La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"D'autres familles que la mienne" Une petite fouille dans les affaires de l'aide à l'enfance

Sur l'immense plancher carré qui recouvre le plateau de la Manufacture des Œillets va se dérouler la danse de la dernière création à moitié collective d'Estelle Savasta. Un plateau qui doit rappeler celui où la metteuse en scène, ainsi que ses comédiennes et ses comédiens, ont construit, à mesure des improvisations, cette quête vers l'étrangeté de la famille.



© Danica Bijeljac.
© Danica Bijeljac.
Qu'est-ce qui fait famille ? Se demandent-ils. Pour y répondre, le matériau de leurs recherches sera extrait d'enquêtes, d'interviews et d'histoires qu'Estelle Savasta a glanées auprès des services d'aide à l'enfance, des familles d'accueil, des éducateurs, des enfants placés. Parmi ces témoignages, celui d'un couple deviendra peu à peu la trame du spectacle. Ils seront Nora et Nino, interprétés par Zoé Fauconnet et Matéo Thiollier Serrano.

En fond de scène, une immense toile brodée de trois lettres. Des broderies comme on en trouve dans les armoires à linge des maisons du siècle dernier, sur les mouchoirs, les serviettes, les draps, symbole ineffaçable de l'appartenance de ces objets à celui dont les initiales y sont brodées. Mais aussi, à l'inverse, preuve pour celui-ci de son droit à être dans cette maison, cette famille.

Trois lettres : Un N, un autre N et puis une jolie rose, et puis un A. A comme Ariane, celle qui réunira Nora et Nino longtemps après le début de l'histoire qui se confond avec le début de l'existence de Nora. Un commencement tragique puisque l'aide sociale retrouvera celle-ci à l'âge de deux mois, abandonnée par sa mère sur un balcon dans le froid de l'hiver. Commence alors la longue aventure de ce nouveau-né dans la sphère mi-humaine mi-mécanique de l'aide à l'enfance.

© Danica Bijeljac.
© Danica Bijeljac.
En alternant des courtes scènes réalistes qui racontent succinctement les différentes étapes de l'enfance de Nora prise entre famille d'accueil, décisions arbitraires des services sociaux et apparitions/disparitions de sa mère victime d'addictions violentes, l'on suit par ellipses le parcours de cet enfant jusqu'à l'adolescence. Sans jamais rentrer dans le pathos ou le sentimentalisme, c'est presque sous forme analytique que se déroulent les scènes. Une certaine froideur, une mécanique des entrées et sorties, la mise en scène d'Estelle Savasta semble tâtonner dans le noir par crainte de trop s'approcher de l'abîme que son personnage phare, Nora, côtoie dans ce monde dans lequel la question de qui l'on est ? Dépend quasiment systématiquement d'où l'on vient ? Et de quelle famille est-on issu ?

Le spectacle se concentre alors sur un vertige supplémentaire, celui de l'adolescence. Une adolescence marquée par la rencontre quasi-fusionnelle, intense, et l'amitié fulgurante de Nora pour Ariane. L'amitié venant alors faire barrage, par ses éclats de rire et de provocations saines, au désastre d'un placement en foyer et d'une nouvelle perte de repère pour Nora. Une amitié lumineuse, plus forte que toutes les solitudes, croit-on, et qui donne des éléments de réponse à une autre question que la team s'est posée : "Comment raconter l'amour puissant, comment raconter la fulgurance des amitiés adolescentes…". Même si qui connaît un peu ceux que l'on appelait par le passé "les enfants de la DASS" sait que cette solitude subie a peu de chance de s'effacer du cœur de ceux-ci.

La pièce est accompagnée d'une création sonore de Ruppert Pupkin, qui frise la perfection pour sa présence habile sans qu'elle ne s'impose jamais et semble se glisser dans les paroles des interprètes, où en rendre l'âme avec son abondance de chants en italien qui donnent de la chair aux scènes purement visuelles.

Une pudeur excessive peut-être, ou un désir de netteté, de vérité trop intense rendent ce spectacle un peu distant. D'autant que les ellipses temporelles, qui sont nombreuses, si elles sont d'une efficacité fabuleuse au cinéma, provoquent au théâtre des brisures de rythme qui segmentent énormément les scènes et nuisent à la dramaturgie. Par contre, la belle danse des entrées/sorties, changements de personnages et les déplacements de la table de ferme qui fait office de décor, sont dans une très belle ordonnance qui donne le tempo au spectacle.
◙ Bruno Fougniès

"D'autres familles que la mienne"

© Danica Bijeljac.
© Danica Bijeljac.
Texte : Estelle Savasta en collaboration avec les acteurs et actrices.
Mise en scène : Estelle Savasta.
Assistante à la mise en scène : Titiane Barthel.
Avec : Olivier Constant, Valérie Puech, Zoé Fauconnet, Clémence Boissé, Matéo Thiollier Serrano et Najda Bourgeois.
Musique : Ruppert Pupkin.
Scénographie : François Gauthier-Lafaye.
Création lumière : Léa Maris.
Costumes : Cécilia Galli.
Régie générale et lumière : Yann Lebras ou Matthieu Marquès.
Régie son : Anouk Audart ou Rose Bruneau.
Réalisation du décor dans les Ateliers de construction du
Théâtre de la Cité sous la direction de Michaël Labat.
Production : Cie Hyppolyte a mal au coeur.
À partir de 11 ans.
Durée : 1 h 40.

A été représenté du 19 au 27 novembre 2024 à La Fabrique, Salle Adel Hakim, Ivry-sur-Seine (94).

Tournée
4 et 5 décembre 2024 : MC2 - Maison de la Culture, Grenoble (38).
Du 15 au 17 janvier 2025 : Théâtre de la Cité - CDN de Toulouse Occitanie, Toulouse (31).
Du 28 au 31 janvier 2025 : La Comédie, Saint-Étienne (42).
Du 4 au 6 mars 2025 : CCAM - Scène Nationale (en collaboration avec le Théâtre de la Manufacture - CDN Nancy), Vandoeuvre-Lèsnancy (54).
27 et 28 mars 2025 : Maison de la Culture, Bourges (18).
26 et 27 mai 2025 : Théâtre + Cinéma - Scène Nationale Grand Narbonne, Narbonne (11).

Bruno Fougniès
Lundi 2 Décembre 2024

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"Différente" Carolina ou "Cada uno es un mundo (Chacun est un monde)"

Star internationale à la frange rouge, Carolina est de retour en France, après sa tournée mondiale. Heureuse de retrouver son public préféré, elle interprète en live des chansons populaires qui touchent le cœur de toutes les générations.

© Audrey Bären.
Mais qui est donc cette incontournable Carolina ? Ou, plus exactement, qui se cache derrière cette artiste plutôt extravagante, à la folie douce ? De qui est-elle l'extension, au juste ?

L'éternelle question autour de l'acte créatif nous interpelle souvent, et nous amène à nous demander quelles influences l'homme ou la femme ont-ils sur leurs "créatures" fabriquées de toutes pièces ! Quelles inspirations les ont portées ! Autant de questions qui peuvent nous traverser particulièrement l'esprit si tant est que l'on connaisse un peu l'histoire de Miguel-Ange Sarmiento !

Parce que ce n'est pas la première fois que Carolina monte sur scène… Décidément, elle en a des choses à nous dire, à chaque fois. Elle est intarissable. Ce n'est pas Rémi Cotta qui dira le contraire, lui qui l'accompagne depuis déjà dix ans et tire sur les ficelles bien huilées de sa vie bien remplie.

Rémi Cotta, artiste plasticien, graphiste, comédien, chanteur lyrique, ou encore metteur en scène, sait jouer de ses multiples talents artistiques pour confier une parole virevoltante à notre Carolina. Il suffit de se souvenir du très original "Carolina Show", en 2010, première émission de télé sans caméra ayant reçu de nombreux artistes connus ou moins connus ou le "Happy Show de Carolina", ainsi que les spectacles musicaux "Carolina, naissance d'une étoile", "Le Cabaret de Carolina", ou encore " Carolina, L'Intelligence Artificielle".

"Différente" est en réalité la maturation de plusieurs années de cabarets et de spectacles où Carolina chante pourquoi et comment elle est devenue une star internationale tout en traversant sa vie avec sa différence". Miguel-Ange Sarmiento.

Brigitte Corrigou
08/11/2024
Spectacle à la Une

"Tout va très bien !" Le Grand Orchestre du Splendid, bon pied bon œil, revient avec de la musique sur tous les fronts

Voir les choses en grand tout en restant léger ! Prendre du plaisir et, surtout, en donner ! Voilà la philosophie du Grand orchestre du Splendid qui régale le public depuis 1977. Bientôt 50 ans… Bientôt le jubilé. "De la musique avant toute chose" et vivre, vivre, vivre…

© Aurélie Courteille.
En 1977, quelques amis musiciens professionnels se retrouvent entre eux et décident de s'amuser en réinterprétant des classiques tels que ceux de Ray Ventura ou de Duke Ellington. Ce qui ne devait être qu'un plaisir entre copains devient vite un succès immédiat qui dure depuis presque 50 ans. Mais quel est donc le secret de cette longévité entre rythmes endiablés, joyeuses cadences et show totalement désopilants ?

Ne le leur demandez pas ! Ils ne vous en diront rien… Si tant est qu'ils le sachent eux-mêmes, tant cette énergie semble ancrée en eux depuis toutes ces années, indéfectible, salvatrice et impérissable.

Entre swing, jazz, salsa, reggae – quatre de leurs principales influences –, ou encore fiesta et mises en scène délirantes, les quatorze chanteuses et musiciens de l'Orchestre mythique enchantent le public, sur la scène du Café de la Gare, depuis le 11 novembre. Comme à leurs premières heures, et en échappant pourtant aux codes et impératifs de la mode, ils nous donnent irrésistiblement envie de monter sur scène pour danser à leurs côtés sur le plateau, frétiller, sautiller, et tout oublier l'espace de quelques instants. Leur énergie communicative est sans failles, et gagne sans commune mesure toutes les générations. Les cuivres étincellent. Les voix brillent de mille feux sonores.

Brigitte Corrigou
13/11/2024
Spectacle à la Une

"Jacques et Chirac" Un "Magouille blues"* décapant et burlesque n'occultant pas le mythe du président sympa et séducteur

Une comédie satirique enjouée sur le pouvoir, le mensonge et la Cinquième République portée par une distribution tonitruante et enthousiaste, dégustant avec gourmandise le texte de Régis Vlachos pour en offrir la clownesque et didactique substantifique moelle aux spectateurs. Cela est rendu aussi possible grâce à l'art sensible et maîtrisé de l'écriture de l'auteur qui mêle recherche documentaire affinée, humour décapant et bouffonnerie chamarrée pour dévoiler les tours et contours d'un Jacques sans qui Chirac ne serait rien.

© Fabienne Rappeneau.
Portraitiste décalé et impertinent d'une Histoire de France ou de l'Humanité aux galbes pas toujours gracieux dont surgissent parfois les affres de notre condition humaine, Régis Vlachos, "Cabaret Louise" (Louise Michel), "Dieu est mort" (Dieu, mieux vaut en rire)"Little Boy" (nom de la bombe larguée sur Hiroshima), revient avec un nouveau spectacle (création 2023) inspiré d'un des plus grands scandales de notre histoire contemporaine : la Françafrique. Et qui d'autre que Jacques Chirac – l'homme qui faisait la bise aux dictateurs – pouvait être convoqué au "tribunal" du rire et de la fantaisie par l'auteur facétieux, mais doté d'une conscience politique aiguë, qu'est Régis Vlachos.

Le président disparu en 2019 fut un homme complexe composé du Chirac "bulldozer" en politique, menteur, magouilleur, et du Jacques, individu affable, charmeur, mettant autant la main au cul des vaches que des femmes. Celui-ci fut d'abord attiré le communisme pour ses idéaux pacifistes. Il vendra même L'Humanité-dimanche devant l'église Saint-Sulpice.

La diversité des personnalités importantes qui marquèrent le début de son chemin politique joue tout autant la complexité : Michel Rocard, André Malraux et, bien sûr, Georges Pompidou comme modèle, Marie-France Garaud, Pierre Juillet… et Dassault comme portefeuille ! Le tout agrémenté de nombre de symboles forts et de cafouillages désastreux : le bruit et l'odeur, la pomme, le cul des vaches, les vacances à l'île Maurice, les amitiés avec les despotes infréquentables, l'affaire ELF, etc.

Gil Chauveau
03/11/2024