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Théâtre

"La Fin de l'homme rouge" Une mise à nu rigoureuse, lisible et… terriblement vivante

Le règne de l'empire soviétique aura duré soixante-dix ans. Pour un de ces empires bâtis pour l'éternité et qui disparaissent brutalement, c'est à la fois peu et déjà beaucoup. Assez longtemps, pour qu'à l'instant de leur chute, les contemporains restent abasourdis et certains étonnamment nostalgiques.



© Nicolas Martinez.
© Nicolas Martinez.
Avec "La fin de l'homme rouge" d'Emmanuel Meirieu, tiré de l'œuvre éponyme de Svetlana Alexievitch, sont réunis sur le plateau d'anciens bénéficiaires ou victimes d'un système censé recréer le paradis et, dans une phase transitoire, rejeter tous ceux qui le refuse.

La fin de l'homme rouge… Ou une succession de prises de paroles, soliloques passionnés et alternés. Où se concentre dans le corps des personnages l'ultime énergie avant le silence qui suit le jugement de l'Histoire. Témoignages intenses, poignants de femmes et d'hommes, d'enfants et de vieillards avec leurs drames, leurs bonheurs, leurs hasards, leurs dénis.

Autant de récits individuels et séparés. De la mère désemparée devant le suicide de son fils de quinze ans au discours convaincu du pionnier de la révolution de 1920, du mariage évité avec la fille du tortionnaire, des retrouvailles de l'enfant du Goulag et de la cheffe du camp, de l'initiation à l'assassinat politique au soldat oublié d'Afghanistan ou de Tchétchénie ou l'agonie du pompier de Tchernobyl. Édifiants, inquiétants… Et de manière toute progressive sublimes.

© Nicolas Martinez.
© Nicolas Martinez.
De l'enquête serrée de Svetlana Alexievitch se décrypte pour le spectateur une certaine manière de vivre (образ жизни) qui répartit les biens matériels, développe le sens du partage mais aussi celui du sacrifice glorifiant le héros, la guerre patriotique, le drapeau rouge, la culture, l'alcool et… la mise à l'écart (et la punition) des opposants. Un état de société "naturel" ou la propagande a toute sa place. Préparer l'avènement du communisme en établissant le stade soviétique (советский ) par l'épopée et sa vérité vraie (правда)…

Aucun ne peut de son passé faire table rase, ne peut accepter de disparaître, pas plus qu'il ne peut accepter la réalité qui s'est imposée à eux. Le récit est sans concessions pour ces femmes et ces hommes enfermés dans un rêve qui a constitué leur vie. Dans sa simplicité, chaque témoignage, porté à chaque fois par un seul interprète, se révèle intime, réaliste, cru et cruel. Tous les acteurs retiennent leurs effets et leur parole. La puissance dramatique est intense et superbe. Et dans cette succession, le spectateur assiste à la mise à nu de tout le système. Les témoignages de l'incompréhensible. À appréhender comme l'avers et le revers de la médaille.

© Nicolas Martinez.
© Nicolas Martinez.
Le théâtre mis en oeuvre par Emmanuel Meirieu est simple, rigoureux et fluent. Lisible et beau donc. Ainsi, deux scènes se lisent, elles, de manière inversée. En miroir. À l'ancien garde des camps, héros des basses besognes, assassin inconscient et alcoolique, est opposé l'épouse aimante veillant son amour irradié, sacrifié, ulcéré de toutes parts. Une descente aux enfers, une montée au paradis. Deux manières de considérer la vie et la condition humaine. De rejet ou d'amour.

Dans sa traversée, le spectacle dépasse le seul cas de l'union soviétique et de la critique d'un système. Par ces incarnations croisées monte un récit sombre qui relie les fils invisibles, et puise dans la souffrance, les peurs et les pulsions, les forces de la vie et la force des illusions.

Celle d'une Russie, bien sûr. Celle de Pouchkine, de Tolstoï ou de Tchekhov. Dans laquelle, au bout du compte (du conte rouge), se sont reconnus d'une manière ou d'une autre tous les citoyens soviétiques. La paix, la guerre, le suicide, l'horreur, la survie, la rédemption.

© Nicolas Martinez.
© Nicolas Martinez.
Mais, au-delà… Le spectateur qui, depuis 1989, a vu d'autres chutes de mythes au sein même du capitalisme s'interroge, comme ce spectacle l'y encourage, en tant qu'être humain, membre d'une société, sur son adaptabilité aux bobards, fake news, mensonges et complots, propagande et formatage qui fondent une vie "naturelle" et "heureuse".

Le spectacle fait battre le cœur de cet être vivant que l'on appelle l'Homme et qui s'ingénie à enlever l'homme de l'Homme et le réduire à néant. Ou bien, au contraire, de trouver l'Homme au point sublime de la vie de l'homme. Le théâtre ainsi conçu ? C'est une expérience de catharsis réussie. Et une source d'ovation.

"La Fin de l'homme rouge"

© Nicolas Martinez.
© Nicolas Martinez.
D'après le roman de Svetlana Alexievitch, Prix Nobel de Littérature 2015.
Mise en scène et adaptation : Emmanuel Meirieu.
Traduction : Sophie Benech.
Avec : Stéphane Balmino, Evelyne Didi, Xavier Gallais, Anouk Grinberg, Jérôme Kircher, Maud Wyler, André Wilms, et la voix de Catherine Hiegel.
Musique : Raphaël Chambouvet.
Costumes : Moïra Douguet.
Lumières, décor, vidéo : Seymour Laval et Emmanuel Meirieu.
Son : Félix Muhlenbach et Raphaël Guenot.
Maquillage : Roxane Bruneton.
Par La compagnie Bloc Opératoire.
Durée : 1 h 50.

Du 12 septembre au 2 octobre 2019.
Du mardi au samedi à 21 h.
Théâtre des Bouffes du Nord, Paris 10e, 01 46 07 34 50.
>> bouffesdunord.com

© Nicolas Martinez.
© Nicolas Martinez.

Jean Grapin
Mercredi 18 Septembre 2019

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© Ève Pinel.
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© Betül Balkan.
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On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

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© Philippe Hanula.
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Gil Chauveau
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