La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

Ruggero Raimondi, la classe du Maître au Festival d'Auvers

Le monstre sacré de la scène et de l'écran, inoubliables Don Giovanni et Scarpia, donnait une master-class les 8 et 9 juin au Château de Méry à l'invitation du Festival d'Auvers-sur-Oise.



© Christine Ducq.
© Christine Ducq.
Les artistes reconnus au-delà du cercle des lyricophiles ne sont guère nombreux. Mais le baryton-basse Ruggero Raimondi fait évidemment partie de la mémoire collective, aimé entre tous parmi les membres de cet aéropage. Appelé sur toutes les grandes scènes par des chefs de premier plan, le grand public le découvre au cinéma et l'adopte à la fin des années soixante-dix alors qu'il incarne le rôle titre du "Don Giovanni" de Joseph Losey. Un film qui initie un nouveau genre - le film-opéra - grâce à la passion d'un Daniel Toscan du Plantier à la tête de la Gaumont.

Un genre à l'intérieur duquel Ruggero Raimondi (né en 1941) sera indispensable. Après son rôle de "grand seigneur méchant homme" (chanté sur scène plus de trois cents fois), il brillera dans les personnages de méchants grandioses que lui réserve une voix étendue aux couleurs changeantes et à l'aigu tranchant : son Scarpia inégalé dans "Tosca" de Benoît Jacquot (en 2001 avec un non moins grand Roberto Alagna), et Boris Godounov dans le film éponyme d'Andrzej Zulawski (1989) - à l'esthétique évoquant les deux "Ivan le Terrible" d'Eisenstein. Grand seigneur à sa façon encore en Escamillo dans le "Carmen" de Francesco Rosi (1984).

© Christine Ducq.
© Christine Ducq.
On connaît les grands moments de sa longue carrière : les débuts dans la troupe de la Fenice à Venise lui permettant de polir son vaste répertoire, son premier "Don Giovanni" au Festival de Glyndebourne en 1969 (son rôle fétiche), le succès grandissant dans les années soixante-dix sous la houlette des plus grands. Puis la consécration dans les décades suivantes, le chanteur se faisant immense dans la plénitude de ses moyens - citons Philippe II, Iago, Don Quichotte ou Méphistophélès, entre nombreux autres rôles.

Il y aura aussi celui du Comte Almaviva - par exemple dans des "Noces de Figaro" qui ont fait date à Vienne en 1991 sous la direction de Claudio Abbado. Mozart se trouve naturellement au cœur de l'enseignement dans les master-class que le baryton-basse natif de Bologne donne depuis dix ans. Airs, duos, trios des "Noces" et de "Don Giovanni" sont au programme des deux précieux jours de classe dans l'Oise ; et ce, dans la jolie salle à l'acoustique parfaite du Château de Méry. C'est la deuxième venue du légendaire Maestro en trente ans à l'invitation du directeur artistique du Festival d'Auvers (1), Pascal Escande.

Neuf jeunes chanteurs choisis sur dossier (2), pour certains déjà auréolés d'une belle réputation, n'ont pas hésité à faire le déplacement tant l'aura du Maître est encore vivace - comme dans le public (les têtes blanches côtoyant quelques jeunes fans). L'émotion est au rendez-vous alors que chanteur de 77 ans fait son entrée, entouré de ses élèves manifestement impressionnés. Si la haute silhouette du vieux lion s'est un peu tassée, l'autorité, la générosité et le charme sont intacts. Il montrera aussi qu'il rugit encore dans un exercice époustouflant (des gammes) à destination du jeune baryton Matthieu Walendzik.

Une classe de maître ressemble pour beaucoup à une classe tout court. Les élèves montrent des dispositions variées selon leur personnalité, plus ou moins à l'aise, plus ou moins tendus, plus ou moins inquiets du verdict du professeur après leur passage. En deux jours, le petit groupe hétéroclite se transforme en une communauté transcendée par la joie de vivre, l'énergie et le sérieux (lumineux) du Maître. C'est que Ruggero Raimondi a su mettre en confiance ces jeunes artistes avec humour et gentillesse, leur parlant tantôt en italien tantôt en français.

© Christine Ducq.
© Christine Ducq.
Très concentré, le Maître n'hésite pas à faire inlassablement reprendre certains passages choisis par ses élèves. Il ne s'agit pas selon lui d'atteindre seulement à la perfection technique mais surtout d'apprendre l'essence du théâtre - et les secrets du métier. Il relève ici l'importance d'un travail approfondi phrase par phrase, là une compréhension intime de tel rôle, ou encore la nécessité de l'articulation et du legato dans le chant.

Parfois direct, quelquefois discret (il murmure) dans ses critiques, le légendaire baryton-basse sait aussi féliciter avec chaleur. Le jeune ténor Julien Henric en Don Ottavio se voit chaleureusement cueilli après son beau "Il mio tesoro intanto" d'un "fantastico !" sonore. Les barytons Jérôme Boutillier et Pierre Barret-Mémy ne recueillent pas moins d'applaudissements du Maître dans Bizet, Berlioz et Verdi. Il rappellera aussi aux jeunes chanteur.euse.s que le plaisir de la musique doit couler comme une eau joyeuse dans la voix pour espérer bouleverser le public.

Le bonheur de chanter est contagieux. Ce ne sera que plus évident alors que la troupe offre un récital Mozart au public le dimanche après-midi, témoignant avec feu des progrès réalisés pendant le week-end. Le pianiste Nicolas Chevereau, accompagnateur de grand talent, ne sera pas oublié dans les remerciements du Maestro, ému à son tour alors que le public lui réserve de fervents applaudissements. Ce n'est que justice pour la (grande) classe d'un Maître.

(1) Ruggero Raimondi y avait donné un récital. En cette 39e édition, on pourra y applaudir la mezzo Joyce di Donato le 20 juin (21 h).
(2) Quatre sopranos (Jeanne Crousaud, Laura Telly-Cambier, Morgane Kypriotti, Clarisse Planchais), un ténor Julien Henric, trois barytons (Jérôme Boutillier, Pierre Barret-Mémy, Matthieu Walendzik), un baryton-basse Halidou Nombre.


Festival d'Auvers-sur-Oise
Du 6 juin au 4 juillet 2019.

Auvers-sur-Oise (95).
Tél. : 01 30 36 77 77.
Programme complet : >> festival-auvers.com

Christine Ducq
Mercredi 12 Juin 2019

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024