Pour son trentième opéra, Christoph Willibald Gluck renoue avec les origines mêmes du genre en choisissant pour sujet le mythe d'Orphée, dont le douloureux voyage aux Enfers était rappelé (et avec quel lyrisme) dans les "Géorgiques" de Virgile. Mais, à la différence de Monteverdi, il met en lumière le drame d'un couple - et (un siècle avant Richard Wagner) toute l'importance de la copule "et" dans un titre (1).
Grâce à un mécène français et à un librettiste doué, le compositeur autrichien compose en 1762, pour le Burgtheater de Vienne, une œuvre qui anticipe la réforme de l'opéra qu'il appellera de ses vœux dans la fameuse Epître dédicatoire de "Alceste" (créé en 1767) : la recherche de "la beauté simple" et de l'expression des sentiments vrais soutenant une action dramatique efficace. Cela est très loin alors des excès de l'opera seria de l'époque avec ses morceaux de bravoures virtuoses (et interminables) destinés à faire briller castrats et prime donne au détriment de la vérité des caractères et de l'intrigue.
Grâce à un mécène français et à un librettiste doué, le compositeur autrichien compose en 1762, pour le Burgtheater de Vienne, une œuvre qui anticipe la réforme de l'opéra qu'il appellera de ses vœux dans la fameuse Epître dédicatoire de "Alceste" (créé en 1767) : la recherche de "la beauté simple" et de l'expression des sentiments vrais soutenant une action dramatique efficace. Cela est très loin alors des excès de l'opera seria de l'époque avec ses morceaux de bravoures virtuoses (et interminables) destinés à faire briller castrats et prime donne au détriment de la vérité des caractères et de l'intrigue.
Tout pour la musique et l'émotion du chant donc (avec notamment l'abandon du "recitativo secco" accompagné au clavecin) pour une œuvre brève (2) entièrement au service de la confidence des âmes au carrefour d'un classicisme visant aux plus grands effets (par l'économie des moyens) et de cette esthétique des larmes très en vogue au Siècle des Lumières. Le succès fut prodigieux et l'opéra, joué partout en Europe, ne connut que peu d'éclipse à la scène.
C'est que la partition est une des plus belles qu'on puisse entendre. Quand le prélude de l'acte un en mode majeur s'élève de la fosse, le spectateur est immédiatement emporté dans le passé immémorial de la légende, près du bûcher funéraire d'Eurydice pleurée par Orphée. Le directeur musical de l'Opéra de Nancy depuis 2015, Rani Calderon, emmène avec autorité et sensibilité un orchestre à la sonorité idéale, brodant un riche velours dont la grâce le dispute au lyrisme le plus cantabile. Un vrai bonheur de la première à la dernière note.
Si l'Orphée du contreténor sud-africain Christopher Ainslie livre un chant impeccable (avec sa voix soyeuse et des possibilités semble-t-il presque illimitées) mais trop peu incarné, l'Eurydice de Lenka Macikovà s'affirme avec un talent si évident (3) qu'elle irradie sans peine le pouvoir de faire se parjurer le poète à la lyre - et il ne peut que se retourner pour l'embrasser. L'Amour interprété par la jeune soprano Norma Nahoun est irrésistible de séduction et de malice. Son timbre délicieux et la tenue de son chant emportent comme il se doit tous les cœurs.
C'est que la partition est une des plus belles qu'on puisse entendre. Quand le prélude de l'acte un en mode majeur s'élève de la fosse, le spectateur est immédiatement emporté dans le passé immémorial de la légende, près du bûcher funéraire d'Eurydice pleurée par Orphée. Le directeur musical de l'Opéra de Nancy depuis 2015, Rani Calderon, emmène avec autorité et sensibilité un orchestre à la sonorité idéale, brodant un riche velours dont la grâce le dispute au lyrisme le plus cantabile. Un vrai bonheur de la première à la dernière note.
Si l'Orphée du contreténor sud-africain Christopher Ainslie livre un chant impeccable (avec sa voix soyeuse et des possibilités semble-t-il presque illimitées) mais trop peu incarné, l'Eurydice de Lenka Macikovà s'affirme avec un talent si évident (3) qu'elle irradie sans peine le pouvoir de faire se parjurer le poète à la lyre - et il ne peut que se retourner pour l'embrasser. L'Amour interprété par la jeune soprano Norma Nahoun est irrésistible de séduction et de malice. Son timbre délicieux et la tenue de son chant emportent comme il se doit tous les cœurs.
Quant à la mise en scène d'Ivan Alexandre, elle plaît et irrite à la fois. Reprenant le concept de la mise en abîme (utilisé à peu près partout) qui veut annuler la séparation de la salle et de la scène - les spectateurs sont aux Enfers -, il a imaginé une perspective assez étouffante soulignée par des cadres emboîtés dorés clinquants gâchant une vision par ailleurs souvent poétique. De très beaux moments, comme cette ombre d'Eurydice dansant avec la Mort derrière un rideau, le disputent à certaines facilités comme la harpe de l'orchestre omniprésente à l'arrière-plan - figurant le pouvoir d'Orphée et donc de la musique sur les cœurs.
Quant au discours reprenant la théorie platonicienne de l'amour (4) - au début de l'opéra, Orphée et Eurydice ne forment qu'un hermaphrodite divisé à cause de la mort, tous deux réduits aux bons offices de l'Amour pour retrouver leur moitié -, il semble aussi plaqué que dispensateur parfois de beaux tableaux (5). D'autant plus qu'on nous assure ici qu'Eurydice n'est qu'une mégère pressée de faire croquer la pomme au pauvre Orphée lors du ballet final - mythes chrétien et grec réunis deviennent un tantinet indigestes, très loin quand même de cette utopie enchantée de l'amour fou voulue par ses auteurs.
(1) "Tristan und Isolde" (voir l'acte deux).
(2) La version de Paris est augmentée de vingt bonnes minutes par rapport à celle de Vienne heureusement choisie ici.
(3) En cette première, une annonce nous apprenait que la cantatrice, souffrante, avait tenu à chanter quand même. Une précaution due au trac ?
(4) C'est le discours d'Aristophane dans "Le Banquet".
(5) Comme ce tableau final où le chœur connaît enfin la différence des sexes et la réunion du féminin et du masculin.
Quant au discours reprenant la théorie platonicienne de l'amour (4) - au début de l'opéra, Orphée et Eurydice ne forment qu'un hermaphrodite divisé à cause de la mort, tous deux réduits aux bons offices de l'Amour pour retrouver leur moitié -, il semble aussi plaqué que dispensateur parfois de beaux tableaux (5). D'autant plus qu'on nous assure ici qu'Eurydice n'est qu'une mégère pressée de faire croquer la pomme au pauvre Orphée lors du ballet final - mythes chrétien et grec réunis deviennent un tantinet indigestes, très loin quand même de cette utopie enchantée de l'amour fou voulue par ses auteurs.
(1) "Tristan und Isolde" (voir l'acte deux).
(2) La version de Paris est augmentée de vingt bonnes minutes par rapport à celle de Vienne heureusement choisie ici.
(3) En cette première, une annonce nous apprenait que la cantatrice, souffrante, avait tenu à chanter quand même. Une précaution due au trac ?
(4) C'est le discours d'Aristophane dans "Le Banquet".
(5) Comme ce tableau final où le chœur connaît enfin la différence des sexes et la réunion du féminin et du masculin.
Dimanche 3 avril 2016 à 15 h,
mardi 5 et jeudi 7 avril 2016 à 20 h.
Opéra national de Lorraine.
Place Stanislas, Nancy.
Tél. : 03 83 85 30 60.
opera-national-lorraine.fr
"Orfeo e Euridice" (1762).
Drame héroïque en trois actes.
Musique de C. W. Gluck.
Livret de Ranieri de'Calzabigi.
En italien surtitré en français.
Durée : 1 h 25 sans entracte.
mardi 5 et jeudi 7 avril 2016 à 20 h.
Opéra national de Lorraine.
Place Stanislas, Nancy.
Tél. : 03 83 85 30 60.
opera-national-lorraine.fr
"Orfeo e Euridice" (1762).
Drame héroïque en trois actes.
Musique de C. W. Gluck.
Livret de Ranieri de'Calzabigi.
En italien surtitré en français.
Durée : 1 h 25 sans entracte.
Rani Calderon, direction musicale.
Ivan Alexandre, mise en scène.
Pierre-André Weitz, décors et costumes.
Bertrand Killy, lumières.
Christopher Ainslie, Orphée.
Lenka Macikovà, Eurydice.
Norma Nahoun, L'Amour.
Uli Kirsch, La Mort.
Julien Marcou, harpe.
Orchestre symphonique et lyrique de Nancy.
Chœur de l'Opéra national de Lorraine.
Solange Fober, Vincent Royer, chefs de chant.
Ivan Alexandre, mise en scène.
Pierre-André Weitz, décors et costumes.
Bertrand Killy, lumières.
Christopher Ainslie, Orphée.
Lenka Macikovà, Eurydice.
Norma Nahoun, L'Amour.
Uli Kirsch, La Mort.
Julien Marcou, harpe.
Orchestre symphonique et lyrique de Nancy.
Chœur de l'Opéra national de Lorraine.
Solange Fober, Vincent Royer, chefs de chant.