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Théâtre

"Des gens comme eux" Un fait divers, miroir d'une société mal mixée

C'est une histoire vraie dont est extraite cette pièce. Un drame qui eut lieu en 2003 au Grand-Bornand, duquel l'autrice et comédienne Samira Sedira a d'abord tiré un roman (publié aux Éditions du Rouergue), puis cette adaptation pour la scène à la demande d'Éric Massé, metteur en scène et codirecteur du Théâtre du Point du Jour. Une histoire qui glaça le sang de toute une région.



© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Histoire complexe dans ses leviers d'action puisque dans ce fait divers, rien ne prédisposait le coupable à ce qu'il accomplisse le crime qu'il finit par accomplir. Pour en saisir tous les tenants et les aboutissants, Samira Sedira revient aux origines mêmes de la rencontre entre victimes et meurtrier et le spectacle va dérouler, action après action, tous les rouages qui vont mener ces gens ordinaires au drame sanguinaire.

Tout commence dans un petit village de montagne, Carmac, le jour où le couple Langlois et ses enfants arrivent. Ce sont des citadins, fortunés, qui font construire un immense chalet pour s'installer là et y continuer leurs activités lucratives : une société qui propose des voyages touristiques exceptionnels à une clientèle en quête d'originalité. Dans ce petit village où le quotidien sent le train-train, où tout le monde se connaît, où la vie ne semble ne faire que se répéter depuis des siècles sans jamais espérer changer d'un iota le rythme des saisons, des mariages, des naissances, des enterrements, l'arrivée de ces nouveaux habitants va vite créer des remous.

Leur richesse apparente, leurs grosses voitures (un Hummer, entre autres), leurs réceptions dont ils font profiter leurs nouveaux voisins font jazzer et attirent certains quand d'autres se prennent à jalouser. Mais c'est surtout l'affabilité débordante de ce couple, en particulier de cet homme, Bakari Langlois, qui attire le voisinage autant qu'il déclenche des rivalités entre les gens du village.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Un détail qui a toute son importance dans ce schéma qui mène de la tranquillité à la tragédie sociale, Bakari est noir.

La pièce met en particulier l'accent sur deux couples de villageois, des voisins proches, qui finissent par devenir des intimes des nouveaux arrivants. C'est au travers du regard de la femme d'un des deux couples que l'on suit le déroulement de l'histoire. Que l'on découvre petit à petit la manière dont les relations entre ces trois couples évoluent, s'éloignent, se rapprochent, se détériorent.

Ce sont d'abord les différences de classe sociale qui vont empoisonner ces relations. Le mépris de classe, comme on dit, que surtout l'un des personnages va éprouver. Il s'appelle Constant. Il fut dans sa jeunesse un espoir de l'athlétisme professionnel dont la carrière fut brisée par une chute et, avec sa carrière, tous ses rêves de réussite. Sur ce ferment de rêves brisés, vite devenus meurtrissures, vite transformée en désabusement, puis en acidité, va alors pousser subitement une rage folle et meurtrière dans l'esprit de ce Constant.

L'analyse des ressorts de cette macération de la rancune est finement amenée par le texte de la pièce. Ponctuée, comme en contrepoints, par des fêtes, des réceptions, des réjouissances, toutes célébrations qui rythment la vie des villages. La mise en scène d'Éric Massé donne un souffle intense à ce long pourrissement des relations. On ne sait jamais trop qui, de ces six personnages, répand ces graines malsaines : les nouveaux arrivés ou les habitants de longue date ?

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Comme il est annoncé dès le début du spectacle par le personnage de la femme de Constant, la tragédie finit par arriver, puis l'histoire bascule d'un coup sur le procès du meurtrier. On découvre alors la vérité sur Bakari et sa femme, ainsi que sur les derniers faits qui jetèrent Constant dans une folie meurtrière qui lui fit décimer toute la famille, enfants compris. Et l'on sent alors qu'une forme de racisme presque jamais mise au jour a bien participé au déclenchement de la haine et de la violence. Un racisme ordinaire qui fait froid dans le dos.

La pièce dessine ainsi le paysage d'une société observée à la loupe, une société dont certains pans obscurs sont parfois mis en lumière par des actes violents qui défraient la chronique. La mise en scène fluide et scénographie bien symbolisée, le jeu et le rythme des scènes ainsi que les changements de décors vifs et sans temps morts apportent au spectacle une dynamique de course vers l'abîme qui tient en haleine jusqu'au bout. C'est l'action, les actions qui sont mises en avant, quitte à perdre parfois un peu de profondeur dans l'analyse des personnages qui restent un peu trop symboliques, extérieurs. On aurait aimé un peu plus d'expressions de leurs tourments intimes qui se dévoilent plus par les actes que par les mots.

Reste que la pièce expose avec finesse les ressorts parfois ambigus des relations sociales et des clivages entre les classes, de même qu'elle fait bien entendre le fait que le racisme ordinaire rôde encore partout comme un prédateur dans la nuit, prêt à engendrer la violence.
◙ Bruno Fougniès

"Des gens comme eux"

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Texte et adaptation : Samira Sedira.
Mise en scène : Éric Massé.
Avec : Laure Barida, Louis Ferrand, Étienne Galharague, Gaëtan Kondzot, Marianne Pommier, Amélie Zekri et Éric Massé/Selena Hernandez en alternance.
Collaboration artistique : Selena Hernandez.
Coach vocal : Myriam Djemour.
Scénographie : Kinga Sagi.
Création sonore : Marc Chalosse.
Création lumière : Rodolphe Martin.
Création costumes : Loïs Heckendorn.
Production : Théâtre Point du Jour, Lyon ; Compagnie des Lumas.
À partir de 12 ans.
Durée : 1 h 45.

Du 3 au 11 octobre 2024.
Lundi, mardi, jeudi, vendredi à 20 h, samedi à 18 h 30.
Théâtre du Point du Jour, 7 rue des Aqueducs, Lyon 5e, 04 78 25 27 59.
>> pointdujourtheatre.fr

Bruno Fougniès
Lundi 7 Octobre 2024

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© Betül Balkan.
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© Philippe Hanula.
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