© Christophe Raynaud de Lage.
Jean-Quentin Châtelain est un comédien hors sentiers battus, lui qui adore parcourir les chemins de traverse à pied ou à vélo pour remâcher son texte à l'envi, jusqu'à "l'incorporer", jusqu'à ce qu'il devienne sien, ne fasse plus qu'un avec sa parole à lui. Nous l'avions vu exceller dans "Bourlinguer" de Blaise Cendrars à Avignon où, les pieds rivés au sol, il interprétait le voyage immobile du poète revenant sur les hauteurs surplombant la baie de son enfance napolitaine. Ou encore dans "Gros-Câlin" de Romain Gary où il devenait à s'y méprendre l'antihéros, irrésistiblement drôle dans sa quête désespérée d'amour. On le retrouve ici, reprenant ce texte phare déjà mis en jeu par Jean-Michel Meyer et interprété par ses soins il y a un peu plus de vingt ans.
Cendrars, Gary, Beckett… seuls les grands auteurs ayant le pouvoir de soliloquer "à distance" avec eux-mêmes semblent trouver grâce à ses yeux, lui l'éternel nomade épris d'une exigence de liberté sans bornes. Aussi, en réentendant ce soir cette histoire d'un fils déshérité confronté à un amour improbable, récit à la première personne délivré avec un naturel désarçonnant par l'acteur suisse, on se demande qui a choisi qui pour le faire vivre devant nous. Est-ce Beckett ou est-ce Châtelain ? Les deux ne faisant qu'un, jusque dans la diction marquée par un accent délicieusement affecté venu d'outre-Manche.
Cendrars, Gary, Beckett… seuls les grands auteurs ayant le pouvoir de soliloquer "à distance" avec eux-mêmes semblent trouver grâce à ses yeux, lui l'éternel nomade épris d'une exigence de liberté sans bornes. Aussi, en réentendant ce soir cette histoire d'un fils déshérité confronté à un amour improbable, récit à la première personne délivré avec un naturel désarçonnant par l'acteur suisse, on se demande qui a choisi qui pour le faire vivre devant nous. Est-ce Beckett ou est-ce Châtelain ? Les deux ne faisant qu'un, jusque dans la diction marquée par un accent délicieusement affecté venu d'outre-Manche.
© Christophe Raynaud de Lage.
Avec une infinie économie de moyens, la conversation solitaire portée par la voix magnétique du comédien fétiche de Claude Régy prend corps. Seul le grincement lancinant de la chaise pivotante où il a trouvé refuge ajoutera à son phrasé envoûtant sa petite musique hypnotique. Aucun autre son, aucun décor parasitant le texte - la scène est nue, si ce n'est les lumières sculptant les ombres -, aucun déplacement intempestif si ce n'est quelques mouvements du couvre-chef et de la "chaise musicale". Les mots, seuls les mots distillés avec envie, tel un gourmet pour qui le moindre frémissement d'une intonation excite les papilles. Les prescriptions de Beckett - confiant à Jérôme Lindon, son éditeur aux Éditions de Minuit, le soin de veiller sur son œuvre - sont appliquées, autant dans leur lettre que dans leur esprit.
La vie, le sexe, la mort, cocktail au goût de banalité avérée si ce n'est que, chez Beckett, le sous-texte submerge ce qui est dit pour creuser un langage-monde hors-sol. Et seul un clochard céleste de la trempe de Jean-Quentin Châtelain peut endosser le costume élimé du vagabond élisant un banc comme domicile non fixe. C'est de là qu'il va (se) raconter… Tout commence naturellement par la mort du père associée dans son esprit à "son mariage", c'est-à-dire à son unique nuit d'amour (physique) avec une accueillante dame l'ayant pris sous son aile protectrice. Préambule pour le moins surprenant complété par des digressions autour des odeurs putrides des vivants comparées aux douces exhalaisons - "un peu trop sucrées peut-être" - des fragrances libérées par les cadavres, elles au moins on sait à quoi s'en tenir.
Le ton est donné, se coulant dans les mots de Beckett, l'acteur en fait son suc pour, avec drôlerie et un naturel désarmant, nous les faire entendre, tels quels. Juxtaposant avec autant de goût pour la langue, les digressions les plus crues - ses atroces efforts de constipé aux waters - aux considérations philosophiques poussées à un haut niveau - figure du père mort comme possibilité d'une esthétique de l'humain ouvrant sur le concept de beauté - il joue, rejoue du langage, pour mieux déjouer l'absurde du vivant.
Et comme "c'est pénible de ne plus être soi-même, encore plus pénible que de l'être, quoi qu'en en dise", Beckett-Châtelain se lève du banc (la chaise à vis) où sa prétendante le harcèle de sa douce présence pour trouver refuge (quelques décimètres plus loin) dans une étable à vaches… où il succombera au désir de tracer avec son doigt, sur une vielle bouse de génisse, le doux nom de Lulu (à prononcer Loulou avec l'accent anglais). L'amour a ses raisons que la raison ignore…
La vie, le sexe, la mort, cocktail au goût de banalité avérée si ce n'est que, chez Beckett, le sous-texte submerge ce qui est dit pour creuser un langage-monde hors-sol. Et seul un clochard céleste de la trempe de Jean-Quentin Châtelain peut endosser le costume élimé du vagabond élisant un banc comme domicile non fixe. C'est de là qu'il va (se) raconter… Tout commence naturellement par la mort du père associée dans son esprit à "son mariage", c'est-à-dire à son unique nuit d'amour (physique) avec une accueillante dame l'ayant pris sous son aile protectrice. Préambule pour le moins surprenant complété par des digressions autour des odeurs putrides des vivants comparées aux douces exhalaisons - "un peu trop sucrées peut-être" - des fragrances libérées par les cadavres, elles au moins on sait à quoi s'en tenir.
Le ton est donné, se coulant dans les mots de Beckett, l'acteur en fait son suc pour, avec drôlerie et un naturel désarmant, nous les faire entendre, tels quels. Juxtaposant avec autant de goût pour la langue, les digressions les plus crues - ses atroces efforts de constipé aux waters - aux considérations philosophiques poussées à un haut niveau - figure du père mort comme possibilité d'une esthétique de l'humain ouvrant sur le concept de beauté - il joue, rejoue du langage, pour mieux déjouer l'absurde du vivant.
Et comme "c'est pénible de ne plus être soi-même, encore plus pénible que de l'être, quoi qu'en en dise", Beckett-Châtelain se lève du banc (la chaise à vis) où sa prétendante le harcèle de sa douce présence pour trouver refuge (quelques décimètres plus loin) dans une étable à vaches… où il succombera au désir de tracer avec son doigt, sur une vielle bouse de génisse, le doux nom de Lulu (à prononcer Loulou avec l'accent anglais). L'amour a ses raisons que la raison ignore…
© Christophe Raynaud de Lage.
Multipliant les adresses directes au public pris à (fin de) partie - "pour d'autres raisons dont il serait oiseux de parler à des couillons comme vous" - le comédien au-delà de la narration de sa folle équipée chez sa protectrice à petite vertu doublée d'un grand cœur, laissera échapper jusqu'à la fuite finale, avec une application jamais prise en défaut, "des phrases impeccables au point de vue grammatical, mais dénuées de fondement".
Tragi-comédie existentielle délivrée avec humour et sensibilité, le texte nous arrive dans la fraîcheur de sa conception. C'est peu dire que nous assistons là à une épiphanie théâtrale résultant de la rencontre symbiotique, sur un plateau nu, d'un comédien lunaire, le clochard céleste Jean-Quentin Châtelain, et d'un auteur, le tragédien du quotidien Samuel Beckett, pour toujours associé à la vacuité de l'existence. L'auteur de théâtre et son double.
Tragi-comédie existentielle délivrée avec humour et sensibilité, le texte nous arrive dans la fraîcheur de sa conception. C'est peu dire que nous assistons là à une épiphanie théâtrale résultant de la rencontre symbiotique, sur un plateau nu, d'un comédien lunaire, le clochard céleste Jean-Quentin Châtelain, et d'un auteur, le tragédien du quotidien Samuel Beckett, pour toujours associé à la vacuité de l'existence. L'auteur de théâtre et son double.
"Premier Amour"
© Christophe Raynaud de Lage.
Création 2021.
Texte : Samuel Beckett.
Mise en scène : Jean-Michel Meyer.
Avec : Jean-Quentin Châtelain.
Création et régie lumière : Thierry Caperan.
Durée : 90 minutes.
Le spectacle avait été initialement créé en 1999 au Théâtre de Vidy-Lausanne.
Du 28 janvier au 27 février 2022.
Du jeudi au samedi à 19 h et dimanche à 16 h.
Théâtre du Gymnase, Studio Marie Bell, Paris 10e, 01 42 46 79 79.
>> theatredugymnase.paris
Texte : Samuel Beckett.
Mise en scène : Jean-Michel Meyer.
Avec : Jean-Quentin Châtelain.
Création et régie lumière : Thierry Caperan.
Durée : 90 minutes.
Le spectacle avait été initialement créé en 1999 au Théâtre de Vidy-Lausanne.
Du 28 janvier au 27 février 2022.
Du jeudi au samedi à 19 h et dimanche à 16 h.
Théâtre du Gymnase, Studio Marie Bell, Paris 10e, 01 42 46 79 79.
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