La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Britannicus Tragic Circus" Une tragédie revisitée d'où surgit monstres et monstruosités d'une inquiétante modernité

Dans une forme de narration chamarrée, joyeusement déjantée et tonitruante, les Épis Noirs nous offrent un Britannicus revisité en une tragédie féroce et jubilatoire fondée sur l'art des saltimbanques, circassiens et autres bateleurs. De cette création aux accents désespérément tragiques sont révélés monstres et monstruosités. Et si l'âme romaine voulut par Racine est préservée, se fait jour néanmoins l'imparable modernité des propos nous rappelant qu'un hideux serpent sommeille toujours en chacun de nous, que notre face obscure est toujours prompte à faire œuvre dans certains moments de notre vie.



© Olivier Brajon.
© Olivier Brajon.
Les tragiques rouages de cette mécanique implacable et féroce – qui font passer nos héros de la lumière à la noirceur et de vie à trépas pour l'inconsistant frère de Néron, ci-devant Britannicus, à l'innocence amoureuse – sont, comme chacun sait, un vol qualifié d'amante, d'ignominieuses trahisons assumées nourrissant moult complots et poisons, un inceste consommé, un emprisonnement avec cage à l'ancienne, un harcèlement minutieux et d'une moderne lourdeur… et autres cruelles réjouissances, initialement à la sauce romaine, mais ici transformés en un consommé riche et bariolé, burlesque et impertinent, grâce à la mise en scène audacieuse et inventive de Pierre Lericq et le jeu énergique, voire impétueux des comédiennes et comédiens de ce théâtre ambulant sous la férule despotique de Monsieur Loyal.

Chaque scène déterminante de la pièce est exprimée et construite comme un numéro de cirque, de dressage, sous l'emprise tyrannique de Monsieur Loyal – dresseur de fauves ? Qui sait ! –, ce dernier assénant un tonitruant "Admirez le dressage !", fier et satisfait, à la foule spectatrice et repris à l'envi à chaque séquence. Celui-ci, fouet en main, toujours prêt à bondir, rappelle aux protagonistes qui est le patron, orchestrant cette tragédie revisitée en cirque et fête foraine et, en adresse au public, jetant de temps en temps un bouquet imagé de commentaires moqueurs ou d'injonctions acérées, comme une expression existentialiste, un besoin d'affirmation du chef, harangue provocatrice du forain attirant le client.

© Olivier Brajon.
© Olivier Brajon.
Premier numéro annoncé : "L'innocence, entre le divin et le néant". Sur la piste poussiéreuse, paraissent Britannicus et la douce, innocente, Junie, inéluctables amants contrariés. Puis tout s'enchaîne rapidement, l'une des grandes réussites de la mise en scène étant d'insuffler un rythme endiablé à la succession des différentes situations dramatiques, porté par dix chansons (compositions originales de Pierre Lericq) qui illustrent avec efficacité et pertinence la tragédie ainsi déroulée en une partition rock and roll, coloré et enthousiaste.

Suivent le discours d'Agrippine, les remarques des serviteurs de Néron, Narcisse et Albin, prônant pour l'un l'honnêteté, pour l'autre la tyrannie, le message du messager - "le mariage est compromis" -, le coup de foudre de Néron pour la compagne de Britannicus et Junie kidnappée par le despote, envoyée aux enfers. Ici sont le crime contre la vertu, la ruse et la dissimulation contre la sincérité, le pouvoir par la force, sans la justice, dans l'abjection et dans la honte.

© Olivier Brajon.
© Olivier Brajon.
Agrippine annonce à Britannicus que Néron lui a piqué sa douce amante. Pendant ce temps, Néron met en place son chantage, poussant la belle innocente à l'aimer sinon il tue Britannicus. La tragédie se joue, inexorablement, et, au passage, l'inceste s'affirme entre Agrippine, toujours aussi branchée sur sa libido, et Néron. Elle : "aujourd'hui, tu n'as pas fait l'amour à ta mère" et lui rappelle que c'est elle qui l'a mis sur le trône. Puis vient, les retrouvailles de Britannicus et Junie, tous deux ignorant que déjà le complot se trame et que la mort frappera bientôt à sa porte.

Chaque seconde est inattendue et la mise en scène laisse une impression permanente d'imprévue, riche de surprises. Il en est de même pour l'interprétation des personnages, chaque comédienne et comédien donnant une énergie, une densité tragique à chaque protagoniste, tout en y imprimant un "cachet" burlesque, parfois clownesque du meilleur effet.

© Olivier Brajon.
© Olivier Brajon.
Cette histoire est avant tout l'histoire de Néron, le "monstre naissant" et, sous des dehors de tragédie foraine, empreinte d'humour décalé et un rien trash dans la force de l'expression musicale notamment, il est donné "à voir et à entendre le monstre qui est en chacun de nous que nous enfermons dans notre cage thoracique et notre for intérieur à coup d'éducation et de culture".
◙ Gil Chauveau

"Britannicus Tragic Circus"

© Olivier Brajon.
© Olivier Brajon.
Texte et musique originale : Pierre Lericq.
Mise en scène : Pierre Lericq.
Assistante à la mise en scène : Bérangère Magnani.
Avec : Jules Fabre, Pierre Lericq, Gilles Nicolas, Marie Reache, Juliette de Ribaucourt et Tchavdar.
Scénographie : Yves Kuperberg.
Lumière : François Alapetite.
Costumes : Chantal Hocdé Del Pappas.
Production Atelier Théâtre Actuel, Louis D'or production et Arts et Spectacles production
À partir de 12 ans.
Par les Épis Noirs.
Durée : 1 h 20.

Du 27 novembre 2024 au 9 février 2025.
Du mardi au samedi à 21 h, dimanche à 18 h.
Relâche : 25 décembre 2024, 1ᵉʳ, 17 et 18 janvier 2025.
Le Lucernaire, Théâtre Rouge, Paris 6ᵉ, 01 45 44 57 34.
>> lucernaire.fr

Rencontre avec l’équipe artistique le vendredi 13 décembre à l’issue de la représentation.

© Olivier Brajon.
© Olivier Brajon.
Tournée
17 et 18 janvier 2025 : Thonon-les-Bains (74).
6 mars 2025 : Issoudun (36).
23 mars 2025 : Le Malherbois (45).
29 mars 2025 : Fresnes (94).
2 avril 2025 : Saint-Malo (35).

Gil Chauveau
Mercredi 27 Novembre 2024

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"Différente" Carolina ou "Cada uno es un mundo (Chacun est un monde)"

Star internationale à la frange rouge, Carolina est de retour en France, après sa tournée mondiale. Heureuse de retrouver son public préféré, elle interprète en live des chansons populaires qui touchent le cœur de toutes les générations.

© Audrey Bären.
Mais qui est donc cette incontournable Carolina ? Ou, plus exactement, qui se cache derrière cette artiste plutôt extravagante, à la folie douce ? De qui est-elle l'extension, au juste ?

L'éternelle question autour de l'acte créatif nous interpelle souvent, et nous amène à nous demander quelles influences l'homme ou la femme ont-ils sur leurs "créatures" fabriquées de toutes pièces ! Quelles inspirations les ont portées ! Autant de questions qui peuvent nous traverser particulièrement l'esprit si tant est que l'on connaisse un peu l'histoire de Miguel-Ange Sarmiento !

Parce que ce n'est pas la première fois que Carolina monte sur scène… Décidément, elle en a des choses à nous dire, à chaque fois. Elle est intarissable. Ce n'est pas Rémi Cotta qui dira le contraire, lui qui l'accompagne depuis déjà dix ans et tire sur les ficelles bien huilées de sa vie bien remplie.

Rémi Cotta, artiste plasticien, graphiste, comédien, chanteur lyrique, ou encore metteur en scène, sait jouer de ses multiples talents artistiques pour confier une parole virevoltante à notre Carolina. Il suffit de se souvenir du très original "Carolina Show", en 2010, première émission de télé sans caméra ayant reçu de nombreux artistes connus ou moins connus ou le "Happy Show de Carolina", ainsi que les spectacles musicaux "Carolina, naissance d'une étoile", "Le Cabaret de Carolina", ou encore " Carolina, L'Intelligence Artificielle".

"Différente" est en réalité la maturation de plusieurs années de cabarets et de spectacles où Carolina chante pourquoi et comment elle est devenue une star internationale tout en traversant sa vie avec sa différence". Miguel-Ange Sarmiento.

Brigitte Corrigou
08/11/2024
Spectacle à la Une

"Tout va très bien !" Le Grand Orchestre du Splendid, bon pied bon œil, revient avec de la musique sur tous les fronts

Voir les choses en grand tout en restant léger ! Prendre du plaisir et, surtout, en donner ! Voilà la philosophie du Grand orchestre du Splendid qui régale le public depuis 1977. Bientôt 50 ans… Bientôt le jubilé. "De la musique avant toute chose" et vivre, vivre, vivre…

© Aurélie Courteille.
En 1977, quelques amis musiciens professionnels se retrouvent entre eux et décident de s'amuser en réinterprétant des classiques tels que ceux de Ray Ventura ou de Duke Ellington. Ce qui ne devait être qu'un plaisir entre copains devient vite un succès immédiat qui dure depuis presque 50 ans. Mais quel est donc le secret de cette longévité entre rythmes endiablés, joyeuses cadences et show totalement désopilants ?

Ne le leur demandez pas ! Ils ne vous en diront rien… Si tant est qu'ils le sachent eux-mêmes, tant cette énergie semble ancrée en eux depuis toutes ces années, indéfectible, salvatrice et impérissable.

Entre swing, jazz, salsa, reggae – quatre de leurs principales influences –, ou encore fiesta et mises en scène délirantes, les quatorze chanteuses et musiciens de l'Orchestre mythique enchantent le public, sur la scène du Café de la Gare, depuis le 11 novembre. Comme à leurs premières heures, et en échappant pourtant aux codes et impératifs de la mode, ils nous donnent irrésistiblement envie de monter sur scène pour danser à leurs côtés sur le plateau, frétiller, sautiller, et tout oublier l'espace de quelques instants. Leur énergie communicative est sans failles, et gagne sans commune mesure toutes les générations. Les cuivres étincellent. Les voix brillent de mille feux sonores.

Brigitte Corrigou
13/11/2024
Spectacle à la Une

"Jacques et Chirac" Un "Magouille blues"* décapant et burlesque n'occultant pas le mythe du président sympa et séducteur

Une comédie satirique enjouée sur le pouvoir, le mensonge et la Cinquième République portée par une distribution tonitruante et enthousiaste, dégustant avec gourmandise le texte de Régis Vlachos pour en offrir la clownesque et didactique substantifique moelle aux spectateurs. Cela est rendu aussi possible grâce à l'art sensible et maîtrisé de l'écriture de l'auteur qui mêle recherche documentaire affinée, humour décapant et bouffonnerie chamarrée pour dévoiler les tours et contours d'un Jacques sans qui Chirac ne serait rien.

© Fabienne Rappeneau.
Portraitiste décalé et impertinent d'une Histoire de France ou de l'Humanité aux galbes pas toujours gracieux dont surgissent parfois les affres de notre condition humaine, Régis Vlachos, "Cabaret Louise" (Louise Michel), "Dieu est mort" (Dieu, mieux vaut en rire)"Little Boy" (nom de la bombe larguée sur Hiroshima), revient avec un nouveau spectacle (création 2023) inspiré d'un des plus grands scandales de notre histoire contemporaine : la Françafrique. Et qui d'autre que Jacques Chirac – l'homme qui faisait la bise aux dictateurs – pouvait être convoqué au "tribunal" du rire et de la fantaisie par l'auteur facétieux, mais doté d'une conscience politique aiguë, qu'est Régis Vlachos.

Le président disparu en 2019 fut un homme complexe composé du Chirac "bulldozer" en politique, menteur, magouilleur, et du Jacques, individu affable, charmeur, mettant autant la main au cul des vaches que des femmes. Celui-ci fut d'abord attiré le communisme pour ses idéaux pacifistes. Il vendra même L'Humanité-dimanche devant l'église Saint-Sulpice.

La diversité des personnalités importantes qui marquèrent le début de son chemin politique joue tout autant la complexité : Michel Rocard, André Malraux et, bien sûr, Georges Pompidou comme modèle, Marie-France Garaud, Pierre Juillet… et Dassault comme portefeuille ! Le tout agrémenté de nombre de symboles forts et de cafouillages désastreux : le bruit et l'odeur, la pomme, le cul des vaches, les vacances à l'île Maurice, les amitiés avec les despotes infréquentables, l'affaire ELF, etc.

Gil Chauveau
03/11/2024