© Éric Schoenzetter.
La psychologie collective nous a appris que le sujet se construit à partir du modèle familial qui l'a façonné (là, un pater familias aux mœurs des plus avariées et une mère gentiment détraquée) et vis-à-vis duquel il se sent redevable en faisant symptôme. Ainsi les héritiers présents sont-ils tributaires, chacun à sa façon, de leur roman familial, la réalité n'étant qu'un mythe à géométrie variable. Pas étonnant alors que les rejetons regroupés autour d'une mère truculente aient bruyamment à "donner du je", du grand fils souffrant du complexe d'être le non-aimé, au frère adopté occupant la place du "fils préféré", en passant par la sœur ainée obsédée par l'idée partagée avec le père de descendre à la cave pour y chercher une bouteille.
Après avoir ouvert la séance par un petit précis de théâtre (tiré de son opus "L'effort d'être spectateur") magnifiant l'imaginaire de celui qui regarde, et cité à l'appui Marguerite Duras ("C'est le manque qui donne à voir"), le deus ex machina en la personne de leur metteur en scène présent sur le plateau va tirer les fils de chacun des personnages pour mieux faire entendre le concert des frustrations héritées. La cacophonie de révélations abracadabrantesques se succédant à la vitesse du son, comme les tirs d'une sulfateuse endiablée, crée une tornade d'effets dont le parti pris assumé vise à déclencher le rire, fût-il grinçant.
Ainsi, venant hanter le calvaire des vivants, défileront les confessions des fantômes convoqués par ces âmes en peine. En particulier les révélations des victimes des frasques du "pas encore disparu", réapparu là pour rendre l'âme après dix ans d'éclipse… Dans un maelström se mêlent pêle-mêle le clitoris de la jeune tante(atrice) et son petit sac à main rose passant de main en main, "organe vital" vivant son existence de substitut freudien du vagin visité naguère par le père à peine pubère. Puis viendra le temps du fantôme de sa première aimée éconduite, s'étant échinée sa vie durant à vouloir "donner son amour à quelqu'un qui n'en veut pas" (clin d'œil à la définition "d'aimer" du psychanalyste Jacques Lacan)… Ajoutons à ce début d'inventaire "fantomatique", l'apparition de la séduisante jeune fille en rouge, séduite à quatorze ans par le patriarche, et avortée au sécateur par le fantôme du jardinier repentant.
Après avoir ouvert la séance par un petit précis de théâtre (tiré de son opus "L'effort d'être spectateur") magnifiant l'imaginaire de celui qui regarde, et cité à l'appui Marguerite Duras ("C'est le manque qui donne à voir"), le deus ex machina en la personne de leur metteur en scène présent sur le plateau va tirer les fils de chacun des personnages pour mieux faire entendre le concert des frustrations héritées. La cacophonie de révélations abracadabrantesques se succédant à la vitesse du son, comme les tirs d'une sulfateuse endiablée, crée une tornade d'effets dont le parti pris assumé vise à déclencher le rire, fût-il grinçant.
Ainsi, venant hanter le calvaire des vivants, défileront les confessions des fantômes convoqués par ces âmes en peine. En particulier les révélations des victimes des frasques du "pas encore disparu", réapparu là pour rendre l'âme après dix ans d'éclipse… Dans un maelström se mêlent pêle-mêle le clitoris de la jeune tante(atrice) et son petit sac à main rose passant de main en main, "organe vital" vivant son existence de substitut freudien du vagin visité naguère par le père à peine pubère. Puis viendra le temps du fantôme de sa première aimée éconduite, s'étant échinée sa vie durant à vouloir "donner son amour à quelqu'un qui n'en veut pas" (clin d'œil à la définition "d'aimer" du psychanalyste Jacques Lacan)… Ajoutons à ce début d'inventaire "fantomatique", l'apparition de la séduisante jeune fille en rouge, séduite à quatorze ans par le patriarche, et avortée au sécateur par le fantôme du jardinier repentant.
© Éric Schoenzetter.
Autre tableau et même procédé à visée comique lorsque l'auteur place dans la bouche du banquier venu solder la succession : "Il y a des héritiers, mais aucun testament". Cette fois-ci, le clin d'œil est adressé au poète René Char – "Notre héritage n'est précédé d'aucun testament" – dont la pensée est accommodée à la sauce de l'auteur en veine d'inspiration… "C'est comme un pudding, on peut mettre n'importe quoi", saillie synthétique du concepteur du projet artistique sentant, qu'à toutes fins utiles, il serait bon de rappeler une fois pour toutes – par le biais de l'un de ses personnages – que l'on est bien là dans un second degré manifeste.
Le portrait de ce père, alcoolique, sans foi ni loi, sera encore complété par une révélation dévoilant pourquoi le fils adopté est devenu ipso facto "le fils préféré". En effet, lorsque le fantôme du psychiatre avance au "petit métis des colonies" venu le consulter : "La crème de votre père, matière blanche et liquide sur votre bouche, vous empêche de crier…", il n'y a plus guère d'équivoque sur la nature de la préférence que lui accordait son père adoptif.
Le côté hard de la peinture de ce père abuseur se double de la hardiesse se voulant décomplexée des registres de langue s'entrecroisant comme les vivants et les morts se croisent dans un flux et reflux donnant le tournis. Pour exemple, on citera le jeu de mots à faire s'étrangler la plus austère des bigotes ("avec plus que lisieux pour pleurer") ou le langage cru brandit comme un doigt d'honneur adressé à qui le prendra pour lui ("tu te mets le doigt dans l'œil, ça le changera des fesses").
Quant à la chute – c'est une comédie, humaine… –, elle célébrera la mort du père par une réconciliation des frères, de la sœur et de la mère, tous réunis autour de la dépouille pas encore refroidie, dont on aura pris soin de brûler les carnets pour réduire en cendres les traces écrites à haute valeur toxique… Le temps est enfin venu de recomposer de toutes pièces un autre récit du patriarche, un récit… "aimable".
Au terme de cette représentation, menée tambour battant par des comédiennes et comédiens au-dessus de tous soupçons (de belles performances sont à mettre à leur actif), on n'est pas cependant sans ressentir une certaine insatisfaction… Sans nier aucunement l'intérêt des intentions nourrissant ce projet – déglinguer la figure du patriarche, engendreur de névroses familiales –, on se demande si mêler autant d'ingrédients de natures opposées (bouffonneries, arlequinades, drames et abjections) dans la même proposition est une bonne idée dramaturgique, "l'effet non désiré" se soldant par une confusion assourdissante. La comédie, y compris grinçante, exige sans doute plus de rigueur dans son traitement et son écriture, moins de surcharges, les ficelles utilisées là pouvant parfois prendre allure de cordes.
Le portrait de ce père, alcoolique, sans foi ni loi, sera encore complété par une révélation dévoilant pourquoi le fils adopté est devenu ipso facto "le fils préféré". En effet, lorsque le fantôme du psychiatre avance au "petit métis des colonies" venu le consulter : "La crème de votre père, matière blanche et liquide sur votre bouche, vous empêche de crier…", il n'y a plus guère d'équivoque sur la nature de la préférence que lui accordait son père adoptif.
Le côté hard de la peinture de ce père abuseur se double de la hardiesse se voulant décomplexée des registres de langue s'entrecroisant comme les vivants et les morts se croisent dans un flux et reflux donnant le tournis. Pour exemple, on citera le jeu de mots à faire s'étrangler la plus austère des bigotes ("avec plus que lisieux pour pleurer") ou le langage cru brandit comme un doigt d'honneur adressé à qui le prendra pour lui ("tu te mets le doigt dans l'œil, ça le changera des fesses").
Quant à la chute – c'est une comédie, humaine… –, elle célébrera la mort du père par une réconciliation des frères, de la sœur et de la mère, tous réunis autour de la dépouille pas encore refroidie, dont on aura pris soin de brûler les carnets pour réduire en cendres les traces écrites à haute valeur toxique… Le temps est enfin venu de recomposer de toutes pièces un autre récit du patriarche, un récit… "aimable".
Au terme de cette représentation, menée tambour battant par des comédiennes et comédiens au-dessus de tous soupçons (de belles performances sont à mettre à leur actif), on n'est pas cependant sans ressentir une certaine insatisfaction… Sans nier aucunement l'intérêt des intentions nourrissant ce projet – déglinguer la figure du patriarche, engendreur de névroses familiales –, on se demande si mêler autant d'ingrédients de natures opposées (bouffonneries, arlequinades, drames et abjections) dans la même proposition est une bonne idée dramaturgique, "l'effet non désiré" se soldant par une confusion assourdissante. La comédie, y compris grinçante, exige sans doute plus de rigueur dans son traitement et son écriture, moins de surcharges, les ficelles utilisées là pouvant parfois prendre allure de cordes.
"Mon père (pour en finir avec)"
© Éric Schoenzetter.
Texte : Pierre Notte, édité aux éditions L'avant-scène théâtre.
Mise en scène : Pierre Notte.
Avec : Muriel Gaudin, Benoît Giros, Silvie Laguna, Pierre Notte, Shékina, Clyde Yeguete.
Collaboration artistique : Éric Schoenzetter.
Lumières : Éric Schoenzetter.
Costumes : Sarah Leterrier.
Production : Compagnie Les Gens qui tombent.
À partir de 14 ans.
Durée : 1 h 30.
•Avignon Off 2024•
Du 29 juin au 21 juillet 2024.
Tous les jours à 21 h 30. Relâche le mercredi.
Théâtre des Halles, Jardin, 22, rue du Roi René, Avignon.
Réservations : 04 32 76 24 51.
contact@theatredeshalles.com
>> theatredeshalles.com
Mise en scène : Pierre Notte.
Avec : Muriel Gaudin, Benoît Giros, Silvie Laguna, Pierre Notte, Shékina, Clyde Yeguete.
Collaboration artistique : Éric Schoenzetter.
Lumières : Éric Schoenzetter.
Costumes : Sarah Leterrier.
Production : Compagnie Les Gens qui tombent.
À partir de 14 ans.
Durée : 1 h 30.
•Avignon Off 2024•
Du 29 juin au 21 juillet 2024.
Tous les jours à 21 h 30. Relâche le mercredi.
Théâtre des Halles, Jardin, 22, rue du Roi René, Avignon.
Réservations : 04 32 76 24 51.
contact@theatredeshalles.com
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