© Pierre Planchenault.
Il a été beaucoup écrit de propos savants (cf. la passionnante postface du sociologue Éric Fassin à "Herculine Barbin dite Alexina B.", préfacée par Michel Foucault) sur cette histoire vraie exhumée de l'oubli... Mais quelle que soit l'extrême pertinence de ces analyses, prolongées par l'essentiel "Troubles dans le genre" de Judith Butler sur le féminisme et la subversion de l'identité, rien ne peut mieux faire entendre l'existence d'Herculine – Adélaïde - Alexina - Camille - Abel (cinq prénoms pour parler du même) – que "Mes Souvenirs", le manuscrit authentique rédigé à vingt-cinq ans par "cellelui" qui allait se donner la mort en 1868, seul comme pas une, victime de "la chasse à l'identité".
Récit d'une force irrépressible – comment ne pourrait-on pas être transpercé par de tels accents vibrant d'humanité, rendant caduques les allégations de traditionalistes coupés de toutes vérités humaines ? –, "Herculine Barbin" se devait de trouver sur un plateau une traduction n'écrasant en rien sa subtile écriture, alternant à merveille les pleins et les déliés d'une calligraphie maîtrisée comme art de la parole performative. C'est justement à cet endroit précis – celui de la représentation – qu'on attendait la metteuse en scène…
Récit d'une force irrépressible – comment ne pourrait-on pas être transpercé par de tels accents vibrant d'humanité, rendant caduques les allégations de traditionalistes coupés de toutes vérités humaines ? –, "Herculine Barbin" se devait de trouver sur un plateau une traduction n'écrasant en rien sa subtile écriture, alternant à merveille les pleins et les déliés d'une calligraphie maîtrisée comme art de la parole performative. C'est justement à cet endroit précis – celui de la représentation – qu'on attendait la metteuse en scène…
© Pierre Planchenault.
D'emblée, la scénographie mise en jeu nous introduit au cœur du propos. Métaphore des identités flottantes qui vont s'y dévoiler, un imperceptible mouvement de vaguelettes hypnotiques anime les draps immaculés recouvrant une rangée de lits alignés en diagonale… Mickaël Pelissier (qui, avec un grand bonheur, reprend pour Avignon le rôle) prêtera son humanité aux autres personnages traversant le récit, jouant là délicatement avec l'eau contenue dans une bassine aux dimensions trop étroites où l'on pourrait voir la résurgence de la problématique gender fluid en attente de submerger le plateau.
À l'instar de l'insoupçonnable grâce troublante de Yuming Hey (nominé aux Molières 2024 pour la pièce "Les Bonnes") – on ne sait si le rôle d'Herculine était fait pour iel ou si c'est l'inverse qui s'est imposé –, les deux complices au plateau vont incarner "corps et âme" cette héroïne à fleur de peau qu'ils donnent à entendre et à voir dans toute la vérité de sa nature intersexe, faisant vivre l'intensité de son vécu singulier tant dans son bonheur extatique que dans les affres de ses souffrances extrêmes.
Soulevant délicatement le drap linceul recouvrant une forme allongée, son alter ego la "découvre" et, en la dévoilant à nos regards, extrait Herculine des limbes de la mort où enfin elle avait trouvé le repos, pour nous raconter sa véridique histoire… "J'ai beaucoup souffert, et j'ai souffert seul ! seul ! abandonné de tous !". Cri amplifié par l'articulation simultanée des deux acteurs qui confondent leurs voix dans le même appel de détresse nous transperçant, nous les témoins présents d'un drame ancien à résonance contemporaine.
Suivra le récit détaillé de la première période, celle racontée au genre féminin, "des instants célestes" d'une sensualité à fleur de peau vécus au sein de différentes institutions où Herculine partagera innocemment le plaisir des caresses entre jeunes filles, les baisers des religieuses attendries par son besoin d'affection et la subtilité de son esprit. Des amours saphistes – car Herculine, identifiée femme par l'état civil, parlera alors d'elle au féminin –, il en sera de douloureux comme la maladie et la mort de sa chère Léa, de fort troublants comme ses émois de camériste au service d'une jeune beauté aux formes parfaites, et très vite d'intranquilles comme le trouble qui la gagnera à "l'entrée de ce sanctuaire de virginité" qu'était la classe des élèves-maîtresses (sic) où elle venait d'être admise.
Au visage lumineux d'Herculine répondra alors en miroir la silhouette déliée de son double. Interprétant avec une grâce infinie "Les métamorphoses" d'Ovide, prendront corps Hermès et Aphrodite s'unissant pour donner naissance à celui qui, à son corps défendant, séduit par la naïade Salmacis, devint uni à elle dans un seul corps bisexué. Ainsi le mythe, réincarné par les Dieux grecs (peu puritains…) ayant exaucé les vœux de la nymphe, se fera-t-il le porte-parole de la mythologie privée d'Herculine au corps indécis.
À l'instar de l'insoupçonnable grâce troublante de Yuming Hey (nominé aux Molières 2024 pour la pièce "Les Bonnes") – on ne sait si le rôle d'Herculine était fait pour iel ou si c'est l'inverse qui s'est imposé –, les deux complices au plateau vont incarner "corps et âme" cette héroïne à fleur de peau qu'ils donnent à entendre et à voir dans toute la vérité de sa nature intersexe, faisant vivre l'intensité de son vécu singulier tant dans son bonheur extatique que dans les affres de ses souffrances extrêmes.
Soulevant délicatement le drap linceul recouvrant une forme allongée, son alter ego la "découvre" et, en la dévoilant à nos regards, extrait Herculine des limbes de la mort où enfin elle avait trouvé le repos, pour nous raconter sa véridique histoire… "J'ai beaucoup souffert, et j'ai souffert seul ! seul ! abandonné de tous !". Cri amplifié par l'articulation simultanée des deux acteurs qui confondent leurs voix dans le même appel de détresse nous transperçant, nous les témoins présents d'un drame ancien à résonance contemporaine.
Suivra le récit détaillé de la première période, celle racontée au genre féminin, "des instants célestes" d'une sensualité à fleur de peau vécus au sein de différentes institutions où Herculine partagera innocemment le plaisir des caresses entre jeunes filles, les baisers des religieuses attendries par son besoin d'affection et la subtilité de son esprit. Des amours saphistes – car Herculine, identifiée femme par l'état civil, parlera alors d'elle au féminin –, il en sera de douloureux comme la maladie et la mort de sa chère Léa, de fort troublants comme ses émois de camériste au service d'une jeune beauté aux formes parfaites, et très vite d'intranquilles comme le trouble qui la gagnera à "l'entrée de ce sanctuaire de virginité" qu'était la classe des élèves-maîtresses (sic) où elle venait d'être admise.
Au visage lumineux d'Herculine répondra alors en miroir la silhouette déliée de son double. Interprétant avec une grâce infinie "Les métamorphoses" d'Ovide, prendront corps Hermès et Aphrodite s'unissant pour donner naissance à celui qui, à son corps défendant, séduit par la naïade Salmacis, devint uni à elle dans un seul corps bisexué. Ainsi le mythe, réincarné par les Dieux grecs (peu puritains…) ayant exaucé les vœux de la nymphe, se fera-t-il le porte-parole de la mythologie privée d'Herculine au corps indécis.
© Claude Poinas.
Succèderont les affres de la deuxième période, celle racontée au masculin après qu'advint la faille dans l'armure construite, après que le jeu des caresses folles se conclut par le passage à l'acte avec sa chère Sara, institutrice et fille de la directrice du Pensionnat de jeunes filles où elle avait trouvé un poste d'enseignante. Dès lors, se sentant frappé par l'ignominie des jugements, s'avançant en bord de scène, iel pointera un doigt accusateur vers nous public, toujours prêt à s'arroger le droit de juger cellelui que la nature a assigné à une place aléatoire.
Dès lors, le récit abandonnera les rives du bonheur perdu pour aborder celles des accents tourmentés de "la chasse à l'identité" dont parle si bien Michel Foucault. Hypocrisie des uns et des autres refusant à corps et âme perdus que le scandale ne se dévoile au grand jour, verdict de la sacro-sainte science, directrice de conscience d'une religion stupéfiée, réponse de la loi prenant acte de son "erreur" et souffrances de celle qui – devenue en toute légalité celui – erre dans un "no man's land" terrifiant de solitude abyssale et de dénuement cruel.
Endossant les rôles des personnages traversant son existence intranquille, habillant avec une infinie tendresse d'une robe puis d'un costume d'homme Herculine devenu Abel, la soulevant de terre comme un fétu fragile en la serrant dans ses bras, l'alter égo témoigne à l'interprète idoine, l'immense besoin de consolation que nous ressentons à son égard.
Jusqu'aux extraits de chansons populaires, distillées en contrepoint d'un passé n'arrêtant pas de passer en nous pour inscrire jusque dans notre présent la question brûlante du genre, tout sonne juste – comédiens d'exception et mise en jeu envoûtante – pour faire de cette "représentation" le théâtre vivant de nos interrogations intimes.
Vu le lundi 1ᵉʳ juillet au Palace d'Avignon.
Dès lors, le récit abandonnera les rives du bonheur perdu pour aborder celles des accents tourmentés de "la chasse à l'identité" dont parle si bien Michel Foucault. Hypocrisie des uns et des autres refusant à corps et âme perdus que le scandale ne se dévoile au grand jour, verdict de la sacro-sainte science, directrice de conscience d'une religion stupéfiée, réponse de la loi prenant acte de son "erreur" et souffrances de celle qui – devenue en toute légalité celui – erre dans un "no man's land" terrifiant de solitude abyssale et de dénuement cruel.
Endossant les rôles des personnages traversant son existence intranquille, habillant avec une infinie tendresse d'une robe puis d'un costume d'homme Herculine devenu Abel, la soulevant de terre comme un fétu fragile en la serrant dans ses bras, l'alter égo témoigne à l'interprète idoine, l'immense besoin de consolation que nous ressentons à son égard.
Jusqu'aux extraits de chansons populaires, distillées en contrepoint d'un passé n'arrêtant pas de passer en nous pour inscrire jusque dans notre présent la question brûlante du genre, tout sonne juste – comédiens d'exception et mise en jeu envoûtante – pour faire de cette "représentation" le théâtre vivant de nos interrogations intimes.
Vu le lundi 1ᵉʳ juillet au Palace d'Avignon.
"Herculine Barbin"
© Claude Poinas.
D'après "Herculine Barbin dite Alexina B.", publié et préfacé par Michel Foucault (Éditions Gallimard) et "Mes souvenirs" d'Herculine Barbin
Adaptation : Catherine Marnas et Procuste Oblomov.
Mise en scène : Catherine Marnas.
Avec : Yuming Hey, Mickaël Pelissier.
Conseil artistique : Procuste Oblomov.
Scénographie : Carlos Calvo.
Créatrice son : Madame Miniature assistée d'Édith Baert.
Lumières : Michel Theuil, assisté de Fabrice Barbotin et Véronique Galindo.
Vidéo : Valéry Faidherbe, assisté d'Emmanuel Vautrin.
Chorégraphies : Annabelle Chambon.
Costumes : Kam Derbali.
À partir de 14 ans.
Durée : 1 h 20.
•Avignon Off 2024•
Du 29 juin au 21 juillet 2024.
Tous les jours à 17 h 30. Relâche le mercredi.
Théâtre Au Palace, 38, cours Jean Jaurès, Avignon.
Réservations : 04 84 51 26 99.
>> aupalace.fr
Adaptation : Catherine Marnas et Procuste Oblomov.
Mise en scène : Catherine Marnas.
Avec : Yuming Hey, Mickaël Pelissier.
Conseil artistique : Procuste Oblomov.
Scénographie : Carlos Calvo.
Créatrice son : Madame Miniature assistée d'Édith Baert.
Lumières : Michel Theuil, assisté de Fabrice Barbotin et Véronique Galindo.
Vidéo : Valéry Faidherbe, assisté d'Emmanuel Vautrin.
Chorégraphies : Annabelle Chambon.
Costumes : Kam Derbali.
À partir de 14 ans.
Durée : 1 h 20.
•Avignon Off 2024•
Du 29 juin au 21 juillet 2024.
Tous les jours à 17 h 30. Relâche le mercredi.
Théâtre Au Palace, 38, cours Jean Jaurès, Avignon.
Réservations : 04 84 51 26 99.
>> aupalace.fr