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Théâtre

"Dom Juan", le réel dans sa dimension fantastique... Comme une sensation du sacré

"Dom Juan ou le festin de Pierre", Comédie Française, Paris

Du 15 février au 18 avril 1665, durant le carnaval, Molière présente une pièce "Dom Juan ou le Festin de pierre" dont le sujet est emprunté à l’espagnol Tirso de Molina et qui décrit la cavale d’un cavaleur qui se voulait nouvel Alexandre de l’Amour. L’homme finit tragiquement en bravant le spectre du commandeur, invité par lui à un repas. En dépit de sa forme un peu décousue (ou peut-être à cause de cela), elle fut un succès.



© Brigitte Enguérand.
© Brigitte Enguérand.
Elle est alors en effet innovante avec ses décors animés, son automate figurant un convive en pierre. Et puis dans le propos, elle a une manière assez scandaleuse de relater une suite de faits divers et de provocations absolues : dans ce festin de pierre, le jeune homme Dom Juan refuse, lui, l’amoureux, le mariage à une femme… Elvire qui l’aime et qu’il a pourtant honorée. Il affirme "Sa liberté de Penser et Sa vitalité" au mépris de toute règle.

L’histoire parait énorme et incroyable. Molière pourtant avertit son public (d’hier comme d’aujourd’hui). Dans son prologue, il vante les effets psychotropes du tabac, plante à la mode discutée par la faculté de médecine et soumise à interdiction. On ne peut se tromper sur le message. La pièce décrit des états de sensations différents, une descente aux enfers mais par les moyens du théâtre et ses effets de farce, c’est un cauchemar délicieux. Et redoutablement ambigu. Dom Juan, libre et penseur, confronté aux usages et à la question de ce qui relie les hommes, s’émancipe par sa volonté et sa représentation du monde. Sa cavale de sensuelle devient métaphysique.

La mise en scène de Jean-Pierre Vincent, dans sa rigueur et son esthétique, rend compte de la formidable cohérence interne de la pièce et engendre une forme théâtrale équilibrée et subtile.

Dans l’espace de la scène, l’équipe artistique et les comédiens apportent juste ce qu’il faut d’ostentation et de richesses pour plonger le spectateur dans état de quiétude visuelle et provoquer l’expression d’un contentement heureux qui rend disponible à l’écoute du texte, ses inflexions, ses obsessions, ses répétitions. Tout se passe comme si le spectateur était à la fois témoin intégré à l’histoire et observateur d’une œuvre raffinée. Prêtant et l’œil et l’oreille à la peinture des caractères et au débat d’idées dans un spectacle à la fois chatoyant et rigoureux...

Le spectateur discerne nettement les enjeux des personnages et les menées de Molière. À l’occasion de la fuite de Dom Juan faite de provocations et de surenchères qui vont crescendo, l’auteur fait feu de tout bois, met en avant les vérités de bon sens un peu païen qui font rire (qui a peur du moine bourru ?) et la démonstration d’une philosophie de la Raison aristocratique et athée (je sais que deux et deux font quatre). Au fur et à mesure que s’affirment les codes du théâtre, le spectateur observe la désagrégation des liens binaires et ordinaires : Entre les femmes et les hommes, entre le maitre et son valet, entre les jeunes gens et les adultes, entre le père et son fils, entre la vie et l’au-delà, entre le vivant et l’artefact. Jusqu’à’ à l’irruption de la peur, de l’irrationnel.

Dans le mouvement de cette mise en scène à la théâtralité affichée, Jean Pierre Vincent concentre les caractères. Ses comédiens sont conduits à ce point ultime de l’ambiguïté du jeu et de sa grâce par laquelle le silence est tenu. Dans l’interstice émergent la force du désir et son illusion. Effet ultime obtenu à la scène finale, dans ce "Dom Juan" apparait le réel dans sa dimension fantastique. Son énigme ainsi que le silence qui s’ensuit. Avant l’ovation.
Quelque chose comme la sensation du sacré…

"Dom Juan ou le Festin de Pierre"

Comédie en cinq actes de Molière.
Mise en scène : Jean-Pierre Vincent.
Dramaturgie : Bernard Chartreux.
Assistante à la mise en scène : Frédérique Plain.
Avec : Alain Lenglet (Don Louis), Julie Sicard (Charlotte), Loïc Corbery (Don Juan), Serge Bagdassarian (Sganarelle), Clément Hervieu-Léger (Don Carlos), Pierre Louis-Calixte (Gusman, le Pauvre et M. Dimanche), Suliane Brahim (Elvire), Jérémy Lopez (Pierrot et Don Alonse), Jennifer Decker (Mathurine).
Les élèves-comédiens de la Comédie-Française : Lucas Hérault (Ragotin), Blaise Pettebone (La Ramée), Nelly Pulicani (La Violette)
et Jean-Michel Rucheton (la Statue du commandeur).
Durée du spectacle : 2 h 50 avec entracte.

Spectacle du 18 septembre 2012 au 11 novembre 2012.
Matinée à 14 h, soirée à 20 h 30, spectacle en alternance (voir détails horaires sur le site).
Comédie française, Théâtre éphémère, Jardins du Palais-Royal, Paris 1er.
>> comedie-francaise.fr

Jean Grapin
Lundi 1 Octobre 2012

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