Avignon 2024

•Off 2024• "Arthur M." Objet vivant, non identifié, au goût savoureux de l'étrangeté

Quand le comédien – remarquable David Bottet – est apparu sur le plateau, lentement, gracieusement, sur une musique à la fois perturbante et battante, j'ai pensé à Michel Piccoli. Cette grande référence touchée par la grâce alors qu'il jouait la correspondance entre Tchekhov et Olga Knipper, l'amour de sa vie. Bouffes du Nord, Paris, il y a des années.



© Jeanne Gort.
Le temps a passé et, soudain, comme un flash-back ressuscité, face à moi, à nous : David Bottet. Une bouffée délirante posée comme un objet difficilement identifiable, mais néanmoins remarquable, à l'Artéphile en plein cœur d'Avignon, ce lieu où éclatent les bulles contemporaines de la création.

Un comédien habité et un personnage incarné. Dès son entrée, il arrive péniblement, marchant avec hésitation et tremblements vers une chaise à laquelle il semble vouloir s'accrocher et ne plus quitter. De là, renaît un homme, mais, surtout, un passé. Il est un homme, âgé, cabossé, inquiet et déroule, sous nos yeux, tout un parcours de vie assez calamiteux.

Je le suis avec attention et concentration. Ne rien rater de ce corps qui cherche à se relever. Ne rien manquer de cette musique qui, tout le long du spectacle, va l'accompagner. Ne rien laisser passer pour comprendre exactement tout l'enjeu de cette adaptation de textes, aussi cruels que denses, écrits de la plume sans filtre et certes "un peu zinzin" de Régis Jauffret. Il faut le suivre et le comprendre. C'est un univers à la fois troublant, inquiétant, mais également palpitant, car, d'un mouvement à l'autre, rien ne s'assemble vraiment, mais tout se rejoint fatalement.

© Jeanne Gort.
Adapter Régis Jauffret, c'est franchement audacieux. Assembler autant de nouvelles où se croisent des visages et des parcours de vie qui ne se ressemblent pas, a priori, c'est culotté, et qui plus est : décider de faire de tout cela qu'un seul personnage, une histoire, un passé, une vie. Celle dont le comédien s'est emparé : la vie d'un dénommé Arthur M.

Pari risqué, pari réussi. David Bottet est doué et connu aussi pour sa palette exquise en comédie et, là, il revient avec un solo déroutant, captivant et incroyablement maîtrisé. La mise en scène soignée, réfléchie et inventive de Jean-Paul Rouvrais sublime le plateau et laisse une vraie liberté à ce vieil homme, cabossé et totalement à la dérive, dont la jeunesse lui a aussi été volée.

"Arthur M." est un OVNI en ce début de festival. Dans le V d'OVNI, il y a le V d'Avignon. Puis le O aussi, comme celui d'Ovation. C'est ce que je lui souhaite pour avoir osé mettre en lumière, et sur un plateau, une adaptation de ces mystérieuses "Microfictions" et de leur donner VIE ! Surtout, la vie comme ce jour où mes yeux ont brillé devant Michel Piccoli.

"Arthur M."

© Jeanne Gort.
D'après "Microfictions" de Régis Jauffret (Éditions Gallimard).
Adaptation, direction artistique : David Bottet.
Mise en scène : Jean-Paul Rouvrais.
Avec: : David Bottet, Stéphane Mineot et Manuel Leroueil.
Scénographie : Inès Mota.
Création sonore : Stéphane Mineot.
Création lumières : Kevin Hermen.
Création Vidéo : Jeanne Gort.
Par la Compagnie de la Pépinière.
À partir de 16 ans.
Durée : 1 h 10.

•Avignon Off 2024•
Du 3 au 21 juillet 2024.
Tous les jours à 18 h 15. Relâche le mardi.
Théâtre Artéphile, 5bis-7, rue du Bourg-Neuf, Avignon.
Réservations : 04 90 03 01 90.
>> artephile.com

Isabelle Lauriou
Mercredi 19 Juin 2024
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