© A. Bofill.
Il est de rares œuvres qui nous tiennent exceptionnellement à cœur ; et parmi celles-là le "Tristan" domine tyranniquement. Quand une production tutoie le rêve que chacun porte en soi du grand-œuvre wagnérien, alors se précise l'idée de ce qu'est le Grand Soir, ou plutôt la Grande Nuit - l'opéra créé à Munich s'imposant depuis 1865 comme la plus enivrante nuit d'amour de l'histoire de l'opéra. Le spectacle proposé par le Grand Théâtre du Liceu est de cette classe en en proposant une version quasi parfaite (le Tristan de Stefan Vinke imposant quelques réserves).
Dès les premières vagues parfaitement lancées en tempo comme en équilibre des pupitres dans le Prélude, premières voluptés d'un philtre musical sensoriel et spirituel dont les effets ne cesseront pas avec le dernier accord d'une fantastique Liebestod au troisième acte, Josep Pons à la tête de l'orchestre symphonique maison s'impose en wagnérien de grande classe.
Maître de l'Art de la Transition cher au compositeur, le chef offre de la fosse sa connaissance intime des arcanes de la partition et sa battue dévouée à la richesse expressive, déliant précieusement ses incessantes altérations harmoniques et mélodiques. Un grand art de la captation des âmes que viennent renforcer les interventions dans les points nodaux de l'action dramatique (si on peut dire) du premier violon Kai Gleusteen ou du cor anglais de Carles Chorda Sanz.
Dès les premières vagues parfaitement lancées en tempo comme en équilibre des pupitres dans le Prélude, premières voluptés d'un philtre musical sensoriel et spirituel dont les effets ne cesseront pas avec le dernier accord d'une fantastique Liebestod au troisième acte, Josep Pons à la tête de l'orchestre symphonique maison s'impose en wagnérien de grande classe.
Maître de l'Art de la Transition cher au compositeur, le chef offre de la fosse sa connaissance intime des arcanes de la partition et sa battue dévouée à la richesse expressive, déliant précieusement ses incessantes altérations harmoniques et mélodiques. Un grand art de la captation des âmes que viennent renforcer les interventions dans les points nodaux de l'action dramatique (si on peut dire) du premier violon Kai Gleusteen ou du cor anglais de Carles Chorda Sanz.
© A. Bofill.
Comme s'il avait relu Thomas Mann (1) avant de se lancer dans le projet, Alex Ollé propose une lecture fine, originale et non dénuée de grandeur du chef-d'œuvre, si délicat à transposer scéniquement (des génies comme Chéreau s'y sont cassé parfois les dents) pour une "action" entièrement intériorisée où les péripéties sont celles des étapes d'une dissolution charnelle et cosmique des amants dans l'infini de l'univers - à laquelle assistent, impuissants, les autres personnages.
Au premier acte, il fait tourner en une lente révolution un simple plancher figurant le navire qui fait route vers le royaume du Roi Marc, tandis que les protagonistes contemplent une nuit où les constellations apparaissent et disparaissent au gré des sentiments exprimés. Idée parfaitement juste, forte et géniale qui sera suivie d'autres, alors qu'une sphère qui ressemble à Saturne descend peu à peu des cintres.
Au deuxième acte, la planète, qu'habilleront les belles images symboliques d'arbres, de nuages ou d'ombres des éléments du décor, parcourant toutes les nuances du gris au noir d'ivoire (2) de la vidéo de Franc Aleu, s'évidera tantôt en château, tantôt en jardin, s'embrasant de pourpre au moment de l'extase des amants, juste avant que ne les surprennent Marc et sa cour. Les ténèbres s'effaçant par éclipse grâce aux lumières superbes d'Urs Schönebaum. C'est le mouvement de cette planète saturnienne, royaume des mélancoliques comme on le sait, qui illustrera le cheminement des personnages ; Tristan en subissant la gravité au troisième acte, prêt à retourner pour toujours dans le pays "où ne brille pas le soleil".
Au premier acte, il fait tourner en une lente révolution un simple plancher figurant le navire qui fait route vers le royaume du Roi Marc, tandis que les protagonistes contemplent une nuit où les constellations apparaissent et disparaissent au gré des sentiments exprimés. Idée parfaitement juste, forte et géniale qui sera suivie d'autres, alors qu'une sphère qui ressemble à Saturne descend peu à peu des cintres.
Au deuxième acte, la planète, qu'habilleront les belles images symboliques d'arbres, de nuages ou d'ombres des éléments du décor, parcourant toutes les nuances du gris au noir d'ivoire (2) de la vidéo de Franc Aleu, s'évidera tantôt en château, tantôt en jardin, s'embrasant de pourpre au moment de l'extase des amants, juste avant que ne les surprennent Marc et sa cour. Les ténèbres s'effaçant par éclipse grâce aux lumières superbes d'Urs Schönebaum. C'est le mouvement de cette planète saturnienne, royaume des mélancoliques comme on le sait, qui illustrera le cheminement des personnages ; Tristan en subissant la gravité au troisième acte, prêt à retourner pour toujours dans le pays "où ne brille pas le soleil".
© A. Bofill.
L'événement tient aussi pour ce spectacle à une distribution de chanteurs wagnériens surdoués, tels qu'on n'en entend guère, et qu'exige cette musique sublime (un chant épousant intimement les mots et les notes). Même si la Brangäne de Sarah Connolly ne convainc pas toujours (malgré un beau "Einsam wachend in der Nacht"), les autres planent dans les cieux wagnériens avec autorité et aisance. Stefan Vinke fait entendre au tout début, il est vrai, un timbre assez laid avec une voix nasale que l'échauffement embellira au fur à mesure.
Certes, il est plus Siegfried que Tristan, tout en force et en vaillance, manquant singulièrement des déchirements et de la morbidezza attendus. Mais Wagner gagne toujours à la fin et la lave en fusion que déverse l'orchestre au troisième acte emporte tout, même le chanteur et nos réserves. Greer Grimsley est un très beau Kurwenal. Et quand apparaît Albert Dohmen, le sol s'ouvre sous les pas des héros et l'opéra gagne une nouvelle cime, s'il était possible. On ne se souvient pas d'avoir vu sur scène un König Marke plus noble, plus charismatique, doté d'une voix à la profondeur interminable et aux inflexions aussi bouleversantes.
Certes, il est plus Siegfried que Tristan, tout en force et en vaillance, manquant singulièrement des déchirements et de la morbidezza attendus. Mais Wagner gagne toujours à la fin et la lave en fusion que déverse l'orchestre au troisième acte emporte tout, même le chanteur et nos réserves. Greer Grimsley est un très beau Kurwenal. Et quand apparaît Albert Dohmen, le sol s'ouvre sous les pas des héros et l'opéra gagne une nouvelle cime, s'il était possible. On ne se souvient pas d'avoir vu sur scène un König Marke plus noble, plus charismatique, doté d'une voix à la profondeur interminable et aux inflexions aussi bouleversantes.
© A. Bofill.
Et il est aussi un miracle nommé Irène Theorin. Seule actuellement capable de donner l'idée de ce que pouvait signifier entendre sur scène les Flagstad, les Grob-Prandl, les Nilsson, la soprano est une Isolde idéale. Capable des nuances les plus subtiles, s'autorisant des piani orfèvres, la chanteuse au souffle sans limite, à la diction princière, à la puissance jamais écrasante, domine la soirée sans jamais donner l'impression de la moindre fatigue jusqu'au Liebestod final, anthologique. Nulle surprise pour celle qui a toujours défendu un chant quasi chambriste. Une soirée d'art total.
(1) "Rien là qu'une philosophie érotique, une métaphysique athéiste, le mythe d'une cosmogonie où le motif du désir fait apparaître l'univers."
(2) Noir d'ivoire ou de Mars (si bien nommé).
Spectacle vu le 2 décembre 2017.
(1) "Rien là qu'une philosophie érotique, une métaphysique athéiste, le mythe d'une cosmogonie où le motif du désir fait apparaître l'univers."
(2) Noir d'ivoire ou de Mars (si bien nommé).
Spectacle vu le 2 décembre 2017.
© A. Bofill.
Prochaines dates :
Jeudi 7, dimanche 10, mardi 12, vendredi 15 décembre 2017 à 19 h.
Gran Teatre del Liceu.
51-59 La Rambla, 08002 Barcelona.
>> liceubarcelona.cat
"Tristan und Isolde" (1865).
Drame musical en trois actes.
Livret et musique de Richard Wagner (1813-1883).
En langue allemande sous-titrée en espagnol et en anglais.
Durée : 4 h 30 avec deux entractes.
Josep Pons, direction musicale.
Alex Ollé (La Fura dels Baus), mise en scène.
Alfons Flores, scénographie.
Jeudi 7, dimanche 10, mardi 12, vendredi 15 décembre 2017 à 19 h.
Gran Teatre del Liceu.
51-59 La Rambla, 08002 Barcelona.
>> liceubarcelona.cat
"Tristan und Isolde" (1865).
Drame musical en trois actes.
Livret et musique de Richard Wagner (1813-1883).
En langue allemande sous-titrée en espagnol et en anglais.
Durée : 4 h 30 avec deux entractes.
Josep Pons, direction musicale.
Alex Ollé (La Fura dels Baus), mise en scène.
Alfons Flores, scénographie.
© A. Bofill.
Josep Abril, costumes.
Urs Schönebaum, lumières.
Franc Aleu,vidéo.
Stefan Vinke, Tristan.
Albert Dohmen, Marke.
Irène Theorin, Isolde.
Greer Grimsley, Kurwenal.
Francisco Vas, Melot.
Sarah Connolly, Brangäne.
Jorge Rodriguez Norton, Un Berger, Un Marin.
Orchestre Symphonique et Chœurs du Grand Théâtre du Liceu.
Conxita Garcia, Chef des chœurs.
Urs Schönebaum, lumières.
Franc Aleu,vidéo.
Stefan Vinke, Tristan.
Albert Dohmen, Marke.
Irène Theorin, Isolde.
Greer Grimsley, Kurwenal.
Francisco Vas, Melot.
Sarah Connolly, Brangäne.
Jorge Rodriguez Norton, Un Berger, Un Marin.
Orchestre Symphonique et Chœurs du Grand Théâtre du Liceu.
Conxita Garcia, Chef des chœurs.