La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Monotone dérèglement des sens

Avec à l'affiche "Une liaison pornographique" de Philippe Blasband, le Guichet Montparnasse se donne un air aguicheur. Appel au voyeurisme, à la vulgarité : par le seul titre, la part la plus douteuse du spectateur est sollicitée. Mais annonce plus mensongère, il n'y a pas.



Monotone dérèglement des sens
Qui était venu pour observer dans l'ombre une relation torride, violente et dénuée de sentiments sera bien déçu de ne trouver sur scène qu'un couple d'âge mûr s'appliquer à raconter son histoire. Il la relate plutôt bien, d'ailleurs. Mais pendant que le récit se déroule, on ne cesse d'attendre une compensation à la déception initiale. Celle-ci ne vient pas. Quand la pièce prend le tour d'un feuilleton sentimental un tantinet fleur bleue, l'absence de parti-pris ferme de l'auteur transparaît.

Savoir que le texte original est un scénario, monté en film en 1999 avec Nathalie Baye et Sergi Lopez dans les rôles principaux, fournit une piste d'explication possible. Bien sûr, il est difficile de dire quelle densité a perdu le propos lors de l'adaptation. Qu'importe, au fond. Nul besoin de voir l’œuvre originale pour deviner sa relative pauvreté. Du moins en ce qui concerne l'intrigue, restée intacte de l'écran à la scène. Simple, elle se résume à la rencontre de deux inconnus. Sans une once de romantisme. Une petite annonce, et leurs destins se croisent. Pour une heure, dans une chambre d'hôtel, en principe. Puis le rendez-vous devient hebdomadaire, et l'anonymat conservé entre les amants s'estompe. L'habitude fait place à la complicité, et la complicité à l'attachement. Un épisode banal, donc, qui aurait pu donner lieu à une exploration du quotidien en même temps que de la complexité des relations humaines.

Une hypothèse qui s'effrite au fur et à mesure que l'homme et la femme se révèlent rejoindre le modèle on ne plus classique du ménage basé sur l'amour. Non que l'on déplore vraiment la quasi disparition de la pornographie, réduite à quelques allusions à un passé révolu : c'est surtout la psychologie superficielle des personnages qui agace, d'autant plus que leur discours n'est relayé par aucun autre. De la transgression au retour à la norme, les narrateurs tracent comme un continuum, à peine hérissé de quelques doutes, de quelques tourments caricaturaux. Une relation physique peut-elle se transformer en histoire d'amour ? Ou une idylle est-elle trop opposée à la réalisation de fantasmes érotiques ?

Des questions sempiternelles, qui accaparent les protagonistes sans aller toutefois jusqu'à exaspérer le spectateur. Car Françoise Dehlinger et Jean-Paul Cassey, les acteurs, savent rendre sympathiques les deux vieux qui sont seuls à trouver leur aventure exceptionnelle. La soixantaine, alors que le couple Nathalie Baye-Sergi Lopez devait avoir la quarantaine, ils incarnent deux individus qui après une vie bien rangée décident de se laisser aller à leurs désirs. Avec leur jeu tout en retenue, fait d'une timidité et d'une fragilité touchantes, ils font appel à la sensibilité du public bien plus qu'à son intellect. Elle, tantôt malicieuse tantôt mélancolique, parle à toute femme de la peur de vieillir et de voir disparaître son pouvoir de séduction. Lui, lunettes noires et costume bien ajusté; l'air d'un dandy sur le retour, est plus impénétrable. Il participe au discours amoureux sans sembler vraiment touché par sa tournure.

Mais il ne va pas jusqu'à une prise de recul active. Pas l'ombre d'un "méta-discours" donc, ni d'une critique de la fadeur de l'échange verbal en cours. Le tout se sirote comme une grenadine, comme un feuilleton à tout petits rebondissements. Intelligente, la mise en scène d'Olindo Cavadini est elle aussi salvatrice. Suivant l'alternance des dialogues et des monologues, des flash-backs et des retours au présent, les personnages apparaissent et disparaissent derrière un système de tentures blanches placées au milieu de la scène. Leurs allées et venues rythment le spectacle, autant que la musique jouée par deux violoncellistes qui, en plus de créer une ambiance sonore, portent sur le plateau le regard du spectateur. Un regard qui fouille l'intimité d'autrui, en fait un objet de curiosité.

Malgré ces qualités, la mièvrerie domine. Contraire à la pornographie annoncée, elle nous noie dans un flot de bons sentiments peu constructifs.

"Une liaison pornographique"

Monotone dérèglement des sens
(Vu le 1er juin 2011)

Texte : Philippe Blasband.
Mise en scène : Olindo Cavadini.
Dramaturgie et scénographie : Anthony Binet.
Avec : Françoise Dehlinger et Jean-Paul Cessey.
Musique : Adrien Regard, Automne Lajeat et Aurore Daniel.

Du 11 mai au 25 juin.
Du mercredi au samedi à 20 h 30.

Théâtre Le Guichet Montparnasse, Paris 14e.
Réservation : 01 43 27 88 61.
www.guichetmontparnasse.com

Anaïs Heluin
Mercredi 8 Juin 2011

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024