Théâtre

"Sans tambour"… ni trompette mais avec poésie et élégance !

Dans une belle mise en scène de Samuel Achache, l'absurde fait quelques irruptions en compagnie de chants lyriques. Violoncelle, clarinette, saxophone et accordéon accompagnent le jeu autant théâtral que mimique avec des morceaux des lieder de Schubert.



© Christophe Raynaud de Lage.
Lumières encore allumées dans la salle, ils s'avancent vers la scène, sortant presque du public et s'installent, pour les musiciens, sur un banc côté jardin. Les autres interprètes vont à différents endroits de la scénographie où se découvre un piano, fabriqué comme un accessoire théâtral, suspendu dans les airs en dessous du 1er étage où il y a une longue pièce avec une fenêtre, un bureau, une douche et son rideau rond. Sur le plateau, au rez-de-chaussée, Léo-Antonin Lutinier s'avance devant un pupitre pour y placer un 45 tours. Et là, tout démarre. Musique et mime s'enchaînent pour faire amorcer au spectacle une allure des plus comiques avec des musiciens parties prenantes de ce premier tableau théâtral où les attitudes et la gestuelle en sont les arguments.

Les mouvements du comédien, aussi variés que celui d'un retour arrière au ralenti et de redites corporelles, alimentent une situation où l'interprète est dans une séquence de mime. Autre moment et autre lieu avec un mur qui s'écroule et d'autres qui sont démolis dans une cuisine. Le théâtre avec ses répliques et ses dialogues entre en scène. Une discussion sans relief, mais jouée avec beaucoup de nuances entre Lionel Dray et Sarah Le Picard, prend peu à peu du volume et de l'ampleur. De propos quotidiens, cela bascule dans un comique de situation autour d'une incompréhension dans le couple sur un sujet des plus anodins.

© Christophe Raynaud de Lage.
Dispute, escalade de mots et de tonalité pour finir par un acte d'amour, tout sauf platonique, des plus intenses où les ébats sont accompagnés par les vocalises des musiciens tel un canon. La situation devient humoristique autant dans ses ruptures de jeu que dans son côté décalé. Décalée est aussi cette approche initiée dès le départ du spectacle où, dans une même scène, ce sont quatre directions qui sont proposées au spectateur, à savoir celle de la musique, du chant, du mime et du théâtre. Chacune apporte sa touche complémentaire aux autres. Comme des vases communicants, ces quatre axes déversent, à tour de rôle et souvent ensemble, tout un univers artistique pour faire éclore d'un tableau, une vaste gamme d'émotions, d'attitudes et de gestiques.

Ce qui fait action a toujours pour caisse de résonance une voix d'opéra ou une note, un accord ou un souffle. On mime, on s'émeut, on parle, on s'engueule, on fait l'amour et on se jette par la fenêtre. Les murs qui s'écroulent incarnent physiquement ce qui est montré symboliquement. Qu'est-ce qui reste quand tout s'écroule ? Ici, sur les planches, ce sont des notes, des coups de gueule ou des chants qui créent tout un univers de chutes et de rebonds autour de débris.

© Christophe Raynaud de Lage.
Les textes poétiques, la musique romantique allemande de Schubert (1797-1828) et l'expression autant corporelle que verbale se mêlent, s'allient, font cause commune. Nous sommes dans une création où l'absurde et le chant se donnent la repartie, où l'émotion s'exprime autant dans le geste que dans l'attitude. Où le mythe littéraire, celui de Tristan et Yseult (XII-XIIIe siècle), s'allie à une modernité d'époque, la nôtre, dans une querelle sans relief autour d'un lavabo et d'un siphon bouché. Mais ainsi font les grandes histoires avec un rien créatif qui donne du souffle, un rythme à chaque instant de ce qui se joue sur les planches. Des cloisons s'écroulent, un homme tombe d'un étage, ruptures scénographiques à l'image de celles, dramaturgiques, qui ponctuent le spectacle et qui donnent une véritable dynamique de jeu.

La création est composée, à dessein, d'aucune linéarité et suit une trajectoire autant romantique, grâce aux compositions de Schubert et au choix des textes poétiques, que comique. Tout s'écroule et tout renaît. Tout est rupture et tout est continuité. Tout est émotion et tout est humour. Tout est tragique et tout est poétique. Cela oscille entre ces différents pôles tout en gardant une certaine saveur et subtilité dans la trame dramaturgique. Soit ce sont des gestiques qui dessinent la dramaturgie, soit un chant lyrique qui nous berce différents tableaux de sa tessiture, soit ce sont des instruments à vent et à cordes qui donnent une assise autant romantique que comique à la représentation.

© Christophe Raynaud de Lage.
Le spectacle est ainsi à plusieurs entrées. Est-ce du théâtre, du mime, de l'opéra ? Le tout à la fois. L'un acteur devient chanteur, l'une chanteuse devient actrice quand le suivant fait de l'humour dans une pièce où le tragique est à chaque intersection. C'est un mariage à différents niveaux, autant dans les sonorités que dans la gestuelle. De la voix, elle devient multiple, forte, basse, soufflée ou soprano. Ainsi, plusieurs niveaux de jeu s'enchaînent. Comme ces différents tableaux qui, dans un même récit et fil narratif, arrivent à mêler lyrisme et disputes, opéra et engueulade, poésie et dramaturgie quotidienne.

En plus de la musique, qui est caisse de résonance, ce sont aussi des appuis vocaux qui viennent se mêler aux dialogues. Le lyrisme d'Agathe Peyrat vient accompagner les attitudes de Léo-Antonin Lutinier à certains moments, leur donnant ainsi une assise, différente, incarnée et intensifiée. Cela donne ainsi du tragique dans certaines scènes, contrebalançant alors l'humour et la légèreté dans d'autres. Il y a aussi un côté espiègle dans le jeu, presque d'amusement, faisant de cette création un écheveau subtil d'oppositions qui se nourrissent les unes aux autres. Un véritable régal.

"Sans tambour"

Mise en scène : Samuel Achache.
Écrit par et avec Gulrim Choï, Lionel Dray, Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert, Sébastien Innocenti, Sarah Le Picard, Léo-Antonin Lutinier, Agathe Peyrat, Eve Risser.
Direction musicale : Florent Hubert.
Arrangements collectifs à partir de lieder de Schumann tirés de "Liederkreis op.39", "Frauenliebe und Leben op.42", "Myrthen op. 25", "Dichterliebe op.48", "Liederkreis op.24"
Compositions : Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert et Eve Risser.
Scénographie : Lisa Navarro.
Costumes : Pauline Kieffer.
Lumières : César Godefroy.
Collaboration à la dramaturgie : Sarah Le Picard, Lucile Rose.
Assistante costumes et accessoires : Kikita Simoni.
Régisseur général et plateau : Serge Ugolini.
Régisseuse plateau : Sarah Jacquemot-Fiumani.
Régisseur Lumières : Maël Fabre.
Production : Centre International de Créations Théâtrales/Théâtre des Bouffes du Nord et La Sourde.
Durée : 1 h 40.

© Christophe Raynaud de Lage.
Du 22 février au 5 mars 2023.
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 16 h.
Théâtre des Bouffes du Nord, Paris 10e, 01 46 07 34 50.
>> bouffesdunord.com

Tournée
8 et 9 mars 2023 : Théâtre de Lorient, Centre dramatique national, Lorient (56).
16 et 17 mars 2023 : Théâtres de la Ville de Luxembourg, Luxembourg.
28 et 29 mars 2023 : Grand R, Scène nationale de La Roche-sur-Yon (85).
12 et 13 avril 2023 : Théâtre de Caen, Caen (14).

Safidin Alouache
Mardi 28 Février 2023
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