Bruno Messina © B. Moussier.
C'est la 24e édition du Festival Berlioz dans sa formule actuelle mais la manifestation est riche d'une très longue histoire que son actuel directeur, Bruno Messina, qualifie d'"originale". Toute passion étant contagieuse, c'était une évidence de rencontrer cet érudit enthousiaste, un des meilleurs spécialistes actuels de Hector Berlioz, afin qu'il nous la retrace. En 2018, les éditions Actes Sud publieront deux ouvrages sur le compositeur signés par ce musicien (il est trompettiste) et chercheur en ethnomusicologie doté de beaucoup d'humour. En témoigne l'affiche de l'édition 2017 inspirée des punks Sex Pistols !
Christine Ducq - Pouvez-vous nous retracer l'histoire du festival ?
Bruno Messina - Tout commence avec Hector Berlioz lui-même qui est le concepteur de la notion de festival telle qu'on la connaît aujourd'hui. Il est le premier à avoir l'idée d'un événement organisé sur plusieurs jours, un grand moment créé autour d'une personnalité ou d'une question musicale. Or, à l'époque, on se moque de lui, on le dit délirant et mégalomaniaque. Une fois de plus, c'est lui qui avait raison car d'autres vont bien comprendre ce qu'il veut dire. Notamment son cadet, Richard Wagner, qui va d'ailleurs travailler avec Hector Berlioz et fortement s'en inspirer. Ce qu'on ne nous dit jamais dans nos conservatoires : c'est une injustice de plus contre notre compositeur ! Bref, Wagner aura l'idée de ce merveilleux Festival de Bayreuth grâce à l'intuition de Berlioz.
Christine Ducq - Pouvez-vous nous retracer l'histoire du festival ?
Bruno Messina - Tout commence avec Hector Berlioz lui-même qui est le concepteur de la notion de festival telle qu'on la connaît aujourd'hui. Il est le premier à avoir l'idée d'un événement organisé sur plusieurs jours, un grand moment créé autour d'une personnalité ou d'une question musicale. Or, à l'époque, on se moque de lui, on le dit délirant et mégalomaniaque. Une fois de plus, c'est lui qui avait raison car d'autres vont bien comprendre ce qu'il veut dire. Notamment son cadet, Richard Wagner, qui va d'ailleurs travailler avec Hector Berlioz et fortement s'en inspirer. Ce qu'on ne nous dit jamais dans nos conservatoires : c'est une injustice de plus contre notre compositeur ! Bref, Wagner aura l'idée de ce merveilleux Festival de Bayreuth grâce à l'intuition de Berlioz.
Le Concert Shakespearien © B. Moussier.
Mais Berlioz n'a jamais connu son Louis II (1), n'est-ce pas ?
Bruno Messina - Non. Hector Berlioz s'est toujours trompé avec les politiques. Désespérément à la recherche de soutiens, il aurait bien aimé que Napoléon III soit son Louis II. Mais ce ne sera pas. Dès sa disparition en 1869, les Grenoblois lui rendent hommage dans un festival tel qu'il l'a imaginé. À La Côte-Saint-André, à la fin du XIXe siècle, sont organisés quelques rendez-vous "festivalesques" (l'adjectif créé par Berlioz est entré grâce à lui dans le Littré).
Au XXe siècle, les années trente sont l'occasion de concerts réguliers donnés sous la Halle (2). Édouard Herriot, président du Conseil et maire de Lyon, y fait donner "La Damnation de Faust". Paul Claudel, qui est présent, raconte cet événement dans des pages magnifiques.
Plus tard, dans les années cinquante, un jeune sénateur de la région fou de Berlioz, Jean Boyer, va lancer un festival annuel. D'abord amateur et doté de peu de moyens, le festival prend de l'ampleur quand Jean Boyer réussit à signer un accord avec la ville de Lyon et son Opéra. Le Festival Berlioz sera désormais lyonnais (dans les années soixante) et sa formule se pérennise. Dans le contrat qu'a passé Jean Boyer, quelques concerts doivent être cependant données à La Côte-Saint-André. Dans les années quatre-vingt, le chef Serge Baudo en fait un festival de premier plan.
Avec Bernard Têtu, le chef des chœurs de l'Opéra de Lyon, il montera de grandes œuvres tels "Les Troyens". L'aventure lyonnaise s'arrête après une décade grandiose pour de complexes raisons politiques, mais notre sénateur ne renonce pas. Il parvient dans les années quatre-vingt dix, avec la passion qui l'anime, à recréer le festival grâce au soutien du département de l'Isère et ce, dans la ville natale de Berlioz. Nous vivons cette année la 24e édition de cet ultime avatar du festival, qui n'a pas cessé de monter en puissance depuis.
Bruno Messina - Non. Hector Berlioz s'est toujours trompé avec les politiques. Désespérément à la recherche de soutiens, il aurait bien aimé que Napoléon III soit son Louis II. Mais ce ne sera pas. Dès sa disparition en 1869, les Grenoblois lui rendent hommage dans un festival tel qu'il l'a imaginé. À La Côte-Saint-André, à la fin du XIXe siècle, sont organisés quelques rendez-vous "festivalesques" (l'adjectif créé par Berlioz est entré grâce à lui dans le Littré).
Au XXe siècle, les années trente sont l'occasion de concerts réguliers donnés sous la Halle (2). Édouard Herriot, président du Conseil et maire de Lyon, y fait donner "La Damnation de Faust". Paul Claudel, qui est présent, raconte cet événement dans des pages magnifiques.
Plus tard, dans les années cinquante, un jeune sénateur de la région fou de Berlioz, Jean Boyer, va lancer un festival annuel. D'abord amateur et doté de peu de moyens, le festival prend de l'ampleur quand Jean Boyer réussit à signer un accord avec la ville de Lyon et son Opéra. Le Festival Berlioz sera désormais lyonnais (dans les années soixante) et sa formule se pérennise. Dans le contrat qu'a passé Jean Boyer, quelques concerts doivent être cependant données à La Côte-Saint-André. Dans les années quatre-vingt, le chef Serge Baudo en fait un festival de premier plan.
Avec Bernard Têtu, le chef des chœurs de l'Opéra de Lyon, il montera de grandes œuvres tels "Les Troyens". L'aventure lyonnaise s'arrête après une décade grandiose pour de complexes raisons politiques, mais notre sénateur ne renonce pas. Il parvient dans les années quatre-vingt dix, avec la passion qui l'anime, à recréer le festival grâce au soutien du département de l'Isère et ce, dans la ville natale de Berlioz. Nous vivons cette année la 24e édition de cet ultime avatar du festival, qui n'a pas cessé de monter en puissance depuis.
Orchestre Les Siècles, François-Xavier Roth © B. Moussier.
Votre arrivée en 2009 a-t-elle tout changé ? C'est ce qu'affirme Sir John Eliot Gardiner dans une interview récente.
Bruno Messina - Ce que j'ai apporté, c'est une idée musicale et éditoriale précise avec mon bagage de musicien, de professeur de conservatoire à Paris et mon expérience de direction d'une scène conventionnée en région parisienne (La Maison de la Musique à Nanterre, NDLR). J'ai apporté un vrai projet avec une ligne forte, esthétique et artistique. Ethnomusicologue, j'ai la volonté de mettre au cœur de ce projet la dimension anthropologique et sociale de l'œuvre de Berlioz et de son histoire, afin que le festival ait tout son sens. La programmation en est très construite, très pensée.
Aujourd'hui le public est toujours plus nombreux pour une manifestation qui est de plus en plus longue (plus de deux semaines en 2017, NDLR) grâce à un budget en augmentation ; nous recevons de plus en plus de grands orchestres, de plus en plus de grands chefs et d'artistes. Nous sommes très heureux car le "plus plus" est très berliozien !
Le fil conducteur de cette édition est la relation de Berlioz avec l'Angleterre et ses voyages à Londres, n'est-ce pas ?
Bruno Messina - Oui, nous nous intéressons aux cinq séjours que Berlioz a effectués au Royaume-Uni, les relations particulières qu'il a entretenues avec sa musique, ses compositeurs, sa culture et spécifiquement avec Shakespeare. Et cela en lien avec le Musée Berlioz pour la première fois. Pour l'aspect festif, j'ai voulu particulièrement mettre en lumière sa participation à l'Exposition Universelle de 1851 au Crystal Palace. Il y découvre (bien avant Debussy en 1889) les musiques extra-européennes, indienne et chinoise notamment. Personne avant lui (à part Rousseau peut-être) ne l'avait fait. Deux concerts vont retracer cette histoire avec l'ensemble Le Baroque Nomade, le 24, et sous la direction de son fondateur François-Xavier Roth, l'orchestre Les Siècles, le 25 août.
Bruno Messina - Ce que j'ai apporté, c'est une idée musicale et éditoriale précise avec mon bagage de musicien, de professeur de conservatoire à Paris et mon expérience de direction d'une scène conventionnée en région parisienne (La Maison de la Musique à Nanterre, NDLR). J'ai apporté un vrai projet avec une ligne forte, esthétique et artistique. Ethnomusicologue, j'ai la volonté de mettre au cœur de ce projet la dimension anthropologique et sociale de l'œuvre de Berlioz et de son histoire, afin que le festival ait tout son sens. La programmation en est très construite, très pensée.
Aujourd'hui le public est toujours plus nombreux pour une manifestation qui est de plus en plus longue (plus de deux semaines en 2017, NDLR) grâce à un budget en augmentation ; nous recevons de plus en plus de grands orchestres, de plus en plus de grands chefs et d'artistes. Nous sommes très heureux car le "plus plus" est très berliozien !
Le fil conducteur de cette édition est la relation de Berlioz avec l'Angleterre et ses voyages à Londres, n'est-ce pas ?
Bruno Messina - Oui, nous nous intéressons aux cinq séjours que Berlioz a effectués au Royaume-Uni, les relations particulières qu'il a entretenues avec sa musique, ses compositeurs, sa culture et spécifiquement avec Shakespeare. Et cela en lien avec le Musée Berlioz pour la première fois. Pour l'aspect festif, j'ai voulu particulièrement mettre en lumière sa participation à l'Exposition Universelle de 1851 au Crystal Palace. Il y découvre (bien avant Debussy en 1889) les musiques extra-européennes, indienne et chinoise notamment. Personne avant lui (à part Rousseau peut-être) ne l'avait fait. Deux concerts vont retracer cette histoire avec l'ensemble Le Baroque Nomade, le 24, et sous la direction de son fondateur François-Xavier Roth, l'orchestre Les Siècles, le 25 août.
The King's Consort © B. Moussier.
Ces cinq séjours ne sont-ils pas aussi l'occasion pour Berlioz de rechercher les soutiens qu'il ne trouve pas en France ?
Bruno Messina - Tout à fait. Mais on peut s'interroger sur le fait que son premier voyage en Angleterre arrive si tard dans sa vie (en 1847, NDLR). Il a la quarantaine bien sonnée alors que sa proximité avec le monde britannique est ancienne. Vingt ans plus tôt, il a découvert émerveillé le "Hamlet" de Shakespeare au Théâtre de l'Odéon et il a épousé l'interprète d'Ophélie, Harriet Smithson à l'Ambassade d'Angleterre à Paris ! S'il a tant attendu, c'est qu'il désirait être d'abord reconnu en France et être aimé du public français. L'Angleterre est sa dernière carte et je pense que l'échec de "La Damnation de Faust" à l'Opéra Comique scelle son départ. Il sera fêté là-bas comme chef d'orchestre - Berlioz est un de plus grands chefs de son temps - et comme compositeur.
Justement, le festival a invité de grands chefs anglais pour cette édition, n'est-ce pas ?
Bruno Messina - De grands chefs berlioziens tels Sir John Eliot Gardiner et Sir Roger Norrington ; ce dernier a été un des premiers à le jouer sur instruments d'époque. Paul Daniel va diriger l'Orchestre National de Lyon et Douglas Boyd à la tête de l'Orchestre de Chambre de Paris va pouvoir démontrer que Berlioz n'est pas seulement le démiurge, l'architecte de grandes formes, mais aussi un artisan dentellier. Le festival a fait transcrire les neuf mélodies du recueil "Irlande" pour un orchestre de chambre à leur intention. D'autres sont attendus tels Gerry Cornelius et Nicholas Collon.
Par ailleurs, avec François-Xavier Roth, nous sommes fiers de notre projet d'orchestre-académie, le Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz. Encadré par des musiciens des Siècles et sur instruments d'époque, il donne ce soir (le 19 août, ndlr) un Concert Shakespearien tel que l'a rêvé le compositeur (3).
Berlioz pensait être compris après sa mort, il avait raison. Le public nous montre chaque année qu'il est de mieux en mieux compris et c'est ma fierté.
(1) Louis II de Bavière finança les projets de Wagner, tel Bayreuth.
(2) La Halle, datant du Moyen-Age, est classée.
(3) Recension des premiers concerts du festival dans un prochain article.
Bruno Messina - Tout à fait. Mais on peut s'interroger sur le fait que son premier voyage en Angleterre arrive si tard dans sa vie (en 1847, NDLR). Il a la quarantaine bien sonnée alors que sa proximité avec le monde britannique est ancienne. Vingt ans plus tôt, il a découvert émerveillé le "Hamlet" de Shakespeare au Théâtre de l'Odéon et il a épousé l'interprète d'Ophélie, Harriet Smithson à l'Ambassade d'Angleterre à Paris ! S'il a tant attendu, c'est qu'il désirait être d'abord reconnu en France et être aimé du public français. L'Angleterre est sa dernière carte et je pense que l'échec de "La Damnation de Faust" à l'Opéra Comique scelle son départ. Il sera fêté là-bas comme chef d'orchestre - Berlioz est un de plus grands chefs de son temps - et comme compositeur.
Justement, le festival a invité de grands chefs anglais pour cette édition, n'est-ce pas ?
Bruno Messina - De grands chefs berlioziens tels Sir John Eliot Gardiner et Sir Roger Norrington ; ce dernier a été un des premiers à le jouer sur instruments d'époque. Paul Daniel va diriger l'Orchestre National de Lyon et Douglas Boyd à la tête de l'Orchestre de Chambre de Paris va pouvoir démontrer que Berlioz n'est pas seulement le démiurge, l'architecte de grandes formes, mais aussi un artisan dentellier. Le festival a fait transcrire les neuf mélodies du recueil "Irlande" pour un orchestre de chambre à leur intention. D'autres sont attendus tels Gerry Cornelius et Nicholas Collon.
Par ailleurs, avec François-Xavier Roth, nous sommes fiers de notre projet d'orchestre-académie, le Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz. Encadré par des musiciens des Siècles et sur instruments d'époque, il donne ce soir (le 19 août, ndlr) un Concert Shakespearien tel que l'a rêvé le compositeur (3).
Berlioz pensait être compris après sa mort, il avait raison. Le public nous montre chaque année qu'il est de mieux en mieux compris et c'est ma fierté.
(1) Louis II de Bavière finança les projets de Wagner, tel Bayreuth.
(2) La Halle, datant du Moyen-Age, est classée.
(3) Recension des premiers concerts du festival dans un prochain article.
Festival Berlioz
Du 18 août au 3 septembre 2017.
Programme complet et réservations :
AIDA, 38, place de la Halle, La Côte-Saint-André (38).
Tel : 04 74 20 20 79.
>> festivalberlioz.com
Exposition "Berlioz à Londres" du 10 juin au 30 septembre 2017.
Musée Berlioz.
69, rue de la République, La Côte-Saint-André (38).
Entrée gratuite.
>> musee-hector-berlioz.fr
Du 18 août au 3 septembre 2017.
Programme complet et réservations :
AIDA, 38, place de la Halle, La Côte-Saint-André (38).
Tel : 04 74 20 20 79.
>> festivalberlioz.com
Exposition "Berlioz à Londres" du 10 juin au 30 septembre 2017.
Musée Berlioz.
69, rue de la République, La Côte-Saint-André (38).
Entrée gratuite.
>> musee-hector-berlioz.fr