© Abigaïl Jacquier.
Et son fantasme s'est cristallisé devant nous en pierre philosophale où, émergeant d'une apocalypse dystopique, deux libertins roués rivalisent d'intelligence éclairée, réunis pour plusieurs représentations dans ce théâtre au nom prédestiné de Lieu Sans Nom.
Lacan énonçait qu'"il n'y a pas de rapport sexuel", à entendre que l'homme et la femme ne se rencontrent pas dans leurs jouissances respectives, et que, faute de ne pouvoir se "comprendre" - fonction dédiée au langage - ils sont condamnés physiquement à se prendre et reprendre ad vitam aeternam. Dans ce bunker "no-futur", situé mille ans après la quatrième guerre mondiale, les deux acteurs (se) jouant des quatre personnages tour à tour incarnés (quartet composé du vicomte de Valmont, de la marquise de Merteuil, de sa nièce à la virginité immaculée et de la vertueuse présidente Madame de Tourvel) vont faire éclater l'espace-temps et pulvériser les frontières du genre masculin et féminin. En nous entraînant dans un tourbillon de mots crus enchâssés dans une syntaxe de haut vol, le mécanisme troublant - exquis vouvoiement pour dire l'insolence de la rouerie libertine - du langage à l'œuvre a le pouvoir de faire vaciller le spectateur sur le versant de "l'autre scène", celui d'une parole parlant à nos inconscients bien au-delà de ce qu'elle énonce.
Lacan énonçait qu'"il n'y a pas de rapport sexuel", à entendre que l'homme et la femme ne se rencontrent pas dans leurs jouissances respectives, et que, faute de ne pouvoir se "comprendre" - fonction dédiée au langage - ils sont condamnés physiquement à se prendre et reprendre ad vitam aeternam. Dans ce bunker "no-futur", situé mille ans après la quatrième guerre mondiale, les deux acteurs (se) jouant des quatre personnages tour à tour incarnés (quartet composé du vicomte de Valmont, de la marquise de Merteuil, de sa nièce à la virginité immaculée et de la vertueuse présidente Madame de Tourvel) vont faire éclater l'espace-temps et pulvériser les frontières du genre masculin et féminin. En nous entraînant dans un tourbillon de mots crus enchâssés dans une syntaxe de haut vol, le mécanisme troublant - exquis vouvoiement pour dire l'insolence de la rouerie libertine - du langage à l'œuvre a le pouvoir de faire vaciller le spectateur sur le versant de "l'autre scène", celui d'une parole parlant à nos inconscients bien au-delà de ce qu'elle énonce.
© Abigaïl Jacquier.
Dans un dispositif bi-frontal, offrant une vue en contre plongée sur les deux acteurs réunis après "une si longue absence" sur un praticable d'après vitrification nucléaire, le jeu charnel dépouillé de tout artifice - si ce n'est l'artefact de la présence-absence de Valmont, projetée en prémices sur grand écran, faisant écho au vide des rencontres virtuelles proposées par les réseaux sociaux contemporains - est mis en abyme par l'irruption d'appropriées séquences vidéo. Ainsi, en démultipliant par un jeu "virtuel" de miroirs la confrontation des deux monstres - individus dont le comportement s'affranchit des normes admises communément par le corps social -, la technologie vidéaste réintègre le processus à l'œuvre dans l'échange épistolaire originel : l'un puis l'autre est tour à tour maître de la parole.
Car c'est la parole "à la vie, à la mort" qui est bien le vrai enjeu de cette confrontation sans pitié, le désir semblant après tant d'années avoir déserté la protagoniste qui mime d'emblée avec une ostentation calculée une jouissance "théâtrale" sous les yeux de son ex-amant. Combat cruel, guerre des sexes apparentés l'un et l'autre à des tigres ramenés à leur animalité, chacun usant à profusion de ses saillies acérées jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Car c'est la parole "à la vie, à la mort" qui est bien le vrai enjeu de cette confrontation sans pitié, le désir semblant après tant d'années avoir déserté la protagoniste qui mime d'emblée avec une ostentation calculée une jouissance "théâtrale" sous les yeux de son ex-amant. Combat cruel, guerre des sexes apparentés l'un et l'autre à des tigres ramenés à leur animalité, chacun usant à profusion de ses saillies acérées jusqu'à ce que mort s'ensuive.
© Abigaïl Jacquier.
Ainsi, outre leur confrontation directe, ils interchangeront leur rôle pour vivre ce que l'autre peut éprouver dans sa chair afin de mieux pénétrer son intimité, mieux le posséder. Dans ce jeu de masques, non pas destinés à cacher qui ils sont mais tout au contraire à projeter - fonction du masque dans le théâtre antique - l'essence de ce qu'ils sont, le vicomte de Valmont jouera la présidente Madame de Tourvel en train d'être séduite par lui ou encore la marquise de Merteuil lui dévoilant ses obscènes projets. Merteuil, elle, jouera la lubricité de Valmont ainsi que son ingénue nièce à déflorer.
Deux maîtres du jeu libertin endossant leur rôle, les échangeant à l'envi, et jouant tour à tour celui des victimes abusées par le vicomte. De quoi, parfois - il faut l'avouer - en perdre son français mais qu'importe ! L'essentiel est autre : en effet, la possible confusion, pour le spectateur, des rôles distribués rend la pleine mesure de la confusion vécue en chacun des deux protagonistes. À vouloir jouer avec le feu des identifications à tout vent, on périt par le feu d'un poison pourtant ingéré en toute conscience. D'ailleurs la chute se clôt sur une ambiguïté singulière, à déguster comme un vin délivrant des arômes pluriels… Qui mourra ?
Le personnage dont on rejoue le suicide (Madame de Tourvel) ou la personne qui en fut l'artisan (Valmont) succombant à son tour au même traitement ? Mort singulière ou plurielle, diffractée par les miroirs de la vidéo ? "Mort d'une putain", conclura Merteuil portant le masque de Valmont pour commenter la disparition du vicomte sans pour autant l'élucider… Quel destin pour celui qui portait haut sa virilité que de disparaître sous les traits d'un déguisement féminin : suprême conquête du féminin assimilé ou défaite ultime du masculin ?
Enfin pour rendre compte de la vivacité de ce langage libertin, illuminé par la beauté noire de la langue déliée de tous tabous, on citera l'une des saillies de Merteuil : "Qu'avez-vous appris si ce n'est à manœuvrer votre queue dans un trou en tous points semblables à celui dont vous êtes issu, avec toujours le même résultat, plus ou moins divertissant, et toujours dans l'illusion que l'applaudissement des muqueuses d'autrui va à votre seule personne, que les cris de jouissance sont adressés à vous, alors que vous n'êtes que le véhicule inanimé de la jouissance qui vous utilise, indifférent et tout à fait interchangeable, bouffon dérisoire dans sa création. Vous le savez, pour une femme tout homme est un homme qui fait défaut".
Théâtre à fleur de peau, cette "joute à mort" - au plus près du texte d'Heiner Müller - est à vivre comme une expérience convoquant l'essentiel obscur en chacun et chacune. Par l'entremise (en scène) d'une mise en jeu contemporaine aussi rigoureuse qu'inventive, et d'une interprétation sans failles des deux comédiens, l'"en-jeu" dramatique nous est rendu sensible. Le transfert opère et le cruel objet du désir, ainsi remis au travail, questionne nos rapports à nous-mêmes et à l'autre sexe, cet autre mystérieux qui nous "occupe".
Deux maîtres du jeu libertin endossant leur rôle, les échangeant à l'envi, et jouant tour à tour celui des victimes abusées par le vicomte. De quoi, parfois - il faut l'avouer - en perdre son français mais qu'importe ! L'essentiel est autre : en effet, la possible confusion, pour le spectateur, des rôles distribués rend la pleine mesure de la confusion vécue en chacun des deux protagonistes. À vouloir jouer avec le feu des identifications à tout vent, on périt par le feu d'un poison pourtant ingéré en toute conscience. D'ailleurs la chute se clôt sur une ambiguïté singulière, à déguster comme un vin délivrant des arômes pluriels… Qui mourra ?
Le personnage dont on rejoue le suicide (Madame de Tourvel) ou la personne qui en fut l'artisan (Valmont) succombant à son tour au même traitement ? Mort singulière ou plurielle, diffractée par les miroirs de la vidéo ? "Mort d'une putain", conclura Merteuil portant le masque de Valmont pour commenter la disparition du vicomte sans pour autant l'élucider… Quel destin pour celui qui portait haut sa virilité que de disparaître sous les traits d'un déguisement féminin : suprême conquête du féminin assimilé ou défaite ultime du masculin ?
Enfin pour rendre compte de la vivacité de ce langage libertin, illuminé par la beauté noire de la langue déliée de tous tabous, on citera l'une des saillies de Merteuil : "Qu'avez-vous appris si ce n'est à manœuvrer votre queue dans un trou en tous points semblables à celui dont vous êtes issu, avec toujours le même résultat, plus ou moins divertissant, et toujours dans l'illusion que l'applaudissement des muqueuses d'autrui va à votre seule personne, que les cris de jouissance sont adressés à vous, alors que vous n'êtes que le véhicule inanimé de la jouissance qui vous utilise, indifférent et tout à fait interchangeable, bouffon dérisoire dans sa création. Vous le savez, pour une femme tout homme est un homme qui fait défaut".
Théâtre à fleur de peau, cette "joute à mort" - au plus près du texte d'Heiner Müller - est à vivre comme une expérience convoquant l'essentiel obscur en chacun et chacune. Par l'entremise (en scène) d'une mise en jeu contemporaine aussi rigoureuse qu'inventive, et d'une interprétation sans failles des deux comédiens, l'"en-jeu" dramatique nous est rendu sensible. Le transfert opère et le cruel objet du désir, ainsi remis au travail, questionne nos rapports à nous-mêmes et à l'autre sexe, cet autre mystérieux qui nous "occupe".
"Quartett"
© Hugo Layan.
Texte : Heiner Müller.
Traduction : Jean Jourdheuil et Béatrice Perregaux (Les Éditions de Minuit, 1982).
Mise en scène : Hugo Layan.
Avec : Clémence Longy et Antoine Villard.
Régie générale : Matthieu Abraham.
Par la Compagnie Themroc.
A été représenté les 6, 11, 12, 13 juin à 20 h 30 et le 8 juin à 14 h 30.
Au Lieu Sans Nom de Bordeaux (33).
D'autres dates sont à venir à Paris.
Traduction : Jean Jourdheuil et Béatrice Perregaux (Les Éditions de Minuit, 1982).
Mise en scène : Hugo Layan.
Avec : Clémence Longy et Antoine Villard.
Régie générale : Matthieu Abraham.
Par la Compagnie Themroc.
A été représenté les 6, 11, 12, 13 juin à 20 h 30 et le 8 juin à 14 h 30.
Au Lieu Sans Nom de Bordeaux (33).
D'autres dates sont à venir à Paris.