La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2023

•In 2023• "Neandertal" Rembobinage de l'Histoire… et si l'Homo Sapiens était sorti de la cuisse de Neandertal ?

Au terme de deux heures trente d'une "recherche appliquée" menée rondement par David Geselson et ses condisciples, enquête minutieuse convoquant les noms de scientifiques prestigieux, sera établi que l'Homo Sapiens – nous ! – n'est qu'un bâtard résultant du croisement d'un mâle de Neandertal et d'une femelle Homo Sapiens (à moins que ce ne soit l'inverse, le résultat au final étant le même…). De quoi donner les sueurs froides à celles et ceux dont le fonds de commerce repose sur la hiérarchie des "races"… et de quoi réjouir, artistiquement parlant, mais pas que…



© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Si l'on ajoute à cette recherche haletante de vérité scientifique, les soubresauts amoureux de celles et ceux qui sont chargés de la mener à bien, on prend mesure de l'effervescence régnant sur le plateau partagé en deux zones principales. Côté jardin, un laboratoire scientifique, côté cour, une grotte préhistorique, avec, en avant-scène, une zone de libres échanges. Le décor ainsi planté, la grande histoire de l'humanité percutée par les histoires personnelles de nos vies minuscules est en marche…

De l'entrée fracassante dans le bunker d'un sous-sol obscur d'une chercheuse en proie à des haut-le-cœur si violents que son collègue lui propose de les extirper avec deux doigts dans la bouche, à l'explication de ce malaise – expériences sur la radioactivité – en passant par la recherche antérieure du dudit collègue s'étant lui penché sur le décryptage du caca séché trouvé dans des latrines en Israël, on se doute que la suite ne va être triste…

Après cette entrée "en matières" tonitruante, on se retrouve à San Francisco où les protagonistes participent au Symposium de biologie moléculaire organisée par la prestigieuse Université de Berkeley. À l'ordre du jour se sont invitées de petites météorites (dont on a pris soin de nous confier un échantillon à notre entrée en salle) tombées récemment dans le désert californien. Scoop délivré en direct : "Elles contiennent des molécules d'ADN qui, en évoluant, ont donné… nous !". Lire dans le passé pour savoir comment on est devenus ce que l'on est, telle va être dès lors la question pivot de ce nouvel opus superbement vivant, écrit, mis en jeu et interprété par David Geselson.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Très vite, on assiste aux premiers déchirements de l'un des couples de chercheurs – "Je suis un champ de désolation", dira la jeune femme juive – autour de l'enfant compatible ou non avec les exigences d'une recherche scientifique. Dans la lignée des météorites, il s'agira de trouver l'ADN des Néandertaliens desquels l'homme actuel est issu. Nul doute, pour faire parler des millénaires de silence, il faut récupérer des os de Neandertal !

Benyamin Netanyahou n'a-t-il pas nourri secrètement le projet délirant d'exhumer des Juifs au pied du Mur des Lamentations dans le but de savoir si, par la volonté du tout-puissant, il n'y aurait pas un ADN juif ? Ce qui est certain, c'est que le leader du Likoud, en prétendant littéralement que le dieu des Juifs a donné la terre à son peuple, lui a apporté la guerre… Projetées alors, dans un effet de réalité saisissant, des vidéos montrent sur grand écran les manifestations de Palestiniens protestant contre le sort qui leur est réservé dans les Territoires, et d'autres, filmées à Tel-Aviv lors du Rassemblement pour la Paix du 4 novembre 1995, projettent "en direct" l'assassinat de Yitzhak Rabin par un extrémiste de droite pour avoir dit haut et fort au peuple israélien, arabes compris, que le peuple d'Israël voulait la paix.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
La grande Histoire s'invitant ainsi dans la représentation théâtrale, c'est aussi la recherche d'ADN sur les cadavres coupés en deux par les bulldozers de Slobodan Milosevic, tentant d'effacer les traces du génocide des musulmans de Bosnie en détruisant les charniers… La fiction revenant à l'avant-scène sous la forme du père de l'un des chercheurs reprenant contact avec son fils naturel autour d'une dent de lait retrouvée pour tenter de prouver qu'ils ont bien le même ADN… De même de l'étude du génome de Neandertal permettant de séquencer l'ADN des collections d'ossements préhistoriques conservés à Zagreb, autorisation obtenue en échange de l'aide apportée pour l'identification des victimes des charniers.

Quant aux couples de chercheurs, eux aussi, ils se déferont pour se refaire dans d'autres combinaisons portant dans leur génome les traces successives des croisements réalisés. L'ADN, sujet de cette pièce, du moins en constituant l'élément moteur, est "homni-présent". Réalité et fiction mêlent joyeusement leur ADN respectif pour donner naissance à une représentation fourmillante d'inventivités et trouvant dans cette alliance son véritable objet…

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Faire toucher du doigt que la fiction d'une race pure ne peut survivre à la réalité – fût-ce celle d'une forme artistique – tel était l'enjeu de cette représentation particulièrement enjouée… Au terme de cette traversée en terre néandertalienne, à la belle histoire de l'arrivée d'un Sauveur il y a quelque deux mille ans à Bethléem, en Palestine, se superpose l'histoire édifiante de l'Homo sapiens sorti de la cuisse de Neandertal, il y a quarante mille ans de cela, quelque part en Israël. N'en déplaise aux contempteurs des bâtards et autres émigrés… dont ils sont eux aussi.

Vu le lundi 10 juillet 2023 à L'Autre scène du Grand Avignon à Vedène.

"Neandertal"

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Création au Festival d'Avignon 2023.
Spectacle en français surtitré en anglais.
Texte et mise en scène : David Geselson.
Assistants à la mise en scène : Aurélien Hamard-Padis, Jade Maignan.
Avec : David Geselson, Adeline Guillot, Marina Keltchewsky, Laure Mathis, Elios Noël, Dirk Roofthooft et Jérémie Arcache (violoncelle), Marine Dillard (dessins).
Scénographie : Lisa Navarro, avec la collaboration de Margaux Nessi.
Lumière : Jérémie Papin avec la collaboration de Rosemonde Arrambourg.
Vidéo : Jérémie Scheidler.
Son : Loïc Le Roux, avec la collaboration d'Orane Duclos et de Marius Nougier (stagiaire).
Musique : Jérémie Arcache.
Costumes, Benjamin Moreau, avec la collaboration de Florence Demingeon.
Intégration et conception de régie : Jérémie Gaston-Raoul.
Collaboration dramaturgique : Quentin Rioual.
Regard extérieur, Juliette Navis.
Traduction croate : Tiana Krivokapić.
Traduction surtitres anglais : Jennifer Gay.
Conseil scientifique : Évelyne Heyer et Sophie Lafosse (éco-anthropologie, musée de l'Homme), Cyrille Le Forestier (archéo-anthropologie, INRAP), Julie Birgel (CAGT).
Durée : 2 h 30.
Librement inspiré de :
"Néandertal, à la recherche des génomes perdus" de Svante Pääbo, (Les liens qui libèrent, 2015) ;
"Rosalind Franklin, la Dark lady de l'ADN" de Brenda Maddox (Des femmes-Antoinette Fouque, 2012) ;
"Les fossoyeuses" de Taina Tervonen (Marchialy, 2021).

•Avignon In 2023•
Du 6 au 9, du 10 au 12 juillet 2023.
Représenté à 15 h.
L'Autre scène du Grand Avignon à Vedène (84).
Réservations : 04 90 14 14 14 tous les jours de 10 h à 19 h.
>> festival-avignon.com

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Tournée
Du 28 novembre au 2 décembre 2023 : Théâtre Dijon Bourgogne, Dijon (21).
22 février 2024 : Le Canal - Théâtre du Pays de Redon, Redon (35).
Du 28 février au 11 mars 24 : Théâtre Gérard Philipe - TGP, Saint-Denis (93).
Du 15 au 17 mars 2024 : Théâtre-Sénart, Scène nationale, Lieusaint (77).
21 mars 2024 : Gallia Théâtre, Saintes (17).
4 avril 2024 : Théâtre Cinéma de Choisy-le-Roi, Choisy-le-Roi (94).
Du 10 au 12 avril 2024 : Comédie - CDN de Reims, Reims (51).
22 au 26 mai 2024 : Comédie de Genève, Genève (Suisse).
30 mai 2024 : Théâtre de Lorient - CDN, Lorient (56).

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.

Yves Kafka
Jeudi 13 Juillet 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024