Déambulations insolites, spectacles à tous les coins de rue et foule serpentant d'un artiste à l'autre composent depuis 26 ans le visage du festival d'Aurillac. Cette fois encore, avec près de 450 troupes, l'amateur d'arts de rue peut aussi bien se détendre avec un quelconque blagueur au nez rouge qu'avec des artistes plus sérieux. Du moins, en théorie. La pratique, quant à elle, est plus compliquée.
Où est passée la subversion ?
Ilotopie, "Opéra d'O - Hommage aux Oxymores", Aurillac 2011 © Matthieu Dussol.
En effet, un humour léger et sans conséquences caractérise la plupart des pièces que l'on rencontre. Au petit bonheur la chance, on navigue des sympathiques airs de fanfare de la compagnie du P'tit Vélo à ceux de la compagnie du Coin, en passant par ceux de la Fanfare à la Gueule du Ch'val. On sourit plus ou moins aux pitreries des très nombreux saltimbanques dont on oublie le nom aussitôt.
Hommes déguisés en danseuses étoiles ridicules, monologueurs égocentriques qui font défiler leur histoire, marionnettistes aux talents divers... Tout ce monde accoste joyeusement le public, comme il est de mise dans le théâtre de rue. Seul un ingrédient manque pour que le mélange opère : le potentiel subversif en principe inhérent à ce genre théâtral. Déjà, la concentration des pièces dans la ville empêche toute surprise, tout décalage entre le quotidien et l'imaginaire. La banalité de bon nombre des spectacles fait le reste.
Hommes déguisés en danseuses étoiles ridicules, monologueurs égocentriques qui font défiler leur histoire, marionnettistes aux talents divers... Tout ce monde accoste joyeusement le public, comme il est de mise dans le théâtre de rue. Seul un ingrédient manque pour que le mélange opère : le potentiel subversif en principe inhérent à ce genre théâtral. Déjà, la concentration des pièces dans la ville empêche toute surprise, tout décalage entre le quotidien et l'imaginaire. La banalité de bon nombre des spectacles fait le reste.
Une sobriété injustifiée contre une gaieté surfaite
Kumulus, "Silence encombrant", Aurillac 2011 © Jean-Pierre Estournet.
Bien sûr, toutes les compagnies de passage ne peuvent être logées à l'enseigne de cette médiocrité. Certaines se démarquent par leur inventivité, comme les compagnies de cirque Roue libre, ou par la part critique qu'elles ont su conserver. Dans cette dernière catégorie, on mentionnera par exemple Raphaëlle Arditti de la compagnie Matador, aussi brillante dans sa satire politique "Sarkophonie" que dans "(P)latitudes", sa nouvelle pièce où elle s'ingénie à déconstruire les discours élitistes sur l'Art.
Pour échapper à l'euphorie ambiante, c'est vers le programme officiel, le "On", qu'il faut se tourner. En plus des habitués du festival que sont Métalovoice, Kumulus, Générik Vapeur et Délices Dada, des compagnies plus éloignées du théâtre de rue ont été invitées cette année. Pour le meilleur et pour le pire. Pour le pire, surtout, si l'on s'en tient aux titres de certaines pièces. "Révolutions" des Hongrois et Allemands Akosh S. et Jörg Müller, et "Antigone d'après Antigone" de la Cie Gwenaël Morin évoquent la fin d'une ère. D'autres vont même jusqu'à suggérer la fin du monde, telles que "Droit dans le mur" de Camille Boitel, Benjamin Colin et Fantazio, "Chaos à quai, frénésie musicale" de Nicolas Frize et "Critcru" de la compagnie espagnole Porcopolis.
Mise en scène, costumes, jeu : tout ou presque distingue ces pièces de celles du "Off". Ici, quand il y a humour, et c'est rare, il s'agit d'humour noir. Mais la sobriété du "On" a beau faire impression, elle n'est pas pour autant relayée par plus de sens que les pièces décrites auparavant. Leur parti-pris moderniste se limite trop souvent à la forme et à un discours vaguement apocalyptique.
Pour échapper à l'euphorie ambiante, c'est vers le programme officiel, le "On", qu'il faut se tourner. En plus des habitués du festival que sont Métalovoice, Kumulus, Générik Vapeur et Délices Dada, des compagnies plus éloignées du théâtre de rue ont été invitées cette année. Pour le meilleur et pour le pire. Pour le pire, surtout, si l'on s'en tient aux titres de certaines pièces. "Révolutions" des Hongrois et Allemands Akosh S. et Jörg Müller, et "Antigone d'après Antigone" de la Cie Gwenaël Morin évoquent la fin d'une ère. D'autres vont même jusqu'à suggérer la fin du monde, telles que "Droit dans le mur" de Camille Boitel, Benjamin Colin et Fantazio, "Chaos à quai, frénésie musicale" de Nicolas Frize et "Critcru" de la compagnie espagnole Porcopolis.
Mise en scène, costumes, jeu : tout ou presque distingue ces pièces de celles du "Off". Ici, quand il y a humour, et c'est rare, il s'agit d'humour noir. Mais la sobriété du "On" a beau faire impression, elle n'est pas pour autant relayée par plus de sens que les pièces décrites auparavant. Leur parti-pris moderniste se limite trop souvent à la forme et à un discours vaguement apocalyptique.
"Critcru", le comble du glauque
Porcopolis, Cercle des Arts et Sciences Fiction, "Critcru", Aurillac 2011 © Matthieu Dussol.
Plus que les tubes d'acier jetés en l'air dans "Révolutions", que l'orchestre déglingué de Camille Boitel, plus aussi que le concert ferroviaire de Nicolas Frize, le spectacle de Porcopolis est absurde plus qu'il ne dit l'absurde. Avec pour prétexte une réflexion sur les théories de l'évolution, la conceptrice et metteuse en scène Berta Tarragó explore l'idée qui fait du porc le successeur de l'homme dans la lignée des espèces. Ce n'est qu'à la nuit tombée que l'on peut découvrir sa création, présentée pour la première fois cette années à Aurillac.
Dès l'entrée dans la cour aménagée pour l'occasion, une image nous saisit. Enfermés dans une cage en verre, des porcs accompagnés d'une femme s'ébattent dans de la paille. Selon la voix off qui explique la situation, on aurait injecté un embryon humain à un porc. L'exploration de la cour offre d'autres visions d'un goût tout aussi douteux. Des deux côtés de l'allée qui se dessine apparaissent des femmes au regard vide, leurs enfants dans les bras. Rien de bien nouveau, quand depuis Darwin ce type d'interrogation n'a cessé d'être décliné. Seul l'artifice du glauque, de l'inquiétant, maintient alors l'attention du spectateur. Jusqu'à l'exhibition d'un homme amputé, apogée du sordide...
Dès l'entrée dans la cour aménagée pour l'occasion, une image nous saisit. Enfermés dans une cage en verre, des porcs accompagnés d'une femme s'ébattent dans de la paille. Selon la voix off qui explique la situation, on aurait injecté un embryon humain à un porc. L'exploration de la cour offre d'autres visions d'un goût tout aussi douteux. Des deux côtés de l'allée qui se dessine apparaissent des femmes au regard vide, leurs enfants dans les bras. Rien de bien nouveau, quand depuis Darwin ce type d'interrogation n'a cessé d'être décliné. Seul l'artifice du glauque, de l'inquiétant, maintient alors l'attention du spectateur. Jusqu'à l'exhibition d'un homme amputé, apogée du sordide...
"Opéra d'O", un bol d'air bienvenu
Ilotopie, "Opéra d'O - Hommage aux Oxymores", Aurillac 2011 © Vincent Muteau.
Par bonheur, l'association Ilotopie était invitée afin de présenter sa dernière création, "Opéra d'O". Là, le rêve refait surface et relègue l'apocalypse à une simple possibilité, à un songe parmi d'autres. Grâce à un savant mécanisme, un petit monde s'anime sur le lac choisi comme lieu de représentation. Avec la distance, les personnages incongrus qui émergent de l'ombre ont l'air de marionnettes aux rouages hyper précis. Comme sorties d'un cerveau d'enfant, ces créatures se dévoilent peu à peu et entament une chorégraphie. D'abord claire, cette dernière finit par s'embrouiller.
Le temps de la magie est-il révolu ? Là n'est sans doute pas le propos tenu : la féérie demeure, quand bien même les personnages s'éloignent peu à peu du rôle que leur attribuent les contes. Une ballerine se perd en des mouvements épileptiques, une fée adopte une gestuelle grotesque, un clown se perd dans ses mimiques... Des hommes à la tête de cheval, une mort lumineuse à la quête d'une proie : plus inquiétantes, ces figures disent avec subtilité le mystère de la vie et de la nature, message que la compagnie Ilotopie fait passer depuis sa création. La musique et les chants qui rythment ce ballet aquatique, de l'air d'opéra à la techno, accompagnent les oscillations entre rêve et cauchemar.
Le temps de la magie est-il révolu ? Là n'est sans doute pas le propos tenu : la féérie demeure, quand bien même les personnages s'éloignent peu à peu du rôle que leur attribuent les contes. Une ballerine se perd en des mouvements épileptiques, une fée adopte une gestuelle grotesque, un clown se perd dans ses mimiques... Des hommes à la tête de cheval, une mort lumineuse à la quête d'une proie : plus inquiétantes, ces figures disent avec subtilité le mystère de la vie et de la nature, message que la compagnie Ilotopie fait passer depuis sa création. La musique et les chants qui rythment ce ballet aquatique, de l'air d'opéra à la techno, accompagnent les oscillations entre rêve et cauchemar.
Un théâtre de rue aux contours fluctuants
Mais où est donc l'élément central du festival, la rue, dans une telle proposition comme dans celle de Porcopolis ? Certes, "Opéra d'O" se déroule hors d'une salle de théâtre, mais l'interaction avec le public est nulle et le hasard inexistant. Le rapport de l'acte théâtral à l'espace est mis en question, ce qui n'est pas le cas dans "Critcru". Si le théâtre de rue n'est pas un genre aux contours figés, ces constantes participent de sa définition comme discipline à part entière.
Peut-on en modifier les frontières à l'envie, au risque de rendre inclassable la pièce ? Tant que le résultat fait sens, bien sûr, même si le théâtre de rue fait place à tout autre chose. Cela dit, le choix de l'équipe du festival d'accueillir des pièces qui outrepassent les limites de l'art de rue ne peut qu'interroger. La présence des Chiens de Navarre avec leur fameuse "Raclette", par exemple, montre que la subversion n'est pas le propre du théâtre de rue. Et que le théâtre institutionnel, en trouvant de nouveaux modes d'expression, peut lui aussi questionner le monde autant que l'art mis à l'honneur par le festival d'Aurillac.
Peut-on en modifier les frontières à l'envie, au risque de rendre inclassable la pièce ? Tant que le résultat fait sens, bien sûr, même si le théâtre de rue fait place à tout autre chose. Cela dit, le choix de l'équipe du festival d'accueillir des pièces qui outrepassent les limites de l'art de rue ne peut qu'interroger. La présence des Chiens de Navarre avec leur fameuse "Raclette", par exemple, montre que la subversion n'est pas le propre du théâtre de rue. Et que le théâtre institutionnel, en trouvant de nouveaux modes d'expression, peut lui aussi questionner le monde autant que l'art mis à l'honneur par le festival d'Aurillac.
Métalovoice, "Espèce H", Aurillac 2011 © Michel Palus.