaëlle Hausermann.
Direction technique : John Carroll.

Tournée
22 mai 2024 : Théâtre Alexandre Dumas, Saint-Germain-en-Laye (78).
5 juin 2024 : La Filature – Scène nationale, Mulhouse (68).

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.

Safidin Alouache
Mardi 21 Mai 2024

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024