La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Avec "Villa", l'héritage des exactions de Pinochet deviennent corps

Il y a des théâtres qui ont la mémoire à vif, des spectacles où les acteurs ne sont jamais très loin, sous la carapace des textes à dire, de puiser dans leurs propres réminiscences, dans les propres traumatismes de leurs familles, dans l'histoire proche et cuisante du pays. "Villa", toujours hanté par les fantômes de la dictature, est de ceux-là.



© Pola Gonzalez.
© Pola Gonzalez.
C'est une simple réunion comme il en existe dans toutes les administrations, toutes les associations. Une table, des chaises, des verres, un cendrier, une carafe d'eau suffisent à en rendre la réalité. L'objet de cette réunion, nous allons le découvrir assez rapidement. Pour ce qui concerne les intervenants, et c'est là peut-être le véritable enjeu du spectacle, la chose se fera beaucoup plus lentement, au fur et à mesure que l'action se déroulera, avec des révélations qui vont peu à peu faire passer le ton du spectacle de la comédie réaliste à une humeur beaucoup plus noire, dramatique et prenante.

Les trois femmes qui viennent prendre part à cette réunion ne savent pas exactement pourquoi elles y ont été conviées. Elles ne font pas partie de la direction de l'organisation, sauf l'une d'entre elles qui, sans y être intégrée, en est proche. Elles ne se sentent, de ce fait, pas vraiment investies du pouvoir de décision, mais on leur a demandé de choisir l'avenir qui sera fait de la Villa. Paraît-il (nous l'apprendrons un peu plus tard) que la réunion de la direction pour décider de cet avenir s'est si mal déroulée qu'elle a fini en pugilat tant les participants prenaient à cœur le sujet.

© Pola Gonzalez.
© Pola Gonzalez.
La Villa, du moins sa maquette, elle est là, sur la table, au milieu du bazar. Une maison plutôt jolie, fraîche, claire, simple, entourée de son jardin, banale. Un air bucolique et apaisé qui détonne sur l'histoire de cette maison. Du temps de Pinochet, celle-ci était connue sous le nom de la Villa Grimaldi à Santiago du Chili. Un lieu où furent torturés et exécutés des centaines et des centaines d'opposants à la dictature.

La question est donc de savoir comment faire histoire, comment faire mémorial, souvenir, à fonder sur les ruines de cette villa où tant de souffrances et d'injustices ont été commises ? La reconstruire à l'identique pour en faire un mémorial ? La reconstruire pour en faire un musée ? Laisser le terrain en jardin qui pourra devenir lieu de recueillement, voire lieu d'agrément sur lequel flottera le souvenir des atrocités commises par le régime fascisant de Pinochet ?

Les trois personnages votent, argumentent, échangent leurs rôles, se soupçonnent de tricherie sans arriver à une entente. La mise en scène de Guillermo Calderón joue avec les codes de la comédie pour développer le thème de cette histoire. Les trois personnages féminins, à peu près du même âge, développent des caractères bien trempés qui font de belles étincelles lorsqu'elles frictionnent ensemble. Se sentent-elles légitimes pour décider de ce qui est bon pour le pays, pour la mémoire, pour l'histoire ? Elles ne le savent pas elles-mêmes, elles en doutent, un état qui les oblige à dévoiler leur fragilité, leur humanité, leur méfiance, également, vis-à-vis des autres humains.

C'est la grande force que Guillermo Calderón parvient à faire agir dans ce spectacle. Sans l'exprimer vraiment, mais à petites touches, il fait naître l'idée que tous ceux qui vivent après les monstruosités commises par la dictature sont légitimes dans le choix qu'il faut faire pour sauvegarder la mémoire de ces massacres, de ces tortures.

Les dernières scènes établiront définitivement le bien-fondé de cet "héritage", les trois femmes choisies pour ce débat, on le comprend à ce moment, n'ayant pas été choisies par hasard, mais bien parce que cette histoire, cette Villa et les exactions qui y furent commises, fait bien partie non seulement de chacune de leurs histoires personnelles, mais qu'elles ont eu des répercussions directes sur leurs trois vies.

La mémoire, le souvenir, "Villa" en fait la preuve brûlante et éclatante, ne sont pas que des lignes dans un livre, des ruines dans un mémorial ou des œuvres dans un musée, mais bien des morceaux d'êtres dans la chair et la personnalité des survivants, des héritiers, des héritières et des pans de mémoire qui se concrétisent dans leur vie, leur propre histoire, leur chair.

"Villa"

© Pola Gonzalez.
© Pola Gonzalez.
Spectacle en espagnol surtitré en français.
Mise en scène : Guillermo Calderón.
Avec : Francisca Lewin, Macarena Zamudio, Carla Romero.
Scénographie : María Fernanda Videla.
Assistanat à la direction, production : María Paz González.
Durée : 1 h 10.
Villa est une coproduction de la Fondation Festival Internacional Teatro a Mil.

A été joué au Théâtre La Vignette à Montpellier les 31 mai et 1er juin 2024 dans le cadre de la 38e édition du Printemps des Comédiens (du 30 mai au 21 juin 2024).
>> printempsdescomediens.com

Tournée
Du 19 au 21 juillet 2024 : GREC Festival de Barcelona, Barcelon (Espagne).
24 juillet 2024 : Mostra Internacional de Teatro, Ribadavia (Espagne).

Bruno Fougniès
Lundi 17 Juin 2024

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024