La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"Mystery sonatas"… Baroque et surprenant !

Dans un très beau mariage entre baroque et contemporain, Anne Teresa de Keersmaker poursuit sa recherche créative autour de la musique et de la danse. Accompagnée de la violoniste Amandine Beyer, elles reprennent l'œuvre, trop peu connue et superbe du compositeur austro-tchèque Biber, "Sonate du Rosaire", où se mêlent de la grâce, de la poésie et une force rythmique, à l'image des chorégraphies proposées.



© Anne Van Aerschot.
© Anne Van Aerschot.
Noir sur scène avec une lumière qui caresse l'orchestre côté jardin où les musiciens du Gli Incogniti accompagnent la représentation avec "Mystery Sonatas" (≃1678) du violoniste et compositeur austro-tchèque Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704) autour du violon (Amandine Beyer), de la viole de Gambe (Baldomero Barciela Varela), de l'archiluth (Francesco Romano), du théorbe et de la guitare baroque (Ignacio Laguna Navarro), du clavecin et de l'orgue (Anna Fontana).

C'est l'œuvre la plus célèbre de son auteur. Elle est considérée comme exceptionnelle par sa richesse avec des sonates en modes majeur et mineur, en La, Sol, Ut et Ré, suivi par une passacaille dont les études en musicologie ne s'accordent pas à dire unanimement si elle en fait intégralement partie ou si elle en est un ajout. La représentation se finit superbement par celle-ci avec, au violon en solo, Amandine Beyer. Anne Teresa de Keersmaker travaille toujours ses créations dans des alliances musicales et chorégraphiques toujours surprenantes. Prenant un chef-d'œuvre de l'art baroque avec Amandine Beyer, elle en insère aussi deux interludes de musique électronique très rythmés de quelques minutes dans lesquels les chorégraphies gardent leur gestuelle, le mouvement pouvant être porté par tout type de tempo. Ce qui compte est l'allure prise par celui-ci et son intensité.

© Anne Van Aerschot.
© Anne Van Aerschot.
Le spectacle est découpé en quinze tableaux que Biber a voulu scinder telle qu'elle pour faire correspondre les quinze façons d'accorder le violon que l'on retrouve tout au long, en français dans le texte, des sonates des Mystères (appelées aussi "Sonate du Rosaire"). Celles-ci représentent les quinze Mystères sacrés de la vie de la Vierge Marie. Avant chacun de ces différents tableaux, sur fond noir, apparaissent des dénominations telles que "Joy", "Sorrow", "VIII" et d'autres chiffres romains, avec à chaque fois, une clé de Fa et l'accord du violon joué. Le génial Biber utilise aussi le scordatura, technique de jeu "désaccordé", avec une ou plusieurs cordes du violon augmentées ou diminuées.

C'est vif, mêlé de grâce, de légèreté et à chaque fois très physique. La danse oscille entre ces différentes tensions dans des configurations gestuelles où les mouvements sont moteurs. Aucune fixité. Les déplacements sont aussi l'énergie motrice et donnent du volume aux chorégraphies, voire une intensité. Ils en sont la dynamique et laissent voir une trajectoire physique et assignée, comme en écho au cadre religieux dans lequel le spectacle s'inscrit. À plusieurs reprises, et à tour de rôle, la main d'un danseur se tend, ouvrant la paume et tel un aiguillon, se dirige sur scène. Même si celui-ci est aux commandes, sa main est ce qui l'amène d'un point A à un point B, comme guidé par lui-même ou une force extérieure qui le porte.

© Anne Van Aerschot.
© Anne Van Aerschot.
À droite, à gauche, bifurquant, en diagonale, bien sur ses appuis, chaque interprète prend l'espace comme lieu d'expression. On avance sans tâtonnement, sûr d'aller dans la bonne direction. Les gestiques sont souvent courbes, les angles droits ignorés. Alternant dans des solos ou dans des danses à plusieurs, l'artiste devient l'incarnation d'une identité individuelle ou de celle d'un groupe. Existant par lui-même, ignorant presque la présence de l'autre, il en devient toutefois un élément différent avec la présence des autres comme faisant partie d'un ensemble qui exprime une autre vérité corporelle, plus vaste, plus volumineuse par rapport aux solos où le corps existe dans ses respirations, presque sa souffrance. On y entend celles-là de façon très caractéristique, avec une fatigue qui va, parfois, jusqu'au dernier souffle comme avec Sophia Dinkel et José Paulo Dos Santos.

Nous sommes toujours dans une élégance coiffée de gestique très physique. Les bras se lèvent pour aller chercher un appui en replongeant ensuite vers le bas quand les jambes font des mouvements où le plat du pied se lève pour aller vers la droite ou la gauche. Puis ce sont de grandes bascules qui sont effectuées avec les membres inférieurs et supérieurs tout en s'allongeant dans les airs. On court et on marche parfois dans une allure assez vive. La scène est prise dans sa totalité.

© Anne Van Aerschot.
© Anne Van Aerschot.
À tour de rôle, sur une sonate en son entier, un solo est effectué par chacun des artistes. Ce qui se remarque est cette gestique commune à chacun d'entre eux durant toute la représentation. La dernière séquence montre une danse plus relâchée où les déplacements priment beaucoup plus avec une fois, pendant quelques secondes, le groupe des six danseurs prend une pause avec, entre autres, une tête qui frôle une joue ou un bras en appui d'un autre. La pause est dans une poétique fixe qui ressemble à un tableau.

Depuis ses premières créations, Keersmaker s'appuie sur la musique en montrant que le mouvement est associé à lui, bien qu'il puisse aussi en être autonome. La partition devient le lieu scripturaire des gestiques. Il y a trois types de gestuelles qui se détachent, le premier souple et ample, le deuxième plus concentré et nu, le dernier plus enjoué avec les interprètes qui courent sur toute la scène dans un mouvement de va-et-vient qui fait rupture.

Cette œuvre est dédiée aux grandes figures de femmes que sont Rosa Bonheur, Rosa Parks, Rosa Luxemburg, Rosa Vergaelen ainsi que Rosa, jeune activiste pour le climat, âgée de 15 ans, et décédée pendant les inondations de 2021 en Belgique.


"Mystery Sonatas"

© Anne Van Aerschot.
© Anne Van Aerschot.
Création : Anne Teresa De Keersmaeker et Amandine Beyer.
Chorégraphie : Anne Teresa De Keersmaeker.
Musique : Mystery Sonatas (Heinrich Ignaz Franz Biber).
Direction musicale : Amandine Beyer.
Avec : Cintia Sebők, Laura Maria Poletti, Mariana Miranda, Sophia Dinkel, Frank Gizycki, Jacob Storer, José Paulo dos Santos, Lav Crnčević, Mamadou Wagué, Rafa Galdino.
Scénographie et lumières : Minna Tiikkainen.
Costumes : Fauve Ryckebusch.
Et les musiciens du Gli Incogniti.
Violon : Amandine Beyer.
Viole de gambe : Baldomero Barciela Varela.
Théorbe et guitare baroque : Ignacio Laguna Navarro.
Archiluth : Francesco Romano.
Clavecin et orgue : Anna Fontana.
Production : Rosas.
Durée : 2 h 15.

© Anne Van Aerschot.
© Anne Van Aerschot.
Les représentations se sont déroulées du 22 au 25 mars 2023 au Théâtre du Châtelet.

Tournée
31 mars 2023 : Cité musicale, Metz (57).

Safidin Alouache
Mercredi 29 Mars 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024