La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

"Delusion of the Fury" au festival Manifeste 2016

Depuis le 2 juin et jusqu'au 2 juillet 2016, l'IRCAM s'associe avec le Centre Pompidou pour ce Manifeste 2016 autour du concept de l'art pauvre. Rendez-vous de la création musicale et des arts, le festival a confié à Heiner Goebbels et à l'Ensemble Musikfabrik la première française d'une œuvre rare : "Delusion of the Fury" de Harry Partch.



"Delusion of the Fury", Ruhrtriennale 2013 © Wonge Bergmann for the Ruhrtriennale.
"Delusion of the Fury", Ruhrtriennale 2013 © Wonge Bergmann for the Ruhrtriennale.
La vie et l'œuvre de ce compositeur inconnu du grand public sont un manifeste en soi. Né en 1901, Harry Partch quitte le cursus de composition qu'il suivait à Los Angeles pour travailler seul. Il commence dès 1930 à créer ses propres instruments et compose des partitions inédites, à mi-chemin entre musiques savante et populaire qui influenceront les minimalistes et bien au-delà. Un temps réduit au vagabondage pendant le Grande Dépression (tel un personnage de John Steinbeck), il poursuit jusqu'à sa mort en 1974 ses recherches et son œuvre dans les universités de l'Illinois et de Californie.

C'est justement à Los Angeles, à l'université, que son "drame dansé pour trois acteurs et un ensemble" - ce délire de la fureur (1) - est créé en 1966. Pour ce projet hors-norme, il a conçu et fabriqué vingt-sept instruments totalement originaux (2) pour proposer un théâtre total où les musiciens deviendraient aussi acteurs, danseurs et chanteurs.

"Delusion of the Fury" sera un rituel de rêve et de délire (c'est son sous-titre "A ritual of dream and delusion"), la création d'un théâtre musical furieusement anti-académique et sacré. Composé de deux parties - l'une sérieuse inspirée du Nô, l'autre burlesque d'un conte africain – "Delusion of the Fury" est inspiré du grand théâtre grec antique – qui présentait tragédie et comédie en un enchaînement signifiant.

© Wonge Bergmann for the Ruhrtriennale.
© Wonge Bergmann for the Ruhrtriennale.
Performance, installation, bric-à-brac hétéroclite, ce "délire" poétique et musical tient de tout cela et beaucoup plus. Dans la mise en scène (3) d'Heiner Goebbels (dans la Grande Halle de la Villette), respectant au plus près les indications de la partition, l'œuvre impressionne pour ce qu'elle est : un théâtre des corps, des instruments et de la voix (du cri à la mélopée). Une dramaturgie du son et du jeu des musiciens magnifiée par des éclairages somptueux entre ténèbres et couleurs Pop-art. Redéfinissant l'espace en une chorégraphie complexe et virtuose où évoluent les artistes comme engagés dans un rituel chamanique d'un nouveau genre, "Delusion of the Fury" est une expérience visuelle, vocale et musicale.

De ces instruments inouïs engageant totalement l'interprète, le discours sonore se développe à la fois familier (rappelant les traditions des peuples premiers américains mais aussi orientales) et novateur. La richesse des timbres, le jeu sur les modulations, les rythmes et les densités sonores finissent par désorienter le spectateur, agréablement embarqué en un voyage sensible et spirituel.

"Delu© Wonge Bergmann for the Ruhrtriennale.
"Delu© Wonge Bergmann for the Ruhrtriennale.
L'incroyable prestation de l'Ensemble Musikfabrik, qui a dû répéter un an pour apprendre à jouer de ces instruments imaginés par Harry Partch, participe entièrement de cette performance. De même que le travail effectué par l'un des leurs, le musicien et facteur Thomas Meixner, qui a su recréer avec les difficultés qu'on imagine cette lutherie impressionnante à partir de photos des instruments d'origine désormais conservés à Los Angeles.

(1) Traduction de "Delusion of the Fury".
(2) Citons les New Kitharas, le Crychord, le Diamond Marimba, le Quadrangularis, le Reversum, les Belly et Gourd Drums…
(3) Il s'agit d'une reprise de la création allemande de l'œuvre par H. Goebbels à la Ruhrtriennale de 2013.

© Wonge Bergmann for the Ruhrtriennale.
© Wonge Bergmann for the Ruhrtriennale.
Festival Manifeste 2016 du 2 juin au 2 juillet 2016.

Programme complet :
[>> manifeste.ircam.fr]urlblank :http://manifeste.ircam.fr/

Exposition "L'Art pauvre" au Centre Pompidou jusqu'au 29 août 2016.

"Delusion of the Fury" (1966).
Pièce de théâtre musical en deux actes de Harry Partch.
Heiner Goebbels, mise en scène.
Klaus Grünberg, scénographie et lumières.
Florence von Gerkan, costumes.
Paul Jeukendrup, réalisation informatique musicale.
Matthias Mohr, dramaturgie.
Arnold Marinissen, direction musicale.

Ensemble Musikfabrik.
Thomas Meixner, facteur des instruments Partch.

Christine Ducq
Mercredi 22 Juin 2016

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024