Lyrique

Sébastien Guèze, ténor de haut niveau

Alors qu'il s'apprête à confirmer la réussite de sa nouvelle prise de rôle avec un Werther charismatique et bouleversant à l'Opéra de Massy, après Metz et avant Reims, le jeune ténor Sébastien Guèze a bien voulu répondre à nos questions.



© Arnaud Hussenot - Metz Métropole.
Le ténor ardéchois - comme il aime à le rappeler lui-même - est un chanteur au charisme et au charme vocal évidents, que de nombreuses scènes internationales s'arrachent. Il semblerait bien que l'année 2017 lui permette d'accéder enfin à la vraie reconnaissance qu'il mérite en France. Sa prise de rôle du fameux héros romantique de Massenet dans la production de Paul-Émile Fourny à Metz, retransmise il y a peu sur la chaîne Culturebox (1), pourrait bien constituer une étape importante dans sa belle carrière en lui offrant une place sur le podium des plus grands Werther.

Avec son timbre éclatant, sa fougue, ses fêlures exquises et son incarnation fiévreuse, son Werther a d'ores et déjà marqué les esprits. Un excellent Werther français ? Voilà un événement très attendu. Et pour qui suit l'ascension du chanteur, dont le cœur de répertoire (français et italien) se situe entre romantisme et vérisme, l'ajouter à ses rôles-phares (Faust, Rodolfo, Roméo, Pinkerton, Nemorino et autres Duca, Alfredo, Hoffmann ou Des Grieux) relevait de l'évidence. C'est avec son habituelle et généreuse simplicité que celui qui se conçoit en ténor (et donc en vrai sportif de haut niveau) a répondu à nos questions.

Christine Ducq - Qu'est-ce qu'un ténor ardéchois ?

Sébastien Guèze - (rires) C'est un ténor qui n'a rien de spécial mais l'expression en signale les origines. J'ai grandi en Ardèche ; au lieu de dire "ténor français", je précise l'AOC ! L'Ardèche est le territoire de l'enfance qui a nourri mon imaginaire. Dans mes interprétations, j'essaie d'avoir une identité propre, d'avoir une forme de sincérité dans mon travail - qu'on aime ou pas d'ailleurs - grâce à cet imaginaire. Les longues promenades d'autrefois, dans les rochers des montagnes, dans les forêts où on se crée des histoires, me permettent aujourd'hui de m'évader facilement sur scène en incarnant mes personnages.

© Arnaud Hussenot - Metz Métropole.
Vous avez une riche carrière internationale et on commence à vous entendre davantage au nord de la Loire. Pourquoi le succès est-il d'abord venu de l'étranger, l'Allemagne, le Mexique par exemple ?

Sébastien Guèze - Je chante beaucoup en Europe, régulièrement aux États-Unis, parfois en Russie, au Brésil et en Asie. C'est vrai que j'ai d'abord chanté dans le sud de la France, peut-être parce que j'ai fait mes études à Nîmes et à Montpellier. Les opéras de Marseille, Toulon et Avignon m'ont donné ma chance.

Plus largement, j'ai l'impression qu'en France comme à l'étranger une distribution internationale semble plus attractive sur le papier. Le charme français opère très bien ailleurs aussi, et j'en bénéficie. Il faut trouver un juste équilibre et cela se justifie pour les premiers rôles afin de donner un panorama du monde lyrique au public. Les seconds rôles permettent plutôt de donner une chance à nos voix. Ce qui compte, selon moi, c'est ce qu'un artiste va dégager sur scène, non son CV ou sa nationalité ; qu'il soit à l'écoute de ses collègues sur scène pour obtenir la meilleure alchimie et puis brûler les planches pour saisir le public.

Êtes-vous content de votre saison ?

Sébastien Guèze - J'ai eu de très beaux rôles. J'ai chanté dans "Les Contes d'Hoffmann" au Grand Théâtre d'Essen (une très belle salle avec une des meilleures acoustiques au monde). Hoffmann, pour un ténor, demeure une aventure colossale ! J'ai aussi beaucoup apprécié de reprendre mon Rodolfo au Grand Théâtre de Genève, peut-être ma dixième production dans ce rôle ! Je ne me lasse pas d'improviser et de me réinventer dans ce rôle.

En ce moment, c'est ma prise de rôle de Werther, qui suscite à ma grande surprise de nombreuses réactions et, m'a-t-on dit, un bel engouement du public (j'en suis ravi !), avant de retourner aux USA pour Cyrano - à l'Opéra de Détroit. J'alterne prises de rôle et mes rôles de signature : que demander de plus ? Je me sens très épanoui dans ma carrière.

© Arnaud Hussenot - Metz Métropole.
Werther, un rôle souvent décrit comme périlleux. Vous confirmez ?

Sébastien Guèze - Oui, mais connaissez-vous des rôles non périlleux ? (rires). Werther est en effet un rôle délicat. Je ne vous cache pas que j'avais d'énormes appréhensions avant la première. Tout rôle nécessite une maturité pour atteindre la plénitude. J'ai d'ailleurs déjà hâte de le reprendre à Massy car j'ai beaucoup de nouvelles idées. Une première c'est beaucoup de joie et de frustration en même temps, un peu comme pour un grand match de football ou une finale sportive. On vibre, on a envie de rejouer certaines actions !

On est évidemment loin des conditions d'enregistrement d'un disque où on peut faire trente reprises pour obtenir l'aigu parfait. C'est autre chose. Le public vient pour voir nos propositions d'interprète et pour se laisser emmener et frémir en notre compagnie.

Savoir mon premier "Werther" capté et retransmis en direct sur internet (2) a décuplé mon stress, mais il y a aussi ce charme de partager un moment avec le public aux quatre coins du monde le temps d'un opéra. C'est la beauté de l'art – comme du sport - de faire vibrer les cœurs et d'émanciper les âmes.

Quelle est votre vision du personnage ?

Sébastien Guèze - La partition aide beaucoup, tout est indiqué. Massenet note tout, jusqu'aux plus infimes nuances. Pour la dramaturgie le metteur en scène Paul-Émile Fourny a créé un cadre élégant et original tout en me laissant très libre pour garder spontanéité et fraîcheur chaque soir. Du coup, j'ai du mal à en parler, comme si un autre s'était entièrement donné sur scène. Quand le rideau tombe, je reprends de la distance avec le personnage. Au lever de rideau, je me dis au contraire que je dois me laisser porter pendant deux heures par lui, par la musique et par l'histoire.

Sans aucun jugement, car Werther est un personnage mélancolique - ce qui est très éloigné de mon caractère. Mais durant le spectacle j'accepte totalement de me glisser dans ses habits, dans sa fièvre et sa passion. Je ne le juge pas. Je le laisse piloter. En regardant des extraits de la captation de l‘opéra, j'ai eu du mal à revoir certaines scènes tragiques. Je me souviens naturellement que je suis allé très loin dans certaines phrases mais je suis très troublé, je me vois sans me reconnaître. Il est de toute façon difficile de transmettre une émotion si on ne la ressent pas, parfois on se brûle un peu. Mais se laisser habiter profondément par Werther est inévitable… peut-être pas jusqu'au suicide quand même… (rires). Il faut trouver la limite, jouer entre abandon et sécurité. La clé est de prendre des risques contrôlés.

© Arnaud Hussenot - Metz Métropole.
Quelle a été la nature de votre travail avec le chef ?

Sébastien Guèze - J'ai trouvé des couleurs dans la continuité de ce que proposait l'orchestre. David (T. Heusel, Ndlr) est quelqu'un de très calme et attentif. Je suis venu avec ma vision du personnage et nous avons été d'accord très vite. Je sentais que cette musique permettait d'aller très loin dans les nuances - comme rarement on le peut à l'opéra. Massenet a parfois indiqué des doubles ou triples pianos : il faut susurrer certains mots, qui ne sont audibles que dans un théâtre absolument silencieux. Avec David, nous avions à cœur de respecter cela. Le contraste avec le déchaînement orchestral n'en est que plus saisissant.

Comment gérez-vous la pression dans ces grands rendez-vous que sont les premières, a fortiori quand il s'agit de prises de rôles ?

Sébastien Guèze - J'échange beaucoup depuis plusieurs années avec Thomas Sammut (3), qui prépare nos champions olympiques de natation et qui est devenu un ami. Un chanteur d'opéra vit une expérience très similaire de celle des sportifs de haut niveau. Nous sommes soumis à de grandes pressions, à de vrais enjeux et confrontés à notre solitude lors de grands rendez-vous, où le public a d'énormes attentes et où on vous attend au tournant. D'autant plus que la voix de ténor (comme celle de soprano) suscite beaucoup de passion et de controverses - beaucoup plus que les autres voix.

Après ce n'est que de l'opéra mais cela m'a tout de même permis d'affiner ma réflexion d'artiste : pourquoi monter sur scène ? Pourquoi courir après la médaille d'or, la perfection ? Le fait-on pour soi, pour les autres ? Pourquoi vouloir transcender l'instant présent ? Voilà des problématiques passionnantes que nous affrontons également, sportifs et artistes.

Autrefois, j'avais en tête (surtout pour les prises de rôles) toutes les références écrasantes de ceux qui m'avaient précédé, et l'envie de bien faire. C'était contre-productif, d'autant plus que nous avons en tête des performances qui représentent l'aboutissement d'une carrière entière, sur scène ou au disque - rarement leurs débuts. Je me suis donc peu à peu déculpabilisé, puis détaché de cela en réalisant que rentrer dans des cadres attendus, lisser mes intentions pour plaire au plus grand nombre était sans intérêt ! En n'étant plus moi-même, je courais le risque de perdre ma vérité artistique.

L'important pour moi, aujourd'hui, c'est d'être intègre et d'exprimer mon art comme je l'entends, pour être heureux dans ce que je fais, et continuer à grandir en tant qu'artiste.

(1) "Werther" de Jules Massenet, dans cette production de Paul-Émile Fourny, sera diffusé sur France 3 dans quelques mois.
(2) La retransmission de la première à l'Opéra de Metz est disponible plusieurs mois sur la chaîne Culturebox.
(3) Thomas Sammut est préparateur mental et coach sportif, en particulier pour le Cercle des Nageurs de Marseille et de l’Équipe de France de natation.


"Werther" en tournée
24 et 26 février 2017 à l'Opéra de Massy (91).
>> opera-massy.com
19 et 21 mars 2017 à l'Opéra de Reims (51).
>> ooperadereims.com
Plus d'informations :
>> sebastiengueze.com

Christine Ducq
Lundi 20 Février 2017
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