La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Avec "Fille de roi", Sara Llorca éclaire au flambeau les ombres de l'héritage et de la filiation

"Fille de roi" est pur théâtre. De ce théâtre fait de presque rien, mais capable de faire surgir de l'obscurité une épopée. Des mots, une comédienne, un musicien, quelques accessoires, de la lumière et de la poésie, c'est presque tout. Presque rien. Et l'envie chevillée au corps d'interroger en images ce monde, cette vie, cette inexplicable course du temps qui finit par broyer tout, les êtres, les sentiments et les esprits.



© François-Joseph Botbol.
© François-Joseph Botbol.
Un théâtre où il est aussi question de théâtre. Sara Llorca invoque le roi Lear de Shakespeare pour évoquer ce qui lui tient au cœur : l'héritage, la filiation. Cet amour du théâtre qu'elle a hérité de son père, Denis Llorca, amour qui fait partie de sa vie, de sa chair, indissociable de son parcours et qui vient se télescoper avec ses sentiments pour son père.

Rebondissement. Échos. Similitudes et réflexions entre réalité et la fiction, la comédienne est exactement au centre de ces deux pôles, en équilibre ou plutôt en constant rééquilibre, prise entre l'art de la scène et l'admiration pour un père qui lui a gentiment instillé la passion du jeu.

Du texte de Shakespeare, "Fille de roi" en garde principalement la trame. La pièce s'attache plutôt à l'une des trois filles de Lear, Cordelia, la plus sincère, la plus injustement répudiée, déshéritée, exilée. Elle s'attache à ses sentiments, à l'héritage qu'elle obtient finalement, un héritage qui bouleverse totalement son existence, qui en fait une guerrière au lieu d'une princesse de salon, mais pas une héroïne. Une guerrière que son père ne saura même pas reconnaître au soir de sa vie.

© François-Joseph Botbol.
© François-Joseph Botbol.
Sara Llorca est aussi dans ce rôle la fille d'un roi : Denis Llorca, roi de théâtre, roi d'un royaume qui n'existe pas, mais dont elle a hérité la passion. Roi qui, comme Lear, décida un jour de partir, de laisser son royaume, de chercher une nouvelle liberté. Les mots de cette pièce évoquent le sombre, le torturé, le trouble, tout en restant sourcé à l'énergie de la lumière. L'interprétation de Sara Llorca est intensément physique. Son corps, jambes pliées comme dans l'attente d'un assaut, épaules mouvantes, bras fermes, possède la force d'une adepte des arts martiaux. On sent cette puissance d'évocation qui n'empêche pas une diction claire, limpide.

"Suis la voix du poète !", fait aussi partie de l'héritage. Une poésie qui s'incarne sur scène grâce à la musique de Benoît Lugué, véritable partenaire de jeu, de sensibilité et de chant. Avec ses interventions à la basse électrique modulées en nappes mélodieuses ou en contrepoints plus toniques, le musicien soutient et donne rythme aux mots, aux émotions. Des émotions à leur comble lorsque la princesse Sara-Cordelia retrouve son roi de père Llorca-Lear, déchu et en déchéance, un roi en habits de mendiant qu'il faut porter encore pour un dernier moment et garder un petit peu dans la lumière.

Spectacle vu le 4 mai 2024 au Théâtre des 2 Rives à Charenton-le-Pont (94).

"Fille de roi"

© François-Joseph Botbol.
© François-Joseph Botbol.
Texte, mise en scène : Sara Llorca.
Avec : Sara Llorca.
Musique, jeu : Benoît Lugué.
Avec la voix de Denis Llorca.
Regard sur la mise en scène et l'interprétation : Kên Higelin.
Son : Quentin Fleury.
Lumière : Stéphane "Babi" Aubert.
Scénographie et costumes : François Gauthier-Lafaye
À partir de 14 ans.
Durée : 70 minutes.

Tournée
8 juin 2024 : Festival Les Tisseurs de mot, Chilhac (43).
Juillet 2024 : Les Nouvelles Coordonnées, Festival Vous êtes Ici, Fontaine-l'Abbé (27).
Mai 2025 (dates à préciser) : CDN Normandie-Rouen, Rouen (76).

© François-Joseph Botbol.
© François-Joseph Botbol.

Bruno Fougniès
Vendredi 17 Mai 2024

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024