© Patrick Berger.
Animés par une fougue communicative, Alice Vannier et ses interprètes s'emparent quelque vingt-cinq années plus tard de l'œuvre-monde du réalisateur de "La sociologie est un sport de combat" (autre opus marquant), pour réitérer l'exploit physique et intellectuel sur un plateau de théâtre… en y ajoutant la composante "spectaculaire" de leur touche artistique.
Dans une scénographie grouillante de trouvailles bureautiques et autres, se (re)construit devant nous, avec force humour dans la forme et beaucoup de sérieux dans le fond, l'œuvre "bourdésienne". On pénètre dans les arcanes de sa fabrication en assistant de visu au travail d'une équipe, jeune et impliquée, affairée à réunir les différents feuillets pour remettre le lendemain matin au Seuil la dernière mouture avant qu'elle ne reçoive l'aval du "bon à tirer".
L'effervescence qui règne sur le plateau, ménageant de nombreux flashbacks où les entretiens sont joués en direct, crée une dynamique euphorisante propre à évoquer l'excitation suscitée par la construction d'un tel ouvrage monumental. Sans jamais faiblir, le rythme tient en haleine. Alternant interrogations théoriques de haut vol - toujours portées par des personnages volontairement typés inspirant humour et sympathie - et entretiens concrets "donnant corps" aux analyses qui s'ensuivent, le propos se déplie tout "naturellement" et nous aspire infailliblement dans son sillage.
Dans une scénographie grouillante de trouvailles bureautiques et autres, se (re)construit devant nous, avec force humour dans la forme et beaucoup de sérieux dans le fond, l'œuvre "bourdésienne". On pénètre dans les arcanes de sa fabrication en assistant de visu au travail d'une équipe, jeune et impliquée, affairée à réunir les différents feuillets pour remettre le lendemain matin au Seuil la dernière mouture avant qu'elle ne reçoive l'aval du "bon à tirer".
L'effervescence qui règne sur le plateau, ménageant de nombreux flashbacks où les entretiens sont joués en direct, crée une dynamique euphorisante propre à évoquer l'excitation suscitée par la construction d'un tel ouvrage monumental. Sans jamais faiblir, le rythme tient en haleine. Alternant interrogations théoriques de haut vol - toujours portées par des personnages volontairement typés inspirant humour et sympathie - et entretiens concrets "donnant corps" aux analyses qui s'ensuivent, le propos se déplie tout "naturellement" et nous aspire infailliblement dans son sillage.
© Patrick Berger.
D'abord définir la méthode scientifique ayant présidé au recueil des données de terrain, recueil inspiré par une approche empathique du "sujet qui n'est pas la source du mal, mais un de ses lieux de manifestations". Mettre ainsi à l'abri de tout jugement les personnes conviées à confier, de là où elles sont, la "version" singulière de leur expérience. Comme le rappelle un des acteurs-sociologues citant Spinoza : "ne pas se moquer, ne pas déplorer, ne pas détester mais comprendre".
Le premier tableau de témoins convoque trois lycéennes issues de collèges différents et racontant toutes combien le lycée leur apparaît le lieu-usine de la déshumanisation, préparant l'exclusion de celles et ceux qui, n'étant pas pas armés des codes susceptibles de passer outre le manque d'attention porté à leur personne, se sentent très vite "hors-je(u)". Elles s'expriment, comme les autres témoins le feront, dans une oralité correspondant à leur âge et classe d'appartenance, ce qui confère aux propos une vérité criante.
Quant au discours récurrent lié à la propagande de la seule voie royale qui vaille, tenu indirectement par l'institution, relayé directement par les professeurs et amplifié par les parents, chacun étant "la voix de son maître", il participe d'un tri non dissimulé visant à l'estampillage des élèves en les classant d'emblée par catégories hiérarchisées.
Le premier tableau de témoins convoque trois lycéennes issues de collèges différents et racontant toutes combien le lycée leur apparaît le lieu-usine de la déshumanisation, préparant l'exclusion de celles et ceux qui, n'étant pas pas armés des codes susceptibles de passer outre le manque d'attention porté à leur personne, se sentent très vite "hors-je(u)". Elles s'expriment, comme les autres témoins le feront, dans une oralité correspondant à leur âge et classe d'appartenance, ce qui confère aux propos une vérité criante.
Quant au discours récurrent lié à la propagande de la seule voie royale qui vaille, tenu indirectement par l'institution, relayé directement par les professeurs et amplifié par les parents, chacun étant "la voix de son maître", il participe d'un tri non dissimulé visant à l'estampillage des élèves en les classant d'emblée par catégories hiérarchisées.
© Patrick Berger.
D'où la question surgissant de ce recueil de témoignages sur le rapport à l'institution scolaire : "Quelle est la responsabilité de l'école dans la perpétuation des inégalités sociales si l'institution scolaire entérine et promeut les écarts existants ?"
D'autres tableaux se succéderont posant chacun, après l'exposé des témoignages, une question soumise à la réflexion collective.
Déposition d'une femme en recherche d'emploi ayant eu à subir les propositions de son supérieur réputé pour ce type d'agissements en direction du corps féminin. La question posée ensuite prend en compte l'ambiguïté des propos de la femme, condamnant le supérieur… tout en vantant étonnamment ses grandes qualités, comme si, malgré ses comportements abjects, il suscitait en elle une admiration secrète. La trajectoire sociale des deux présentant des similitudes, quel impact a-t-elle sur l'identification positive à son prédateur ?
Autre témoignage, sur fond des infos diffusées à la radio concernant les voitures incendiées de Vaulx-en-Velin, celui d'un gardien d'immeuble ayant toujours vécu là, communiste et s'interrogeant sur l'éventualité d'un vote Le Pen - "pour essayer, un an seulement" - tant l'évolution de son quartier le déconcerte. La question de la spirale descendante vécue par ceux qui ne disposent pas de filet social de protection, les faisant glisser du prolétariat au sous-prolétariat, est ainsi posée.
D'autres tableaux se succéderont posant chacun, après l'exposé des témoignages, une question soumise à la réflexion collective.
Déposition d'une femme en recherche d'emploi ayant eu à subir les propositions de son supérieur réputé pour ce type d'agissements en direction du corps féminin. La question posée ensuite prend en compte l'ambiguïté des propos de la femme, condamnant le supérieur… tout en vantant étonnamment ses grandes qualités, comme si, malgré ses comportements abjects, il suscitait en elle une admiration secrète. La trajectoire sociale des deux présentant des similitudes, quel impact a-t-elle sur l'identification positive à son prédateur ?
Autre témoignage, sur fond des infos diffusées à la radio concernant les voitures incendiées de Vaulx-en-Velin, celui d'un gardien d'immeuble ayant toujours vécu là, communiste et s'interrogeant sur l'éventualité d'un vote Le Pen - "pour essayer, un an seulement" - tant l'évolution de son quartier le déconcerte. La question de la spirale descendante vécue par ceux qui ne disposent pas de filet social de protection, les faisant glisser du prolétariat au sous-prolétariat, est ainsi posée.
© Patrick Berger.
Quant à la question de la justice (l'injustice) sociale, elle trouve une réponse, "pimentée" : "si on ne réagit pas maintenant (1990), dans trente ans, on se retrouve avec un banquier au pouvoir…". Suivront d'autres témoignages comme ceux de ce jeune couple de SDF, exposé depuis l'enfance à des galères en chaîne, ou en encore de ce vieux travailleur algérien ayant vécu le drame du déracinement redoublé du conflit de loyauté envers son pays d'origine ; nulle part chez lui, il vit les affres de l'émigration.
Mais, si rudes soient les misères du monde, allant se nicher dans des positions inattendues, le dispositif scénique allège la pesanteur des témoignages en créant des moments de jubilation partagée, telles les saillies drôles des "sociologues acteurs" ou encore les feuillets de l'œuvre-monde volant comme des confettis avant d'être frénétiquement rassemblés pour… le mettre au monde.
Quant au post-scriptum, il provoque un puissant et salutaire désir d'action : "ce que le monde social a fait, le monde social peut, armé de ce savoir, le défaire". Un message "riche" d'enseignements, porté avec énergie, humour et intelligence par une troupe débordante d'intuitions prospectives.
Mais, si rudes soient les misères du monde, allant se nicher dans des positions inattendues, le dispositif scénique allège la pesanteur des témoignages en créant des moments de jubilation partagée, telles les saillies drôles des "sociologues acteurs" ou encore les feuillets de l'œuvre-monde volant comme des confettis avant d'être frénétiquement rassemblés pour… le mettre au monde.
Quant au post-scriptum, il provoque un puissant et salutaire désir d'action : "ce que le monde social a fait, le monde social peut, armé de ce savoir, le défaire". Un message "riche" d'enseignements, porté avec énergie, humour et intelligence par une troupe débordante d'intuitions prospectives.
"En réalités"
© Luc Jacquin.
D'après "La Misère du monde" de Pierre Bourdieu.
Adaptation Marie Menechi et Alice Vannier.
Mise en scène : Alice Vannier.
Assistante à la mise en scène : Marie Menechi.
Avec : Anna Bouguereau, Margaux Grilleau, Judith Zins, Adrien Guiraud, Hector Manuel, Sacha Ribeiro.
Scénographie : Camille Davy.
Conception lumière : Clément Soumy.
Son : Manon Amor.
Cie Courir à la Catastrophe/Antisthène.
Durée : 1 h 30.
Spectacle double lauréat du Prix Théâtre 13/Jeunes metteurs en scène 2018.
•Avignon Off 2019•
Du 5 au 23 juillet 2019.
Tous les jours impairs à 11 h 40.
Théâtre Le Train, Salle 1.
40, rue Paul Saïn.
Réservations : 04 90 82 39 06.
>> theatredutrainbleu.fr
Adaptation Marie Menechi et Alice Vannier.
Mise en scène : Alice Vannier.
Assistante à la mise en scène : Marie Menechi.
Avec : Anna Bouguereau, Margaux Grilleau, Judith Zins, Adrien Guiraud, Hector Manuel, Sacha Ribeiro.
Scénographie : Camille Davy.
Conception lumière : Clément Soumy.
Son : Manon Amor.
Cie Courir à la Catastrophe/Antisthène.
Durée : 1 h 30.
Spectacle double lauréat du Prix Théâtre 13/Jeunes metteurs en scène 2018.
•Avignon Off 2019•
Du 5 au 23 juillet 2019.
Tous les jours impairs à 11 h 40.
Théâtre Le Train, Salle 1.
40, rue Paul Saïn.
Réservations : 04 90 82 39 06.
>> theatredutrainbleu.fr
© Luc Jacquin.