La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Elle"… atteint les sommets de la béatitude, fugace et éphémère, celle de l'éternité du Théâtre

"Elle", Athénée théâtre Louis-Jouvet, Paris

La papauté est à la recherche de l'image pieuse de la personne de son pape pour la diffuser aux quatre coins de la chrétienté. L'huissier en queue de pie a convoqué le photographe vite aveuglé par l'apparition de Sa Sainteté. Pendant que frétille le cardinal qui se prépare pour prendre la suite. Jean Genet écrit la pièce "Elle" (1) sous le pontificat finissant de Pie XII qui fut bien silencieux pendant la barbarie nazie…



© Laura Lago.
© Laura Lago.
"Elle" révèle les dessous pas forcément évangéliques de la pose papale, en exploitant les ressources de la farce, de la satire et du brocard. En posant cette ancienne et toujours actuelle question : l'habit, la posture, le geste font ils le moine ? Le pape en l'espèce ?

Et ce, bien avant le défilé de mode ecclésiastique de "Fellini Roma".

Alfredo Arias qui met en scène et joue le rôle principal s'en donne à cœur joie, exploitant toutes les ressources de la langue et de la situation. "Elle" est celle d'un vieil homme sénile, infantile, abruti par le rôle et la puissance qu'on lui assigne. Plein de bonne volonté pour trouver un rôle, dont il est le jouet conscient. Le pape est à jamais voué, oint, très oint, à jamais contraint à la componction et ne sait pourquoi. Dépositaire de pouvoir et ne sait pourquoi. Au centre de tout et rencontrant le vide. Sacrifié en quelque sorte. À bien y réfléchir perdu comme un enfant. Telle est Sa Sainteté.

© Laura Lago.
© Laura Lago.
Ou plutôt devrait-on dire Sa Suavité tant l'homme en blanc est objet de désir. Et la solution de son problème d'image passe par une dissolution de son Être. Comme un morceau de sucre tout blanc qui disparaîtrait dans une tasse de café. Ainsi vont les métamorphoses et les instantanés rêvés. La métaphore de Genet est dévastatrice à fort pouvoir comique et provocateur.

Dans le spectacle proposé, la pièce de Genet est encadrée par deux textes qui l'éclairent et le renforcent. En guise de prologue, Marcos Montes porte un texte de Sade extrait de "Juliette ou les prospérités du vice", par lequel son Héroïne s'adresse au pape Pie VI (2) pour mieux le séduire et le pervertir. Dans la scène finale, Alejandra Radano fait éclater la rage de Pasolini qui crie et interpelle Pie XII totalement insensible au sort d'un miséreux tué par un tramway à quelques pas de la place Saint Pierre.

Assurément, l'histoire qui est racontée par Alfredo Arias file de Pie en Pie, va de Mal en Pis. Du Stupre à l'Injustice, le vice prospère. La parabole sous la fable en devient aveuglante. Genet nous montre comment ils voient et ne voient pas. Ils entendent et n'entendent pas. Combien tout est simulacre et mensongère l'image. La pièce de Genet en décrypte l'emprise comme commence à le faire son contemporain Guy Debord.

Dans cette trajectoire, Alfredo Arias affirme les tensions de la pièce . Elle miroite dans tous ses effets. Le jeu avance sans appuis forcés, ni concessions au public. Il développe dans sa rigueur et sa plastique, son esthétique, une grâce joyeuse, toute argentine. Les excès de la farce sont maîtrisées et les effets dramatiques sont projetés, (rejetés) sur un grand écran immaculé. Ces avatars dédoublent les scènes comme autant d'ombres démoniaques de soi-même dont on ne peut se défaire. Et les paillettes et les noirceurs.

Le plateau, lui, est le lieu de l'humaine condition. Stylisée ou intime. L'Homme, dans sa fragilité, trouve en effet son incarnation sous les habits de pape. Un pape qui comme tout un chacun se sait grotesque, ressent le besoin du sublime, sent passer la grâce et ne peut la saisir.

© Laura Lago.
© Laura Lago.
Assurément, les comédiens, eux, en tiennent le fil fermement. Comme un souvenir, une trace des Fratellini.

Alfredo Arias saisit les instants fugaces que lui font valoir ses partenaires et en fait son miel pour le bonheur du spectateur. Son pape quand il apparaît et s'esquive en habit d'un carnaval argentin est bien une image des Comédiens, le Roi des Fous, débarrassé de tous les oripeaux sacramentels. Tout en majesté et humilité, amour et gravité. Il atteint les sommets de la béatitude. La vraie. Fugace et éphémère. Celle de l'éternité du Théâtre.

(1) Courte et inachevée, elle est le creuset des grandes pièces de Jean Genet. "Elle" ne fut créée qu'en 1989 par Maria Casarès.
(2) Dont le goût du faste fut critiqué par ses contemporains.

"Elle"

© Laura Lago.
© Laura Lago.
Texte : Jean Genet.
Mise en scène : Alfredo Arias.
Assistants à la mise en scène : Olivier Brillet, Luciana Milione.
Avec : Alfredo Arias, Marcos Montes, Adriana Pegueroles, Alejandra Radano.
Scénographie : Alfredo Arias.
Collaboration à la scénographie : Elsa Ejchenrand.
Costumes : Pablo Ramirez.
Lumière : Jacques Rouveyrollis.
Assistante lumière : Jessica Duclos.
Vidéo : Alejandro Rumolino.
Son : Thierry Legeai.
Musique : Diego Vila
Durée : 1 h 15.

Du 7 au 24 mars 2018
Mardi à 19 h, du mercredi au samedi à 20 h, dimanche à 16 h.
Athénée théâtre Louis-Jouvet, Grande Salle, Paris 9e, 01 53 05 19 19.
>> athenee-theatre.com

Jean Grapin
Lundi 12 Mars 2018

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024