© Clémence Poujol.
Si dans "La Chambre Claire", Roland Barthes s'interroge sur la spécificité de la photographie identifiée à un mode de représentation "objectif", le dispositif immaculé choisi ici par le metteur en scène immerge dans une subjectivité assumée, la sienne. Passionné par l'œuvre de Marguerite Duras, il se propose, en quatre parties reliées par le fil rouge d'un inconscient omniprésent, de pénétrer comme par effraction à l'intérieur de ce monument pour en faire vibrer les résonances.
Des quatre parties du projet ("Roma", "Je dis Elle", "Ravissement à S.Thala", "Son Nom de Venise dans Calcutta désert"), nous verrons ce soir la deuxième et quatrième, soit les deux tiers en temps, ceci étant une étape de travail - déjà fort aboutie - avant la création prévue en 2023. Le comédien et les comédiennes conviés au plateau ont ceci de particulier que, tant leur "inquiétante étrangeté" est grande, ils pourraient être sortis tout droit d'une page de "Cet-amour-là" de Yann Andréa, d'"Écrire", du "Vice-consul", de "Lol V Stein" ou encore d'un plan-séquence d'"India Song" de Marguerite Duras.
Tout commence par une plongée dans l'univers quotidien de M. D. aux Roches Noires où, autour de verres de vin (un rituel), les deux noms de plume (Marguerite Duras et Yann Andréa) s'adonnent à leur jeu favori. Dire et redire la solitude essentielle, les digressions autour de l'écriture, "cette sauvagerie d'avant la vie", et leur amour, lui, à ne surtout pas se dire.
Des quatre parties du projet ("Roma", "Je dis Elle", "Ravissement à S.Thala", "Son Nom de Venise dans Calcutta désert"), nous verrons ce soir la deuxième et quatrième, soit les deux tiers en temps, ceci étant une étape de travail - déjà fort aboutie - avant la création prévue en 2023. Le comédien et les comédiennes conviés au plateau ont ceci de particulier que, tant leur "inquiétante étrangeté" est grande, ils pourraient être sortis tout droit d'une page de "Cet-amour-là" de Yann Andréa, d'"Écrire", du "Vice-consul", de "Lol V Stein" ou encore d'un plan-séquence d'"India Song" de Marguerite Duras.
Tout commence par une plongée dans l'univers quotidien de M. D. aux Roches Noires où, autour de verres de vin (un rituel), les deux noms de plume (Marguerite Duras et Yann Andréa) s'adonnent à leur jeu favori. Dire et redire la solitude essentielle, les digressions autour de l'écriture, "cette sauvagerie d'avant la vie", et leur amour, lui, à ne surtout pas se dire.
© Clémence Poujol.
Yacine Sif El Islam (l'acteur), dont le prénom partage avec Yann Andréa la même initiale, délivre dans son corps-à-corps avec le texte "la vérité" de cette relation torturée liant deux êtres autour de leur passion commune, l'écriture. Lui, son secrétaire entièrement soumis à la lutte menée avec les mots qui se bousculent, qui la bouscule, amant aimant jusqu'à la déchirure. Elle, les soixantaines rugissantes, hurlant la haine de ce jeune homme et le refus de son existence souhaitée pourtant contre vents et marées.
Leur réconciliation… une de plus, autant que de ruptures. Et cette adresse poignante de l'écrivaine (superbement, elle aussi, incarnée par Aline Le Berre et son double, Élise Servieres) : "M'aimez-vous ? Si je n'étais pas Duras, m'auriez-vous regardée ?". Notre vision alors se trouble… Par le dédoublement des actrices, se superposent M. D. et la jeune fille de quinze ans et demi que son amant chinois, sur les rivages du Mékong, venait chercher dans sa voiture d'apparat…
Après "Capri c'est fini" d'Hervé Vilard, que M. D. identifiait comme la plus belle des chansons d'amour - "Un jour cela arrivera, un jour il vous viendra le regret abominable de cela que vous qualifiez "d'invivable", c'est-à-dire de ce qui a été tenté par vous et moi pendant cet été 80 de pluie et de vent. Ça hurle que Capri, c'est fini. Que c'était la ville de notre premier amour, mais que maintenant, c'est fini. Fini." -, ce sera à lui, Yann Andréa, de crier à tue-tête : "Duras, c'est fini !"… Mais n'en finit-on jamais avec Duras ?
Leur réconciliation… une de plus, autant que de ruptures. Et cette adresse poignante de l'écrivaine (superbement, elle aussi, incarnée par Aline Le Berre et son double, Élise Servieres) : "M'aimez-vous ? Si je n'étais pas Duras, m'auriez-vous regardée ?". Notre vision alors se trouble… Par le dédoublement des actrices, se superposent M. D. et la jeune fille de quinze ans et demi que son amant chinois, sur les rivages du Mékong, venait chercher dans sa voiture d'apparat…
Après "Capri c'est fini" d'Hervé Vilard, que M. D. identifiait comme la plus belle des chansons d'amour - "Un jour cela arrivera, un jour il vous viendra le regret abominable de cela que vous qualifiez "d'invivable", c'est-à-dire de ce qui a été tenté par vous et moi pendant cet été 80 de pluie et de vent. Ça hurle que Capri, c'est fini. Que c'était la ville de notre premier amour, mais que maintenant, c'est fini. Fini." -, ce sera à lui, Yann Andréa, de crier à tue-tête : "Duras, c'est fini !"… Mais n'en finit-on jamais avec Duras ?
© Clémence Poujol.
Après les adaptations de "Cet amour-là" de Yann Andréa et d'"Écrire" de M. D., cette question obsédante, Arnaud Poujol la fait sienne, l'incorpore, en travaillant la matière du texte, théâtre, film d'"India Song" qu'il agrège aux romans "Vice-consul" et "Lol V. Stein". Et comme Marguerite Duras lorsqu'elle se prenait à raconter à Michelle Porte l'agonie de cette mouche noire et bleue qui, pour elle, était une métaphore de ce qu'est la littérature - la fascination pour l'inconnu de soi -, le metteur en scène de ses propres errances durassiennes laisse dériver son imaginaire au gré des personnages fantomatiques d'"India Song" et des autres romans du cycle indien.
Devant nous, dans un jeu de lumières rouges sculptant les corps porte-voix, deux femmes se rappellent l'histoire de Lol V. Stein, la fiancée de Michael Richardson, et celle d'Anne-Marie Stretter, l'épouse de l'Ambassadeur de France aux Indes. Leurs voix trouent l'épaisseur du temps écoulé pour transmettre jusqu'à nous la mémoire de cette longue nuit de bal à S.Thala qui, dans un fondu enchainé mythique, déboucha à l'aube sur un cri… celui du "ravissement" de la femme délaissée.
Devant nous, dans un jeu de lumières rouges sculptant les corps porte-voix, deux femmes se rappellent l'histoire de Lol V. Stein, la fiancée de Michael Richardson, et celle d'Anne-Marie Stretter, l'épouse de l'Ambassadeur de France aux Indes. Leurs voix trouent l'épaisseur du temps écoulé pour transmettre jusqu'à nous la mémoire de cette longue nuit de bal à S.Thala qui, dans un fondu enchainé mythique, déboucha à l'aube sur un cri… celui du "ravissement" de la femme délaissée.
© Clémence Poujol.
À la violence de cette nuit feutrée, se superpose une autre violence. Celle du corps souffrant éperdu de désirs fous du Vice-Consul de Lahore, en disgrâce à Calcutta pour avoir tiré sur des lépreux. Temps culminant - orgasmique - de cette rencontre à jamais impossible entre lui et son amour, la robe noire d'Anne-Marie Stretter descendant des cintres et dont le Vice-Consul de France (incarné "sauvagement" par l'acteur, splendidement mis en lumière) se saisit en hurlant à la vie, à la mort, sa passion sans espoir pour la femme de l'Ambassadeur.
Portés par les notes hypnotiques du blues d'"India Song" subtilement recomposé, stimulés par l'imaginaire en fusion du metteur en jeu provoquant notre propre fantasmagorie indienne, nous voilà immergés dans la nuit de Calcutta. Cette nuit si particulière où le Vice-Consul de France "a crié son nom de Venise dans Calcutta désert"…
Éclats d'une "œuvre monde" dont l'impact s'inscrit en lettres de feu dans notre imaginaire, les plans séquences tissent une toile sur laquelle nous projetons nos propres fantasmes. Arnaud Poujol délivre ainsi notre raison de l'injonction castratrice de comprendre, afin de susciter le désir inaliénable d'entendre - au-delà de ce qui est dit - ce qui se dit en creux. En ce sens, il capte l'esprit irriguant l'œuvre de Marguerite Duras : une sensualité hors narration, un "ravissement" des sens déliés de tout "encrage".
Vu le lundi 21 février à 18 h à L'Atelier des Marches du Bouscat (33). Deux autres représentations publiques ont eu lieu mardi 22 et mercredi 23 février 2022.
Portés par les notes hypnotiques du blues d'"India Song" subtilement recomposé, stimulés par l'imaginaire en fusion du metteur en jeu provoquant notre propre fantasmagorie indienne, nous voilà immergés dans la nuit de Calcutta. Cette nuit si particulière où le Vice-Consul de France "a crié son nom de Venise dans Calcutta désert"…
Éclats d'une "œuvre monde" dont l'impact s'inscrit en lettres de feu dans notre imaginaire, les plans séquences tissent une toile sur laquelle nous projetons nos propres fantasmes. Arnaud Poujol délivre ainsi notre raison de l'injonction castratrice de comprendre, afin de susciter le désir inaliénable d'entendre - au-delà de ce qui est dit - ce qui se dit en creux. En ce sens, il capte l'esprit irriguant l'œuvre de Marguerite Duras : une sensualité hors narration, un "ravissement" des sens déliés de tout "encrage".
Vu le lundi 21 février à 18 h à L'Atelier des Marches du Bouscat (33). Deux autres représentations publiques ont eu lieu mardi 22 et mercredi 23 février 2022.
"Rome, Venise et Calcutta désert(s)"
© Clémence Poujol.
D'après Marguerite Duras.
Mise en scène, montage des textes et adaptation : Arnaud Poujol.
Aide dramaturgique et lumières : Jean-Luc Terrade.
Avec : Aline Le Berre, Élise Servieres et Yacine Sif El Islam.
Création musicale : Benjamin Ducroq.
Création vidéo : Erwin Chamard.
Avec la complicité de Benjamin Yousfi.
Production déléguée : Les Marches de l'Été.
Compagnie monsieur Kaplan.
>> arnaudpoujol.fr/monsieur-kaplan
Mise en scène, montage des textes et adaptation : Arnaud Poujol.
Aide dramaturgique et lumières : Jean-Luc Terrade.
Avec : Aline Le Berre, Élise Servieres et Yacine Sif El Islam.
Création musicale : Benjamin Ducroq.
Création vidéo : Erwin Chamard.
Avec la complicité de Benjamin Yousfi.
Production déléguée : Les Marches de l'Été.
Compagnie monsieur Kaplan.
>> arnaudpoujol.fr/monsieur-kaplan