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Théâtre

"Cette note qui commence au fond de ma gorge" Un cri d'amour comme on boxe, des mots qui portent des coups, blessent et mordent pour que l'histoire cesse de se terminer

Oui, l'histoire d'amour, la belle histoire d'amour de Bahia et d'Aref vient de finir, du moins elle se finit. Aref s'en va. C'est comme ça. Il s'en va. Et ça déchire Bahia. Et ça la révolte. Elle ne veut pas que cet amour s'arrête, elle ne veut pas qu'Aref parte, alors elle va se battre avec tout ce qu'elle possède pour que l'amour continue, pour que cette fin ne cesse pas, pour qu'elle ne cesse peut-être jamais.



© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Parce qu'il lui est tombé dessus sans qu'elle s'y attende, cet amour, cet Aref, cet inconnu qui apparaît soudain devant ses yeux venant de son lointain pays, l'Afghanistan, un jour ordinaire comme un autre, et c'est bien malgré elle que ce sentiment fort, viscéral, dictateur lui creuse le ventre et l'âme fait le vide de tout ce qui n'est pas cet inconnu, cet Aref, cet amour qui arrive, qui ne parle presque pas un mot de français et qui la possède corps et âme avant même qu'un mot soit échangé.

Bahia, la petite Française de grande banlieue, se révèle belle guerrière dans cette adversité qu'elle ne peut accepter. Et ce sont ses mots, les mots que l'auteur Fabrice Melquiot lui offre à lancer, qui vont être la musique et les grondements, et surtout ses armes pour tenter l'impossible, tenter d'encore avoir une chance que cet amour dure. Avec ses mots qui caressent, tempêtent, menacent, frappent, mais ne pleurent jamais, ne gémissent jamais, elle va boxer cet homme par tous les moyens pour qu'il cède, pour qu'il s'ouvre. Et c'est une ode au texte, au sens et aux mots auxquels on assiste dans cette joute violente et sans paix.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Mais Aref est un géant lunaire, un musicien blessé par les désordres du monde, jeté hors de son pays par les talibans, devenu un inconnu, un étranger en quête de son existence ici. C'est la raison pour laquelle il part. Rejoindre dans une autre ville, des Afghans, des musiciens, des repères, c'est pour ce futur qu'il quitte Bahia.

Fabrice Melquiot s'est inspiré de la personnalité et de la vie d'Esmatullah Alizadah qui interprète le personnage d'Aref. Musicien, chanteur, joueur de dambura et d'harmonium, Esmatullah Alizadah était cet interprète de chants traditionnels, ce musicien né dans une famille de musiciens, avant que les talibans ne terrorisent son peuple. Ce ne sont pas avec les mots que son personnage réplique à celui interprété par Angèle Garnier, mais avec sa musique, avec ses chants, ces chants qui semblent tous évoquer avec nostalgie un monde perdu.

Le verbe fort et rythmé que Fabrice Melquiot a produit, dans une langue moderne, avec ses expressions du langage de la vie, de la rue, de la cour d'école qu'il projette dans des alexandrins et des décasyllabes tout au long du spectacle, est un souffle à la fois de réalisme, de poésie et d'humour qui emporte toute la pièce. C'est la joute de ces mots portés par le jeu énergique et sensible d'Angèle Garnier avec les chants et la musique intenses et authentiques d'Esmatullah Alizadah qui donne forme et fond à ce spectacle. Le challenge est réussi. Beauté du langage, beauté des sons s'emmêlent.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Fabrice Melquiot, dans cette création qu'il a lui-même mise en scène dans un dispositif qui favorise la proximité du public avec les interprètes, a réussi la belle prouesse de donner à entendre la forme d'or de la versification, l'alexandrin, ciselé avec la matière du langage d'aujourd'hui. Angèle Garnier, qui défend presque l'intégralité du texte, possède une fluidité d'élocution qui fait parfois pétiller les expressions lorsqu'une forme élaborée se combine à une forme plus triviale, plus issue du langage de la vie courante. Son personnage, Bahia, apparaît ainsi nimbé d'une troublante fragilité, tout en possédant une redoutable volonté.

Ce spectacle est né d'une demande de Sandrine Mini, directrice de la scène nationale de Sète, le Théâtre Molière, auprès de Fabrice Melquiot, auteur associé, dans le but d'offrir à Esmatullah Alizadah un tremplin professionnel pour privilégier sa venue en France. Le résultat est largement à la hauteur du projet, destiné au départ à un jeune public, il touche dorénavant tous les publics, au cœur, aux sens et à l'esprit.
◙ Bruno Fougniès

"Cette note qui commence au fond de ma gorge"

Texte : Fabrice Melquiot.
Mise en scène : Fabrice Melquiot.
Avec : Esmatullah Alizadah et Angèle Garnier.
Scénographie : Raymond Sarti.
Régie générale : Marie Favier.
Construction accessoires : Cécile Chauvin, Isaure Lecœur.
À partir de 11 ans.
Durée : 45 minutes.

Du 15 au 26 octobre 2024.
Du mardi au vendredi à 14 h 30 et 19 h, samedi à 19 h.
Théâtre de la Concorde, Paris 8ᵉ, 01 71 27 97 17.
>> theatredelaconcorde.paris

Tournée
Du 5 au 8 novembre 2024 : Théâtre de Sartrouville et des Yvelines - CDN, Sartrouville (78).
Du 19 au 21 novembre 2024 : Théâtre de Lorient - CDN, Lorient (56).
Du 11 au 14 février 2025 : Théâtre Molière - Scène nationale Archipel de Thau, Sète (34).
13 et 14 mai 2025 (dates à confirmer) : Le Meta - CDN, Poitiers (86).

Bruno Fougniès
Mardi 22 Octobre 2024

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© Ève Pinel.
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© Betül Balkan.
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