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Théâtre

L'amour, comme une possibilité envisagée pour déconstruire l’innommable et reconstruire l'être

"L'amour existe", À La Folie Théâtre, Paris

Parler au théâtre de sujets difficiles, douloureux, monstrueux même car touchant aux viols, aux tortures, aux crimes d'êtres innocents que sont les enfants n'est pas chose aisée... "L'amour existe" de Mitch Hooper y réussit grâce à un texte intelligemment et subtilement construit, par le remarquable jeu - sans excès et parfaitement maîtrisé - de deux comédiens étonnamment "habités" par leur personnage et une mise en scène des plus sobres, toute en retenue et nuances.



© Emma Barthere.
© Emma Barthere.
Ce dont parle la pièce "L'amour existe" ne prête pas à sourire et aurait plutôt tendance à nous faire penser que nous allons passer une soirée des plus noires et des plus déprimantes. Car, au détour de ce qui pourrait être qu'un banal interrogatoire consécutif à un accident de voiture, va être révéler tout doucement, presque tranquillement au début, le plus affreux des crimes : le meurtre d'un enfant après viol et torture de celui-ci.

Crimes atroces, horribles, pervers... dit comme ça, voilà qui pourrait sérieusement plomber l'ambiance. Mais l'approche de l'interrogatoire mené au début sur un mode presque anodin par une femme (est-elle enquêtrice, psychologue, profiler ?) posant des questions simples sur sa vie à un homme semblant souffrir d'amnésie suite à son accident ne laisse pas augurer de la suite. Et c'est ainsi que, tout doucement, subtilement, les questions se font plus précises, plus investigatrices, parfois "maternelles". Et l'on comprend que se construit l'histoire d'un homme traumatisé, violenté, mais enfermé dans son déni pour survivre à la gravité de ses agissements... ceux d'un être qui est passé de victime à bourreau.

© Emma Barthere.
© Emma Barthere.
Curieusement, le choix de Mitch Hooper de débuter ce voyage vers la vérité par une situation banale, presque neutre - bien que portant déjà en son sein le doute, l'ombre de l'innommable réalité - ne désamorce pas la gravité des actes qui sont petit à petit dévoilés mais, par une principe de déconstruction, permet d'amener progressivement et d'envisager l'origine du mal, la cause de son déni... Et de poser des questions essentiels face à ce type de crimes inavouables, impardonnables : Sommes-nous définis par nos actes ? Ne nous détruisons-nous pas en donnant la mort ? L'amour existe-t-il pour tout le monde ?

Ces questions qui, paisiblement, prennent corps - avec une résonance certes "policière" mais toujours finement bienveillante - arrivent crescendo au fur et à mesure de l'avancée de l'interrogatoire... Et la réussite de cette "montée en puissance" est indéniablement due au jeu intense, dense et tout en intériorité maîtrisée de Florence Gout et Patrick Della Torre. Ce dernier, entre attitude enfantine et attitude traumatique, à la diction parfois saccadée, nous montre - sans excès mais avec beaucoup de présence - les différentes facettes de ce mécanisme intérieur qui l'ont conduit de l'enfant maltraité à l'adulte maltraitant. Florence Gout, quant à elle, use d'une palette remarquable d'attitudes, de sentiments. De mi-investigatrice à mi-moralisatrice en passant par la femme compréhensive, la mère bienveillante, elle joue l'ensemble de la gamme avec souplesse, virtuosité, la sobriété intelligente de la mise en scène laissant judicieusement la place à leurs partitions.

L'une des qualités de "L'amour existe" est d'éviter les pièges de l'exposition spectaculaire de l'horreur, du pathos surdimensionné, pour aborder ce drame - long cheminement de l'enfant victime à l'enfant bourreau – avec toute la délicatesse, la finesse d'un auteur qui use de l'écriture pour poser les vrais questions, éclairer certains éléments de réponses, sans à aucun moment être tenté de porter un jugement définitif, ou éventuellement d'excuser les actes commis.

"L'amour existe"

© Emma Barthere.
© Emma Barthere.
Texte : Mitch Hooper.
Mise en scène : Christine Casile et Thierry Mourjan.
Avec : Florence Gout et Patrick Della Torre.
Musique : Thierry Mourjan.
Durée : 1 h 05.

Spectacle du 30 août au 21 octobre 2012.
Jeudi, vendredi et samedi à 21 h 30, dimanche à 18 h.
À La Folie Théâtre, Paris 11e, 01 43 55 14 80.
>> folietheatre.com

Gil Chauveau
Lundi 24 Septembre 2012

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