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Théâtre

"Golem" Une mosaïque d'histoires et de témoignages à la découverte d'un mythe protecteur

Fort de son riche parcours cinématographique et artistique, le cinéaste et metteur en scène Amos Gitaï poursuit son exploration théâtrale. Après avoir créé "House" (2023) au Théâtre de la Colline, il investit et traite, dans ces mêmes lieux, la souffrance du peuple juif. Dans une série de parcours de vie, Amos Gitaï s'inscrit dans une approche multilingue et kabbalistique avec la figure protectrice du Golem.



© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Lumière tamisée sur une vaste scène. Au-dessus de celle-ci sont suspendus des fragments de pièces d'habitation, comme des restes d'explosions. Ils sont des instantanés figés qui recèlent des moments de vie passés.

La scénographie est à l'image de ce qui se joue sur scène, avec un narratif découpé entre les protagonistes sur des morceaux d'existence, vécus ou de filiation familiale, qui font boussole pour chacun d'entre eux.

Sur le plateau, deux planches à roulettes accueillent respectivement une table où est situé le violoniste Alexey Kochetkov avec aussi ses synthés et une autre avec le musicien Kioomars Musayyebi et son santour. Ailleurs, à même le plateau, se trouve un piano avec Florian Pichlbauer. La musique et le chant sont très présents tout du long de la représentation.

Cela débute d'ailleurs par un chant à la harpe de Marie Picaut, avant même que le public n'ait fini de s'installer. Puis s'enchaînent des récits, des bouts de vies sans qu'ils se recoupent au travers d'une perdition, celle d'une guerre, d'une tragédie que l'on fait revivre par la parole et le souvenir. On y entend de l'hébreu, du yiddish, de l'allemand, de l'arabe, du français, du russe, du ladino (langue judéo-espagnole), de l'espagnol, de l'anglais. Tout est surtitré en français ou en anglais.

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
C'est un hymne, un chant à la résilience, à la résistance où sont convoquées les histoires des uns et des autres, dont on ignore pour la plupart à quoi elles se rattachent précisément. Il n'y a en effet pas d'ancrage géographique ou temporel. Parfois, elle est filiale quand des figures familiales sont nommées. Par les langues usitées, le metteur en scène et dramaturge Amos Gitaï semble poser un récit qui recouvre un espace-temps de plusieurs siècles allant jusqu'à notre époque contemporaine.

Ce qui fait lien entre eux tous, au-delà de leur souffrance, est ce Golem, être mythique et imaginaire dans la culture hébraïque, à la combinaison décharnée, recouverte de boue. Les récits se greffent dans un passé, voire un présent, qui ne passe pas, causé par de grandes souffrances et des tragédies. En écho se fait entendre la Shoah et les massacres du 7 octobre. Ces réalités, et d'autres du passé, devenues psychiques, voire physiques, construisent l'existence des personnages avec un passé qui les phagocyte, bouscule leur présent et hypothèque leur futur.

La scénographie est dans un spectre où elle paraît être en écho à une mise en situation autant psychologique que physique des protagonistes. Nous sommes dans des camaïeux de couleurs ocres, mats et chaudes qui ressemblent à celles de la terre, comme venant d'un monde enseveli avec des vêtements éparpillés au sol. Et c'est dans cette approche scénique que le Golem a toute sa place et sa mesure parmi les autres personnages. Il se glisse entre eux, disparaît pour réapparaître. Figure légendaire, généralement humanoïde, faite d'argile et issue de textes kabbalistiques, le Golem est une créature qui a pour rôle de protéger le peuple juif. Incapable de parole et de libre arbitre, Amos Gitaï l'envisage différemment, en le faisant participer à la narration. Celle-ci est plurielle et multiple. La douleur est présente et diffuse, le spectacle devenant comme un hymne à celle-ci.

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Le jeu est basé sur une forte présence physique des comédiens par le biais de leur corps, voix et costumes caractéristiques. Il n'y a pas d'échanges entre protagonistes. Leurs lieux scéniques ne sont jamais segmentés, traversés, interrompus. Chacun est dans son pré-carré. Ils circulent et bougent dans un espace qui n'est jamais le même pour la plupart, sans qu'il y ait de rencontre. Le drame et la détresse les laissent seuls face à eux-mêmes et aux autres. Tout semble, à dessein, fuyant et fragile, avec la parole qui permet de donner une consistance à ce qui a été perdu, comme un socle sur lequel ils construisent leur vérité.

Le spectacle est politique, avec une profondeur qui manque tant à notre époque et dont Amos Gitaï est, de façon toujours aussi talentueuse, coutumier.
◙ Safidin Alouache

"Golem"

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Spectacle en français, yiddish, allemand, anglais, arabe, espagnol, hébreu, ladino, russe, surtitré en anglais et en français.
Texte : Amos Gitaï et Marie-José Sanselme.
Mise en scène : Amos Gitaï.
Assistantes à la mise en scène : Céline Bodis, Talia De Vries, Anat Golan.
Avec : Bahira Ablassi, Amos Gitaï, Irène Jacob, Micha Lescot, Laurent Naouri, Menashe Noy, Minas Qarawany, Anne-Laure Ségla.
Musiciens : Alexey Kochetkov (violon et synthés), Kioomars Musayyebi (santour), Florian Pichlbauer (piano).
Chanteuses : Dima Bawab, Amandine Bontemps, Zoé Fouray, Sophie Leleu,
Voix et harpe : Marie Picaut.
Recherche : Rivka Markovitski Gitaï.
Lumières : Jean Kalman, assisté de Juliette de Charnacé.
Son : Éric Neveux.
Scénographie : Amos Gitaï, assisté de Sara Arneberg Gitaï.
Coiffures et maquillage : Cécile Kretschmar.
Costumes : Fanny Brouste, assistée d'Isabelle Flosi.
Patine costumes : Emmanuelle Sanvoisin.
Vidéo : Laurent Truchot.
Conseiller musical et chef de chœur : Richard Wilberforce.
Fabrication des accessoires, costumes et décor : ateliers de La Colline.
Durée : 2 h 15.

Du 4 mars au 3 avril 2025.
Du mercredi au samedi à 20 h 30, mardi à 19 h 30 et dimanche à 15 h 30.
La Colline - Théâtre national, Grand Théâtre, Paris 20e, 01 44 62 52 52.
>> colline.fr

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.

Safidin Alouache
Mercredi 19 Mars 2025

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© PKL.
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