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Théâtre

"Carbone" Sept méditations sylvestres à la recherche de nos origines

Dieu, selon une légende urbaine couchée sur du papier bible, aurait naguère créé la Terre, les Animaux, l'Homme (et accessoirement la femme) en six jours ouvrés, le septième étant réservé comme il se doit au repos du guerrier… Sur ses pas, la Cie du Syndicat d'initiative de Julien Duval et Carlos Martins se propose de retourner en forêt, à la nuit tombante, au cœur de la création (artistique) pour, au détour de sept méditations, poser aux spectateurs aventureux cette question tout autant essentielle qu'existentielle : "C'est quoi être humain ?". L'occasion rêvée, en pleine nature et pleine nuit, d'éclairer nos lanternes sur ceux qui nous ont précédés et dont nous sommes les (heureux ?!) héritiers.



© Raoul Gilibert.
© Raoul Gilibert.
Tout commence par une immersion sensible dans la (belle) forêt du Taillan Médoc située à une vingtaine de kilomètres de Bordeaux. Là, les autocars ayant déversé leur cargaison d'humains estampillés 2024 av. JO, la rencontre avec les grands feuillus (ou pas) invite à apprécier en toute conscience la mesure de ce que nous sommes. Et lorsqu'un acteur humanoïde, juché sur un escabeau, développe – geste à l'appui – la tirade de la main (exit celle du nez de Cyrano), organe magique dont le creux est comme un don céleste permettant d'appréhender le monde en sa concavité, on se dit qu'on en avait perdu totalement conscience, absorbé au plus haut point par la prothèse du portable qui la prolonge.

Guidés par des lucioles solaires jusqu'à des gradins de bois, nous prenons place pour accueillir les sept méditations… Collerette shakespearienne autour du cou, crâne du bouffon Yorick en main, un comédien ouvre la représentation en simulant Hamlet. Un rôle moins effrayant à ses dires que son face-à-face avec un loup bien vivant, moment essentiel où s'est jouée devant ses yeux éblouis "sa" rencontre avec les origines de notre humanité. D'où la question centrale récurrente : être humain, c'est quoi ?

© Raoul Gilibert.
© Raoul Gilibert.
Première méditation… "Je n'ai jamais vu un chien admirer un arbre". Être sensible à la beauté de la nature, s'en émerveiller jusqu'à plus soif, pourrait être un premier élément de réponse. La citation du poème de Jacques Prévert – "Deux escargots s'en vont à l'enterrement d'une feuille morte" – ajoute à ce moment d'extase contemplatif une touche supplémentaire de bonheur "naturel". Tout au long de la soirée, de multiples références à des poètes, philosophes, anthropologues et sommités diverses et variées, viendront en effet étayer les propos tenus. La fantaisie s'invitera aussi. Là, sous la forme d'une question apparemment saugrenue mettant en perspective la cause et l'effet : "A-t-on perdu nos poils parce que l'on portait des vêtements ? Ou a-t-on porté des vêtements parce qu'on n'avait pas de poils ?". L'éternelle question casse-tête (pour ne pas dire plus…) de l'œuf et de la poule…

"Unicité ou universalité de l'espèce ?"… Les récits de vie viennent corroborer l'itinéraire singulier de chacun s'inscrivant dans le cadre d'une histoire commune à partager. Ainsi de la méditation suivante – "Dans la diversité qui nous unit, nous sommes tous différents" – où les réponses aux questions posées aux 155 personnes présentes ce soir confirment amplement cet axiome… Nous sommes chacun les héritiers d'une longue histoire singulière et commune, "Nous avons vécu avant de naître" (dixit Pascal Quignard), notre histoire nous dépasse totalement…

Et pour illustrer que ce qui nous fonde trouve ses origines dans le big bang, suivi (très longtemps après) par les bactéries, les primates et l'Homo sapiens, un mètre à ruban est déployé, offrant une vue ludique des différentes étapes qui nous ont précédés. Force est de constater, sans contestation possible, que l'Homo sapiens n'occupe qu'un micro-espace dans le panorama déplié de l'histoire de notre planète…

"Homo sapiens est un songe vivant", aucune réalité en dehors de celle que se raconte l'humain. "La vie est un songe" (Calderon). " Mourir... dormir, peut-être rêver. Être ou ne pas être, telle est la question" Shakespeare encore et toujours cité pour dire que notre présence au monde n'est que fragmentaire, un récit bâti de toutes pièces par notre psyché. Marguerite Yourcenar, sollicitée à son tour, enfoncera le clou de la relativité de notre importance humaine au regard de celle des arbres. Et joignant le geste au propos, les comédiens se dévêtent de leur pelure pour se relier par un ruban à l'arbre, leur alter ego.

© Raoul Gilibert.
© Raoul Gilibert.
Un dernier pas restera à franchir dans la chaine de l'évolution donnée à voir et à entendre avec entrain. Remonter en effet à l'origine des origines pour y trouver… le carbone, source de la vie et titre phare de cette performance bucolique. La chute, guidée par la comédienne musicienne ayant officié cette traversée vertigineuse, proposera une synthèse de la démonstration in vivo : "Si vous voulez savoir d'où vous venez, ne vous arrêtez pas à vos parents, grands-parents, ou même à la Révolution française… remontez au big bang".

Plaisir sensible d'être en forêt par une belle nuit de printemps, en compagnie de comédiennes et comédiens investis joyeusement dans cette épopée naturaliste, anthropologique et méditative. Cependant, on restera dubitatif face au trop-plein de références scientifiques, poétiques, littéraires citées à flux tendu. Si elles sont à l'origine et en appui du jeu, elles l'alourdissent de leur poids didactique… Loin d'être un phénomène extraordinaire, l'humain n'est qu'un épiphénomène d'un tout le dépassant à jamais… Dont acte.

Vu le mercredi 5 juin dans la forêt du Taillan près de Bordeaux, dans le cadre d'un théâtre en plein air proposé par le TnBA.

"Carbone"

© Raoul Gilibert.
© Raoul Gilibert.
Un projet de Julien Duval et Carlos Martins,
Compagnie Le Syndicat d'Initiative.
Mise en scène : Julien Duval.
Avec : Jérémy Barbier d'Hiver, Julien Duval, Carlos Martins, Kat May (musicienne), Ariane Pelluet.
Dramaturgie : Bénédicte Simon.
Scénographie : Olivier Thomas.
Lumière : Anna Tubiana et Pierrick Gigand.
Musique : Kat May.
Création son : Madame Miniature.
Costumes : Aude Désigaux.
Corps : Elsa Moulineau
Régie générale : Samuel Poumeyrol.
Production Le Syndicat d’Initiative.
Durée : 1 h 45.

Représenté du mardi 4 au samedi 8 juin 2024 dans la forêt du Taillan près de Bordeaux, dans le cadre d'un théâtre en plein air proposé par le TnBA (Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine).

Yves Kafka
Vendredi 14 Juin 2024

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Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
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En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

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© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

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© Philippe Hanula.
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Gil Chauveau
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