La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Les Liaisons dangereuses"… Intrigues et érotisme avant la lettre

"Les Liaisons dangereuses", Théâtre de la Ville, Paris

Christine Letailleur met en scène, autour de Dominique Blanc et Vincent Pérez, le roman épistolier de Choderlos de Laclos dans des situations où la parole prend de court l'écrit, où l'action supplante le verbe et où l'amour n'est qu'un prétexte à l'intrigue.



© Brigitte Enguerand.
© Brigitte Enguerand.
De Choderlos de Laclos, il est resté un chef-d'œuvre, "Les liaisons dangereuses" (1782), composé à une époque où le traité de Paris (1763) met fin à la guerre de 7 ans (1756-1763), considérée comme la première des guerres mondiales mêlant différents pays (ceux du Royaume de France, du Royaume de Grande-Bretagne, du Royaume de Prusse, du Royaume de Russie, du Royaume d'Espagne et les États des Habsbourg). Pour éviter l'ennui, ce militaire, devenu général sous Napoléon, avait écrit ce roman épistolaire. Un traité accouchait enfin d'un écrit de valeur ! Il avait confié au comte Alexandre de Tilly : "J'ai voulu faire un ouvrage qui retentit encore sur la terre quand j'y aurai passé". Le talent boude parfois la modestie.

La mise en scène de Christine Letailleur fait de ce roman une histoire avant la lettre. Car les personnages, même s'ils entrent sur scène avec une lettre à la main, abandonnent rapidement cet artifice pour faire corps avec la scène et les situations. Celles-ci, en effet, donnent rapidement l'illusion que le côté épistolier est peu présent dans cette histoire d'amours érotiques où le comte de Valmont (Vincent Pérez) joue de séduction et d'intrigues auprès de la gent féminine. La relation entre le Comte de Valmont et la Marquise de Merteuil (Dominique Blanc) reste centrale dans la scénographie et la mise en scène. Il veut mais elle ne veut plus. Ce roman, apologie du Plaisir, fait que selon Malraux "pas un couple une seule fois n'entre dans un lit sans une idée derrière la tête".

Le roman épistolaire est très bien abordé dans son rapport aux personnages. La pièce est basée sur des relations nourries par des lettres envoyées, lues et cachées. Ainsi, la fable fait incursion dans la "réalité". L'humour pointe à plusieurs reprises le bout de son nez. Nous sommes à cheval entre l'écrit et l'oral, le lu et le joué, le senti et le ressenti. Ce double visage est aussi porteur d'une thématique qui fait d'une lettre, à notre époque où le mail occulte trop souvent le vis-à-vis, une correspondance entre une intrigue et un soupir, un désir et sa réalisation trompée.

Les échanges entre les différents personnages sont dominés par une relation épistolaire ponctuelle et un face-à-face récurrent, entre des portes qui claquent et des sorties d'escalier, entre un extérieur et un intérieur, entre de la timidité, de la pruderie et des élans amoureux et sexuels.

Deux styles de jeu se rencontrent avec Dominique Blanc, grave, sereine et calme et Vincent Pérez, maniéré, très expressif et habillé de convenances sociales et comportementales. Le jeu et l'apparat aiguillent ses attitudes, ses réactions. Il se laisse aller à des embrassades ou emportements. Son rire manque de sincérité à dessein. Il joue avec les femmes en prenant les habits sonores de sentiments qu'il n'a pas. Il aime sans amour. Bref, seul le sexe l'intéresse. Autour de Mme de Tourvel (Julie Duchaussoy), Mme de Rosemonde (Karen Rencurel), Mme de Volonges (Véronique Willemaers) et une courtisane (Stéphanie Cosserat) dont les jeux donnent à la pièce un camaïeu de désirs variés, les passions, toujours biaisées, oscillent entre volonté et contrainte.

Sur scène, une vaste demeure sans relief est composée de reflets marron avec un escalier côté cour. Elle est comme sans vie, sans relief. Ce qui se joue est dans les escaliers ou dans la cour. À l'étage ou dans les chambres, l'intimité règne portes fermées. Une longue pièce parcourt le premier étage ponctué de passages, au sens propre, où les personnages incarnent des émotions entre pleurs, rires et désespoirs. La maison est un lieu animé d'intimité, d'humeur, d'appels, de sanglots, de joies, de cris. L'extérieur fait état de sentiments verbalisés, plus "recueillis" même si embrassades, caresses et surtout intrigues sont le moteur d'histoires qui se mêlent et se démêlent.

L'aspect épistolaire se laisse occulter par la présence "vocale" des comédiens. Les voix sont très présentes et deviennent souvent ténébreuses, en écho aux événements, comme des sentences venues d'ailleurs, d'outre-tombe ou d'une fatalité qui emporte les personnages. La mort, d'une passion et d'un désir, devient le destin d'amours avortées ou réelles comme la vérole celle d'une compagne qui s'invite, telle une intrigante, dans le festin du plaisir.

"Les Liaisons dangereuses"

© Brigitte Enguerand.
© Brigitte Enguerand.
D'après
le roman de Pierre Choderlos de Laclos.
Adaptation et mise en scène
 : Christine Letailleur.
Assistante à la mise en scène :
Stéphanie Cosserat.
Avec : Dominique Blanc,
Vincent Perez, Fanny Blondeau, Stéphanie Cosserat, Julie Duchaussoy,
Manuel Garcie-Kilian, Guy Prévost, Karen Rencurel, Richard Sammut, Véronique Willemaers.
Scénographie
 : Emmanuel Clolus, Christine Letailleur.
Lumières : Philippe Berthomé 
en collaboration avec Stéphane Colin.
Costumes :
Thibaut Welchlin.
Son :
Manu Léonard.

Du 2 au 18 mars 2016.
Du mardi au samedi à 20 h 30, lundi 14 mars à 20 h 30.
Théâtre de la Ville, Paris 4e, 01 42 74 22 77.
>> theatredelaville-paris.com

Safidin Alouache
Mercredi 9 Mars 2016

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024