"Carmen", répétitions © Vincent Pontet/Opera national de Paris.
"Carmen" est donné pour la première fois en 1875. Trois mois après sa création à l'Opéra Comique, Georges Bizet meurt à trente-sept ans. Il ne saura jamais que les personnages de son drame entrent dans la légende et qu'ils ne quitteront plus la scène - et que tous les airs, du premier chœur "Sur la place" au dernier lamento du brigadier Don José sur le cadavre de la belle gitane ("Ah Carmen ! Ma Carmen adorée…"), figureront parmi les plus populaires de l'histoire de l'opéra. Le plaisir d'entendre encore et toujours cette envoûtante partition ne se dément pas, comme celui que nous prenons à revivre les étapes de ce chemin de croix de la passion - tragique, forcément tragique.
C'est que l'invention y est géniale : Bizet sait parfaitement rehausser les airs hispanisants au parfum d'ailleurs avec des harmonies savantes. Il montre brillamment, en pleine maturité de son art, que l'invention mélodique et la richesse de l'orchestration rehaussent un drame à l'efficacité redoutable : du prélude déjà parcouru de thèmes antagonistes, menaçants ou joyeux, au déroulement implacable d'un courant passionnel qui traverse quatre actes, déroulant ses morceaux de bravoure et ses délicates stations - à la fois ancrés (pour ne pas dire datés) dans leur époque ("Parle-moi de ma mère…") et universels, approfondis dans un parfait mélange de styles et de registres.
C'est que l'invention y est géniale : Bizet sait parfaitement rehausser les airs hispanisants au parfum d'ailleurs avec des harmonies savantes. Il montre brillamment, en pleine maturité de son art, que l'invention mélodique et la richesse de l'orchestration rehaussent un drame à l'efficacité redoutable : du prélude déjà parcouru de thèmes antagonistes, menaçants ou joyeux, au déroulement implacable d'un courant passionnel qui traverse quatre actes, déroulant ses morceaux de bravoure et ses délicates stations - à la fois ancrés (pour ne pas dire datés) dans leur époque ("Parle-moi de ma mère…") et universels, approfondis dans un parfait mélange de styles et de registres.
"Carmen", répétitions © E. Bauer/Opera national de Paris.
Que se passe-t-il, de surcroît, quand un metteur en scène espagnol se saisit de cette œuvre avec l'intention avérée d'en expurger tout folklore pour la dénuder jusqu'à l'os, bref la libérer de tous les clichés qui l'encombrent ? Il nous livre une proposition passionnante en choisissant d'en montrer la contemporanéité. Exit les danses pittoresques, les éventails et autres castagnettes (qu'on entendra depuis la fosse). Le livret est par ailleurs coupé de trois airs sans grand intérêt, qui ralentissent l'action.
Dans une Espagne que Calixto Bieito ramène à ses démons et à ses totems (taureaux géants ponctuant les bords des routes, arènes désertées et tauromachie provinciale, gitans devenus des marginaux cantonnés dans des parkings, soldats peut-être échappés du franquisme), machisme et pulsions de mort ont la part belle - comme le désir de mort qui hante toute passion. Une mise en scène de ténèbres (avec le beau travail de A. Rodriguez Vega) qui jette une lumière crue sur les personnages, écartelés entre leurs élans sexuels irrépressibles, leur culpabilité et leur désir d'affranchissement.
En cette première s'ajoute une autre tension : Roberto Alagna fait annoncer qu'il est souffrant mais chantera quand même. Son impossibilité à monter dans les aigus (et singulièrement jusqu'au si bémol dans l'air fameux "La fleur que tu m'avais jetée"), son évidente souffrance et sa vaillance vont pourtant servir le personnage : il est un Don José jusqu'au-boutiste, il brûle sur scène. Et il frôle l'accident dans un saut (pourtant prévu, mais plein de fougue) depuis le capot d'une des voitures. Le ténor donne tout - mais serait-il une star sans cette générosité ? La soirée donne l'impression rare que l'expérience intime du chanteur rejoint la fragilité de son rôle. Héroïque et déchirant, il nous bouleverse de bout en bout.
Dans une Espagne que Calixto Bieito ramène à ses démons et à ses totems (taureaux géants ponctuant les bords des routes, arènes désertées et tauromachie provinciale, gitans devenus des marginaux cantonnés dans des parkings, soldats peut-être échappés du franquisme), machisme et pulsions de mort ont la part belle - comme le désir de mort qui hante toute passion. Une mise en scène de ténèbres (avec le beau travail de A. Rodriguez Vega) qui jette une lumière crue sur les personnages, écartelés entre leurs élans sexuels irrépressibles, leur culpabilité et leur désir d'affranchissement.
En cette première s'ajoute une autre tension : Roberto Alagna fait annoncer qu'il est souffrant mais chantera quand même. Son impossibilité à monter dans les aigus (et singulièrement jusqu'au si bémol dans l'air fameux "La fleur que tu m'avais jetée"), son évidente souffrance et sa vaillance vont pourtant servir le personnage : il est un Don José jusqu'au-boutiste, il brûle sur scène. Et il frôle l'accident dans un saut (pourtant prévu, mais plein de fougue) depuis le capot d'une des voitures. Le ténor donne tout - mais serait-il une star sans cette générosité ? La soirée donne l'impression rare que l'expérience intime du chanteur rejoint la fragilité de son rôle. Héroïque et déchirant, il nous bouleverse de bout en bout.
"Carmen", répétitions © Vincent Pontet/Opera national de Paris.
La Carmen ténébreuse et inflammable de Clémentine Margaine n'impressionne pas moins. Voix somptueuse, présence scénique sauvage, la mezzo ne donne ni dans la joliesse, ni dans la coquinerie. Sa Carmen est un animal dangereux, poussé dans ses derniers retranchements. Trash et irrésistible, pas effrontée mais frontale. Alexandra Kurzak est, quant à elle, une superbe Micaela : son grand air ("Je dis que rien ne m'épouvante") tout en émotion témoigne d'une fraîcheur et d'une passion qu'autorise un soprano agile. Tous les autres rôles sont à l'avenant, joyaux d'une équipe majoritairement française. Citons aussi Vannina Santoni (Frasquita) et Antoinette Dennefeld (Mercédès), charmeuses en diable.
Le chef Bertrand de Billy, qui a remplacé au pied levé Lionel Bringuier quelques jours avant la première, dirige avec une autorité complice un orchestre qui le suivrait où qu'il veuille se risquer. Mais il refuse les effets faciles et tonitruants en cohésion avec la mise en scène, en déployant un tissu aux couleurs raffinées, sachant faire briller les pupitres, singulièrement les cordes, les bois et les cuivres. C'est debout que l'orchestre tout entier le remerciera par des applaudissements mérités.
Le chef Bertrand de Billy, qui a remplacé au pied levé Lionel Bringuier quelques jours avant la première, dirige avec une autorité complice un orchestre qui le suivrait où qu'il veuille se risquer. Mais il refuse les effets faciles et tonitruants en cohésion avec la mise en scène, en déployant un tissu aux couleurs raffinées, sachant faire briller les pupitres, singulièrement les cordes, les bois et les cuivres. C'est debout que l'orchestre tout entier le remerciera par des applaudissements mérités.
"Carmen", répétitions © Vincent Pontet/Opera national de Paris.
25 représentations du 10 mars au 16 juillet 2017.
Distributions et dates à voir sur le site de l'Opéra de Paris.
>> operadeparis.fr
Diffusion en léger différé le 16 juillet 2017 sur Culturebox et France 3.
Radiodiffusion en direct le 16 juillet 2017 sur Radio Classique.
Opéra national de Paris.
Place de la Bastille, Paris 12e.
Tél. : 08 92 89 90 90.
"Carmen" (1875).
Opéra en quatre actes.
Musique de Georges Bizet (1838-1875).
Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy d'après P. Mérimée.
Distributions et dates à voir sur le site de l'Opéra de Paris.
>> operadeparis.fr
Diffusion en léger différé le 16 juillet 2017 sur Culturebox et France 3.
Radiodiffusion en direct le 16 juillet 2017 sur Radio Classique.
Opéra national de Paris.
Place de la Bastille, Paris 12e.
Tél. : 08 92 89 90 90.
"Carmen" (1875).
Opéra en quatre actes.
Musique de Georges Bizet (1838-1875).
Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy d'après P. Mérimée.
"Carmen", répétitions © Vincent Pontet/Opera national de Paris.
En français surtitré en français et anglais.
Durée : 3 h 20 avec un entracte.
Bertrand de Billy, direction.
Calixto Bieito, mise en scène.
Alfons Flores, décors.
Mercè Paloma, costumes.
Alberto Rodriguez Vega, lumières.
Clémentine Margaine, Carmen.
Roberto Alagna, Don José.
Alexandra Kurzak, Micaela.
Roberto Tagliavini, Escamillo.
Vannina Santoni, Frasquita.
Antoinette Dennefeld, Mercédès.
Boris Grappe, Le Dancaïre.
François Rougier, Le Remendado.
François Lis, Zuniga.
Jean-Luc Ballestra, Moralès.
Alain Azérot, Lillas Pastia.
Orchestre et Chœurs de l'Opéra de Paris.
Maîtrise des Hauts-de-Seine.
Chœur d'enfants de l'Opéra de Paris.
José Luis Basso, chef des chœurs.
Durée : 3 h 20 avec un entracte.
Bertrand de Billy, direction.
Calixto Bieito, mise en scène.
Alfons Flores, décors.
Mercè Paloma, costumes.
Alberto Rodriguez Vega, lumières.
Clémentine Margaine, Carmen.
Roberto Alagna, Don José.
Alexandra Kurzak, Micaela.
Roberto Tagliavini, Escamillo.
Vannina Santoni, Frasquita.
Antoinette Dennefeld, Mercédès.
Boris Grappe, Le Dancaïre.
François Rougier, Le Remendado.
François Lis, Zuniga.
Jean-Luc Ballestra, Moralès.
Alain Azérot, Lillas Pastia.
Orchestre et Chœurs de l'Opéra de Paris.
Maîtrise des Hauts-de-Seine.
Chœur d'enfants de l'Opéra de Paris.
José Luis Basso, chef des chœurs.