Il sera en résidence au Festival d'Auvers-sur-Oise l'été prochain et il est d'ores et déjà sélectionné pour le 20e Grand Prix Lycéen des Compositeurs. Rencontre avec un jeune créateur, libre et critique de son époque.
Pianiste de formation, Jules Matton est à trente ans un compositeur qui compte. Après l'obtention de sa licence de philosophie à l'Institut Catholique de Paris, il est allé étudier à la Juilliard School of Music and Dance, d'où il est sorti diplômé en 2013 après avoir travaillé avec John Corigliano et Christopher Rouse.
Christine Ducq - Comment décide-t-on de devenir compositeur ?
Jules Matton - Il ne s'agit jamais d'une décision. La chose s'impose. En ce qui me concerne, je passais mon temps au piano et, assez vite, j'ai ressenti le besoin d'imiter les compositeurs que je travaillais comme pianiste : Schubert, Chopin, Rachmaninov. Alors, j'ai commencé à étudier l'harmonie et à improviser. Et c'est seulement après mon Prix, à 19 ans, que j'ai décidé de ne pas passer les concours de piano habituels, et de me consacrer pleinement à la composition. Je n'ai jamais eu de maître à proprement parler, et mon rapport à la création a dès le départ été autodidactique et solitaire, fait d'improvisation au piano et d'écoute de disques.
Pianiste de formation, Jules Matton est à trente ans un compositeur qui compte. Après l'obtention de sa licence de philosophie à l'Institut Catholique de Paris, il est allé étudier à la Juilliard School of Music and Dance, d'où il est sorti diplômé en 2013 après avoir travaillé avec John Corigliano et Christopher Rouse.
Christine Ducq - Comment décide-t-on de devenir compositeur ?
Jules Matton - Il ne s'agit jamais d'une décision. La chose s'impose. En ce qui me concerne, je passais mon temps au piano et, assez vite, j'ai ressenti le besoin d'imiter les compositeurs que je travaillais comme pianiste : Schubert, Chopin, Rachmaninov. Alors, j'ai commencé à étudier l'harmonie et à improviser. Et c'est seulement après mon Prix, à 19 ans, que j'ai décidé de ne pas passer les concours de piano habituels, et de me consacrer pleinement à la composition. Je n'ai jamais eu de maître à proprement parler, et mon rapport à la création a dès le départ été autodidactique et solitaire, fait d'improvisation au piano et d'écoute de disques.
Revendiquez-vous tout de même un héritage ?
Jules Matton - Naturellement. Cette question, dans une époque obsédée par l'émancipation individuelle - qu'on oppose bêtement à l'héritage alors qu'elle en est tributaire (dans le sens où nous avons besoin d'un héritage pour avoir la structure et la force d'aller au-delà de cet héritage) - est selon moi un faux problème. Ni Beethoven, ni Stravinsky, qui furent de grands novateurs, ne se posèrent la question de l'héritage de cette manière. Ils avaient simplement une conscience aigüe de l'élan avec lequel ils allaient devoir digérer le passé pour accoucher le plus authentiquement possible de leurs œuvres.
Sans me mesurer à ces géants, je suis moi aussi le fruit d'une histoire qu'en tant que créateur je dois prendre sur moi et rendre à travers ma subjectivité. Le tout est d'aller chercher ce dont parle Kandinsky dans "Du spirituel dans l'art" : la nécessité intérieure. Plus importante aujourd'hui que les concepts dix-neuviémistes - et selon moi périmés - de nouveauté et d'originalité est cette nécessité intérieure. Qu'elle aille dans le sens de la complexité ou de la simplicité.
Contrairement à ce que les épigones de Pierre Boulez déclarent encore, cette histoire de la musique est, selon vous, celle de "mille ans de tergiversations". Que voulez-vous dire ?
Jules Matton - Naturellement. Cette question, dans une époque obsédée par l'émancipation individuelle - qu'on oppose bêtement à l'héritage alors qu'elle en est tributaire (dans le sens où nous avons besoin d'un héritage pour avoir la structure et la force d'aller au-delà de cet héritage) - est selon moi un faux problème. Ni Beethoven, ni Stravinsky, qui furent de grands novateurs, ne se posèrent la question de l'héritage de cette manière. Ils avaient simplement une conscience aigüe de l'élan avec lequel ils allaient devoir digérer le passé pour accoucher le plus authentiquement possible de leurs œuvres.
Sans me mesurer à ces géants, je suis moi aussi le fruit d'une histoire qu'en tant que créateur je dois prendre sur moi et rendre à travers ma subjectivité. Le tout est d'aller chercher ce dont parle Kandinsky dans "Du spirituel dans l'art" : la nécessité intérieure. Plus importante aujourd'hui que les concepts dix-neuviémistes - et selon moi périmés - de nouveauté et d'originalité est cette nécessité intérieure. Qu'elle aille dans le sens de la complexité ou de la simplicité.
Contrairement à ce que les épigones de Pierre Boulez déclarent encore, cette histoire de la musique est, selon vous, celle de "mille ans de tergiversations". Que voulez-vous dire ?
Jules Matton - On nous présente souvent l'histoire musicale occidentale comme un chemin rectiligne de la simplicité du chant grégorien à la complexité de l'école sérielle et de ses héritiers. C'est à se flinguer de bêtise : on trouve des enchaînements très complexes au Moyen Âge ou chez Gesualdo tandis que Mozart ou, par exemple et dans un autre registre les Beatles, sont souvent d'une grande simplicité harmonique. À partir de la fin du XIXe siècle, certains compositeurs sont allés vers une saturation de l'échelle chromatique, tandis que d'autres, comme Debussy et Ravel, sont allés dans la direction opposée, c'est-à-dire celle d'une épuration du romantisme chromatique.
Après la période de la Seconde École de Vienne, après celle de Darmstadt, sont venus les Minimalistes américains, qui ont à leur tour épuré le langage et sont revenus à certains fondamentaux. Si vous voulez, l'idée de progrès en art a fait son temps : a-t-on moins de plaisir à écouter Josquin Desprez que Philippe Hersant ? Selon moi, non.
Comment trouve-t-on son langage concrètement ?
Jules Matton - Mais j'espère ne jamais trouver mon langage ! Le langage individuel est un concept moderne dans lequel les grands artistes (si on regarde leur parcours sans cesse renouvelé et sans cesse rafraîchi) ne se sont jamais enfermés. Le langage se déploie de lui-même à partir de l'élan interne et, si on y prête trop d'attention narcissique, il y a toujours le risque de tomber dans la systématisation. Cela étant dit, on sent bien sûr certaines influences dans ma musique.
Après la période de la Seconde École de Vienne, après celle de Darmstadt, sont venus les Minimalistes américains, qui ont à leur tour épuré le langage et sont revenus à certains fondamentaux. Si vous voulez, l'idée de progrès en art a fait son temps : a-t-on moins de plaisir à écouter Josquin Desprez que Philippe Hersant ? Selon moi, non.
Comment trouve-t-on son langage concrètement ?
Jules Matton - Mais j'espère ne jamais trouver mon langage ! Le langage individuel est un concept moderne dans lequel les grands artistes (si on regarde leur parcours sans cesse renouvelé et sans cesse rafraîchi) ne se sont jamais enfermés. Le langage se déploie de lui-même à partir de l'élan interne et, si on y prête trop d'attention narcissique, il y a toujours le risque de tomber dans la systématisation. Cela étant dit, on sent bien sûr certaines influences dans ma musique.
Je suis notamment tributaire de ce qu'Alfred Schnittke appelait le polystylisme : l'utilisation d'esthétiques éloignées dans le temps au sein d'une même structure : collage, réminiscences de musique ancienne, juxtaposition ou superposition de registres antithétiques comme l'ironie, la tendresse, le tragique, le lyrique. Pour moi réside dans ces techniques - qui sont celles des Russes postmodernes, mais aussi d'Olivier Greif, de Hanz Werner Henze, ou d'un certain rock progressif - quelque chose qui aide à nous rendre plus intime notre contemporanéité disloquée. Comme créateur, il s'agit d'embrasser la totalité de l'expérience, qui inclut ce quotidien éclaté dans lequel nous évoluons.
Dans l'opéra, notamment ?
Jules Matton - L'opéra peut et doit se saisir de tout. Dans mon prochain opéra, je compte élargir ma palette vers l'utilisation de techniques de tuilage, de phasing, de bandes magnétiques de sons prélevés dans notre quotidien, notamment télévisuels. À un moment, le personnage principal échoue dans une boîte de nuit étouffante, traversée de faisceaux tridimensionnels et clignotants, qu'il ressent comme l'horreur achevée du monde contemporain. Mais à la place de la techno diatonique habituelle, on entendra une masse orchestrale dodécaphonique, aux cordes intégralement divisées, posée sur un beat pulsionnel électronique extrêmement violent.
Vous avez un goût certain pour les formes que d'aucuns ont reléguées dans le passé.
Jules Matton - Oui, sans doute par provocation réactionnaire (il rit). Récemment, plusieurs de mes pièces ont été critiquées (notamment sur les réseaux sociaux) par quelques épigones de l'héritage de Darmstadt dont je ne citerai pas les noms. Ce qui est très amusant à contempler : on se radicalise toujours assez bêtement quand on se sent disparaître. Mais, au-delà de la polémique et pour répondre à votre question, j'aime à rendre hommage et à poursuivre certaines traditions, comme celle du quatuor à cordes par exemple quand j'ai le sentiment que ces traditions sont encore vivantes et ont encore des choses à nous dire.
Vous allez aussi composer de la musique de film, n'est-ce pas ?
Jules Matton - Oui, mais je ne peux pas vous en parler pour l'instant, si ce n'est en vous disant qu'il s'agit d'un film d'époque et qu'il s'agira d'une collaboration avec Valentin Tournet et son ensemble La Chapelle Harmonique. En revanche, je peux vous dire d'ores et déjà qu'au printemps sera créé au Théâtre Impérial de Compiègne "Face à face", sur un texte de Bergman, dans une mise en scène de Léonard Matton (mon frère), et sur une musique de votre serviteur.
Dans l'opéra, notamment ?
Jules Matton - L'opéra peut et doit se saisir de tout. Dans mon prochain opéra, je compte élargir ma palette vers l'utilisation de techniques de tuilage, de phasing, de bandes magnétiques de sons prélevés dans notre quotidien, notamment télévisuels. À un moment, le personnage principal échoue dans une boîte de nuit étouffante, traversée de faisceaux tridimensionnels et clignotants, qu'il ressent comme l'horreur achevée du monde contemporain. Mais à la place de la techno diatonique habituelle, on entendra une masse orchestrale dodécaphonique, aux cordes intégralement divisées, posée sur un beat pulsionnel électronique extrêmement violent.
Vous avez un goût certain pour les formes que d'aucuns ont reléguées dans le passé.
Jules Matton - Oui, sans doute par provocation réactionnaire (il rit). Récemment, plusieurs de mes pièces ont été critiquées (notamment sur les réseaux sociaux) par quelques épigones de l'héritage de Darmstadt dont je ne citerai pas les noms. Ce qui est très amusant à contempler : on se radicalise toujours assez bêtement quand on se sent disparaître. Mais, au-delà de la polémique et pour répondre à votre question, j'aime à rendre hommage et à poursuivre certaines traditions, comme celle du quatuor à cordes par exemple quand j'ai le sentiment que ces traditions sont encore vivantes et ont encore des choses à nous dire.
Vous allez aussi composer de la musique de film, n'est-ce pas ?
Jules Matton - Oui, mais je ne peux pas vous en parler pour l'instant, si ce n'est en vous disant qu'il s'agit d'un film d'époque et qu'il s'agira d'une collaboration avec Valentin Tournet et son ensemble La Chapelle Harmonique. En revanche, je peux vous dire d'ores et déjà qu'au printemps sera créé au Théâtre Impérial de Compiègne "Face à face", sur un texte de Bergman, dans une mise en scène de Léonard Matton (mon frère), et sur une musique de votre serviteur.
Vous travaillez donc à un nouvel opéra ?
Jules Matton - Oui. Le sujet est l'histoire et l'errance d'un jeune homme qui perd sa petite amie dans l'attentat de novembre 2015 au Bataclan et qui, par l'expérience du tragique et au lieu de s'enferrer dans les poncifs médiatiques de l'époque - faits de compassion collective et d'une vision très manichéenne de l'Histoire -, va s'engager progressivement dans une quête de vérité personnelle et rompre avec sa vie antérieure.
Je pense qu'Anton Ljuvjine, le librettiste, serait d'accord pour dire avec moi que nous essayons de prendre à bras-le-corps notre époque de malaise et de scepticisme achevés vis-à-vis du politique ; cette époque dominée par les réseaux sociaux, la publicité, l'esprit de meute, les atmosphères start-up, le narcissisme pulsionnel… Cet opéra sera une sorte de satire grinçante en forme de dénonciation des fausses valeurs et de la fausse positivité - du faux "Bien" comme disait Philippe Muray - de notre temps.
16 décembre 2018.
"L'Odyssée",
Opéra pour 12 paysages, solistes, quatuor à cordes et orphelins,
à l'Opéra de Lille.
● Jules Matton "Livre 1" (2018).
Label : Fondamenta.
Distribution : Sony Music Entertainment.
Programme complet et catalogue des œuvres sur >> julesmatton.fr
Jules Matton - Oui. Le sujet est l'histoire et l'errance d'un jeune homme qui perd sa petite amie dans l'attentat de novembre 2015 au Bataclan et qui, par l'expérience du tragique et au lieu de s'enferrer dans les poncifs médiatiques de l'époque - faits de compassion collective et d'une vision très manichéenne de l'Histoire -, va s'engager progressivement dans une quête de vérité personnelle et rompre avec sa vie antérieure.
Je pense qu'Anton Ljuvjine, le librettiste, serait d'accord pour dire avec moi que nous essayons de prendre à bras-le-corps notre époque de malaise et de scepticisme achevés vis-à-vis du politique ; cette époque dominée par les réseaux sociaux, la publicité, l'esprit de meute, les atmosphères start-up, le narcissisme pulsionnel… Cet opéra sera une sorte de satire grinçante en forme de dénonciation des fausses valeurs et de la fausse positivité - du faux "Bien" comme disait Philippe Muray - de notre temps.
16 décembre 2018.
"L'Odyssée",
Opéra pour 12 paysages, solistes, quatuor à cordes et orphelins,
à l'Opéra de Lille.
● Jules Matton "Livre 1" (2018).
Label : Fondamenta.
Distribution : Sony Music Entertainment.
Programme complet et catalogue des œuvres sur >> julesmatton.fr